Le Cameroun, nouvel eldorado ?

Aujourd’hui chef de file de la zone franc, le pays doit encore multiplier les initiatives s’il veut séduire davantage d’entrepreneurs étrangers et tirer profit du conflit ivoirien.

Publié le 18 février 2003 Lecture : 7 minutes.

Les investisseurs étrangers n’ont pas attendu la crise ivoirienne pour s’installer au Cameroun. Ses 4,8 % de croissance en 2002, son inflation maîtrisée, son port et son marché intérieur de plus de 15 millions d’habitants ont de quoi attirer les entreprises. Sans oublier son ouverture sur la sous-région, particulièrement sur le géant nigérian et le riche Gabon.
Au début du conflit en Côte d’Ivoire, certains observateurs se sont inquiétés des similitudes entre les deux pays : l’un était la locomotive de l’Uemoa (Union économique et monétaire ouest-africaine), l’autre celle de la Cemac (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale). Tous deux comptent de multiples ethnies… Mais les interrogations se portent aujourd’hui sur un tout autre sujet, à savoir la capacité du Cameroun à tirer parti de la situation. Sur place, la plupart des opérateurs économiques qui apportent un début de réponse préfèrent rester anonymes : au Cameroun, on travaille dans la discrétion. Personne n’ose se féliciter de la chute de la Côte d’Ivoire, même si la crise que connaît Abidjan conduit déjà certaines entreprises à se rabattre sur Accra, Cotonou, Lomé ou Douala. Seuls quelques-uns se laissent aller à l’optimisme, dont les Français, d’habitude circonspects. Jean Mahé, président du Comité d’affaires français, émanation du Groupement interpatronal du Cameroun (Gicam), parle d’« un frémissement ». Camille Ekindi, conseiller économique du président Paul Biya, sent également un regain des investissements directs étrangers (IDE) dans le pays : « Il n’y a toujours rien de concret, mais nous avons un très net succès de salon. Beaucoup de gens se présentent à nous, certains venant directement de Côte d’Ivoire. » Popularité aussi dans le monde du pétrole, commente un autre conseiller du président, Philémon Zoo Zamé : « Les représentants des majors viennent nous voir à présent dans les grands raouts pétroliers, nous ne sommes plus isolés. »
Le Cameroun a des atouts pour devenir le refuge des investisseurs. D’abord, politiquement, le pays est stable, du moins à court terme. Une situation qu’un grand industriel explique ainsi : « Les ethnies sont beaucoup plus individualistes, les alliances plus fluctuantes qu’en Côte d’Ivoire. Ce qui exclut l’idée d’un affrontement entre deux blocs. » Bien sûr, comme partout en Afrique, les prévisions de retour sur investissement se font sur le court terme : une usine doit être rentabilisée en trois ans maximum. Mais, pour l’instant, les opérateurs économiques ne semblent pas inquiets. Ils continuent à investir, faisant même des émules.
En tête de file des investisseurs étrangers, les Français, dont les placements représentent environ 20 % des investissements étrangers au Cameroun. Viennent ensuite les Américains, les Libanais, les Italiens et les Chinois.
Cent soixante filiales de grands groupes hexagonaux, comme TotalFinaElf et Bolloré, y sont déjà implantées. Soit au total plus de deux cents entreprises, dont quelques-unes de droit local qui appartiennent à des Français résidents. En matière de grands contrats, les groupes de BTP français se taillent la part du lion avec la construction de la route Bertoua/Garoua-Boulaï (55 millions d’euros), d’une plate-forme pétrolière pour TotalFinaElf (30 millions d’euros) et, surtout, la première phase des travaux du pipeline Doba-Kribi (230 millions d’euros).
Le programme de privatisations lancé par le Cameroun sur les conseils du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale au milieu des années quatre-vingt-dix est un excellent observatoire de l’évolution des intérêts que suscite le pays. La France s’est assuré une bonne part dans les entreprises étatiques proposées aux appels d’offres : la Camsuco (Cameroon Sugar Company) pour Somdiaa (groupe Vilgrain), qui confère ainsi aux Français un monopole sur le sucre camerounais, les chemins de fer Camrail pour Bolloré en partenariat avec le sud-africain Comazar, la Banque internationale du Cameroun pour l’épargne et le crédit (Bicec) pour la Banque populaire, la Société camerounaise de banque (SCB) pour le Crédit Lyonnais, ou encore Mobilis (téléphonie mobile) pour France Télécom à travers Orange.
Si les Français tiennent la corde, ils ne sont plus seuls en lice. Johannesburg lance, lui aussi, une offensive sur le marché camerounais. D’abord en joint-venture avec Bolloré dans le transport ferroviaire par le rachat de Camrail, puis à travers MTN (Mobile Telephone Network), née du rachat de la licence de téléphonie cellulaire Camtel Mobile dans laquelle les Sud-Africains ont investi 75 milliards de F CFA (114 millions d’euros) pour rattraper le concurrent français Orange. Enfin, récemment, en reprenant la filière thé de la Cameroon Development Corporation (CDC) à travers Brobon Finex Ltd. Un exemple qui doit cependant être nuancé puisqu’il semble de plus en plus évident que Brobon sert de société-écran à un homme d’affaires camerounais.
