Lendemains de violence

Le coup de force sanglant qui a renversé le régime du général Kassem pourrait ébranler l’ensemble du Moyen-Orient.

Publié le 18 février 2003 Lecture : 3 minutes.

L es scènes de carnage qui ont ensanglanté Bagdad sont inscrites pour toujours dans la mémoire des témoins de cette semaine de désolation. Il y a eu beaucoup trop de morts, sur les deux rives du Tigre, pour qu’il soit possible d’espérer la fin prochaine d’un tel déchaînement. Bagdad n’est pas tout l’Irak, et les nouvelles qui filtrent des régions éloignées de la capitale, provinces frontalières du Nord, avec Mossoul pour foyer, et du Sud, à proximité d’Abadan, ne semblent pas faites pour rassurer. Le bilan de sang de cette confrontation ne saurait s’établir avant longtemps. Il faudra attendre que l’un des deux ennemis en présence ait pris le temps d’exterminer l’autre. Car la bataille qui s’est engagée à l’aube du 8 février ne souffre ni compromis ni solutions intermédiaires. Elle constitue le prolongement naturel des règlements de comptes de Mossoul et de Kirkouk, à la faveur desquels les communistes avaient tenté de liquider leurs adversaires politiques, les « nationalistes arabes ». Ces derniers ont subi des supplices sans nombre et, si le chiffre des victimes de ce 8 février s’élève déjà à plusieurs milliers, du moins leur mort n’aura-t-elle pas été le fait de procédés barbares. Elles n’ont été ni écartelées, ni enterrées vivantes, comme cela s’est produit à Kirkouk et à Bassorah. L’idéal, pour l’Irak, aurait été que les « baasistes » pardonnent à leurs ennemis ou se contentent de les neutraliser. C’eût été trop attendre d’un parti politique qui s’identifie de près à la masse irakienne. Autant le coup d’État, en lui-même, révélait une organisation rigoureuse et une discipline parfaite, autant la réaction qui s’est greffée sur lui a péniblement surpris par sa violence et par ses excès. Ce que l’on se doit de signa-ler, en tout cas, c’est un aspect spécifique par lequel le coup du 8 février se distingue de tous ceux qui l’ont précédé dans le monde arabe – en Irak même, en Syrie, en Égypte, au Soudan, au Yémen ; il n’est pas uniquement militaire comme le fut celui de Kassem, ou de Husni Zaim en Syrie, ou de Nasser en Égypte, de Sallal au Yémen, ou de Abboud au Soudan. Il a été préparé et exécuté avec le concours actif d’un parti politique dont la doctrine et le programme sont connus. Le coup d’État du 14 ramadan est donc politico-militaire. Le chef du gouvernement révolutionnaire et sept de ses ministres appartiennent au Baas. Et comme l’a déclaré à Beyrouth Michel Aflak, théoricien et animateur de ce mouvement unioniste, « ce qui vient de se produire à Bagdad n’est que le prélude d’événements importants aussi bien en Irak que dans l’ensemble de la région ». Voyons d’abord l’Irak. La révolu- tion se trouve aujourd’hui devoir affronter trois grands problèmes : le Parti communiste, les Kurdes et le Koweït. Le Parti communiste irakien compte au moins cent mille membres actifs, pour la plupart armés et décidés à mourir. Il n’en est pas moins réduit à la condition d’un parti de « cadres » puisque, depuis les massacres de Kirkouk, il s’est à peu près vidé de la masse de ses adhérents d’origine arabe, tant sunnites que chiites, et ceux-ci forment, on ne l’ignore pas, l’imposante majorité de la population. Sur sept millions d’Irakiens, on peut estimer que les cent mille militants communistes comptent à peine un nombre égal de sympathisants. Et ces derniers se recrutent, à leur tour, parmi les minoritaires Assyriens, Chaldéens, Turkmènes ou Persans, hostiles par tradition à toute politique susceptible d’entraîner le pays dans une union arabe. Ce sont ces mécontents invétérés que le communisme a su mobiliser. Quelle sera l’attitude des révolutionnaires de Bagdad devant l’obstination des Kurdes qui, au lendemain du 8 février, réclament une fois de plus l’autonomie avant de reconnaître le nouveau régime ? Les observateurs sont unanimes : en aucun cas, les dirigeants baasistes ne sauraient accepter les conditions des partisans de Barzani, sous peine de renier l’un des principes fondamentaux de leur parti : « Un seul peuple, une seule nation ».

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