Les Américains aussi font une entrée remarquée. Non seulement à travers le projet d’oléoduc Tchad-Cameroun (Exxon-Chevron-Petronas) et le partenariat entre Del Monte et la CDC dans la filière banane, mais aussi avec AES-Sirocco, repreneur de la Société nationale d’électricité (Sonel) en concession pour vingt ans. Une privatisation très controversée dans la mesure où elle n’a pas encore permis au pays de retrouver un approvisionnement énergétique suffisant.
Deux autres communautés font parler d’elles : les Libanais, souvent venus de Côte d’Ivoire ou du Congo-Brazzaville, et les Asiatiques. Les premiers ont commencé par investir dans le commerce ou dans le bois. Il sont aujourd’hui très actifs dans l’import-export, l’industrie agroalimentaire et la plasturgie, comme le groupe Hazim. C’est aussi le cas des PME Siplast et de la Société des produits nouveaux. Les Chinois, eux, prennent pied dans le pays par la coopération (réhabilitation de l’hôpital de Buéa, service gynéco-pédiatrique de l’hôpital, Palais des sports de Yaoundé, etc). Quelques-uns s’installent, seuls ou en joint-venture, avec des Camerounais, comme pour l’usine de montage de motoculteurs de Kribi. Mais en matière d’échanges avec l’empire du Milieu, la balance commerciale penche encore en faveur du Cameroun.
Cependant, pour devenir le pays refuge des investisseurs effrayés par la situation de la Côte d’Ivoire, le Cameroun doit encore s’adapter et mener une politique macroéconomique d’incitation à l’investissement. Lors de la première crise ivoirienne, en décembre 1999, le Port autonome de Douala comptait bien récupérer le fret qui s’était détourné d’Abidjan. Ce fut un échec, en raison de la lenteur des procédures de dédouanement. « La mise en place du guichet unique, pour simplifier les démarches de transit, n’a pas encore atteint un niveau d’efficacité satisfaisant, explique Jean-Jacques Samé Epée, délégué général du Syndicat des industriels camerounais (Syndustricam) qui profite des comités inter-ministériels élargis au secteur privé pour faire entendre son point de vue : « Tant au niveau microéconomique que macroéconomique, c’est le rôle de l’État camerounais de faciliter la tâche des investisseurs, dont dépend l’économie. » Et d’ajouter : « Au niveau des procédures administratives, on n’a même pas parcouru la moitié du chemin. Il en va de même pour les impôts : il n’y a aucune incitation fiscale pour les créateurs de PME. Au contraire, la tendance est à la répression. L’administration devrait relâcher la pression sur les entreprises, au moins le temps d’amortir l’investissement de base. […] Déjà, les relations commerciales au niveau de la sous-région sont difficiles, chacun ayant des intérêts économiques propres à défendre, mais nous n’offrons pas pour l’instant de cadre rassurant aux investisseurs des autres continents. »
Autre barrière à l’arrivée massive d’entrepreneurs étrangers : la crise énergétique. La reprise de la Sonel, par la société américaine AES n’a pas, loin de là, résolu les carences. Certains géants de la consommation électrique, comme Alucam (aluminium) ou Cimencam (ciment), demandent depuis des années des gigawatts supplémentaires, qu’AES est incapable de fournir pour l’instant. Des délestages sont prévus jusqu’en 2006, les pannes sont récurrentes, et le plan d’investissement d’AES n’a pas été très bien reçu par l’opinion publique. La presse accuse régulièrement les Américains de rapatrier des capitaux vers le siège, AES-Sirocco à Arlington (États-Unis), qui connaît des difficultés financières. Or, si les pannes de courant ne sont pas insurmontables pour les secteurs de l’import-export ou des services, elles sont en revanche un obstacle important au développement industriel. Le transport, quant à lui, devrait connaître un nouvel essor si les projets de construction et de réhabilitation du réseau routier sont menés à bien dans les délais prévus. Pour l’instant, c’est plutôt « nids d’éléphants », pistes défoncées et accidents à répétition.
Dernier frein, et non des moindres : la corruption. Le Cameroun s’est largement éloigné cette année du haut du podium des pays les plus corrompus, alors qu’il fut auparavant plusieurs fois dans les hauteurs du classement établi par l’Organisation non gouvernementale Transparency International. Néanmoins, les efforts du gouvernement ne suffisent pas à éradiquer ce fléau.
Pour les nouveaux venus, le Cameroun est un marché difficile, mais pas impossible. « Ceux qui prennent le risque d’investir ici aujourd’hui connaissent bien le pays, ont conscience de ses points forts et de ses points faibles, et savent louvoyer dans les méandres de l’administration. Ceux-là croient au Cameroun. Pour attirer les autres, aux Camerounais d’aller vendre leur pays », conclut Jean-Jacques Samé Epée, de Syndustricam. Une stratégie de communication qui passe notamment par le développement du tourisme, longtemps négligé par les autorités. Certains évoquent les chambres d’hôtels qui se remplissent ou la circulation automobile de plus en plus dense : « Ce sont des signes qui ne trompent pas, les étrangers arrivent. » Surtout les hommes d’affaires, à défaut des touristes.

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