L’axe de la Paix

Europe/États-Unis. L’Irak peut-il être désarmé pacifiquement ? Pour les États-Unis, aucun doute : c’est non. La France, l’Allemagne, la Russie et la Chine s’efforcent, sans grand espoir, de faire la preuve du contraire.

Publié le 18 février 2003 Lecture : 4 minutes.

Il y a eu deux moments forts dans la longue interview du président russe Vladimir Poutine à la télévision française, le mardi 11 février, à l’issue de sa visite officielle à Paris. D’abord lorsqu’il a déclaré que la Russie faisait naturellement partie de l’Europe. « Regardez la carte, regardez notre histoire, a-t-il dit en substance. Nous sommes les héritiers de la Grèce, de Rome, de Byzance, nous sommes au coeur de la chrétienté orthodoxe. » Ensuite lorsque, commentant la crise irakienne, il a expliqué que l’ambition de la Russie est l’émergence d’un monde multipolaire, et non pas unipolaire.
Ces propos montrent bien qu’au-delà de la querelle transatlantique sur l’Irak, nous assistons à une rébellion des grands pays européens contre l’hégémonie planétaire que les États-Unis sont parvenus à imposer depuis l’effondrement de l’Union soviétique, il y a une douzaine d’années. L’idée qu’une puissance unique puisse imposer sa volonté au reste du monde et faire la guerre à qui bon lui semble est catégoriquement rejetée.
La rébellion s’étend bien au-delà de l’Europe, puisque la Chine, à son tour, a apporté son soutien à la déclaration commune solennellement rendue publique, le 10 février, par la Russie, la France et l’Allemagne, et lue à l’Élysée par le président Jacques Chirac en personne. Elle indique que le désarmement de l’Irak, conformément aux résolutions de l’ONU, est l’objectif de la communauté internationale, mais qu’il existe une alternative à la guerre. L’usage de la force ne saurait être qu’un ultime recours.
En apparence, la querelle porte sur la meilleure façon de priver Saddam Hussein de l’arsenal d’armes chimiques, biologiques et nucléaires qu’il est censé posséder. Les États-Unis affirment qu’en raison des mensonges et des tromperies dont le raïs est coutumier, il faut le faire par la force. Ils sont soutenus par le Premier ministre britannique Tony Blair – son allié le plus fidèle, certains diraient le plus servile – mais aussi par l’Espagne, le Portugal, l’Italie, le Danemark et un petit groupe de pays d’Europe de l’Est récemment convertis à la démocratie. À l’opposé, la France, l’Allemagne, la Russie et la Chine, appuyées par une bonne partie de l’opinion mondiale, considèrent que l’Irak peut être désarmé pacifiquement par les inspecteurs des Nations unies, auxquels il faut donner le temps et les moyens d’achever leur travail.
Tel est l’essence de ce qu’on a appelé le plan franco-allemand, tel que l’expose un document de travail français remis aux chefs des inspecteurs et aux membres du Conseil de sécurité (voir encadré). On sait que ce plan a été rejeté avec mépris par les États-Unis et la Grande-Bretagne.
La querelle a divisé l’Union européenne, ébranlé la cohésion de l’Alliance atlantique et paralysé le Conseil atlantique. Elle a attisé l’antiaméricanisme en Europe et l’antieuropéanisme en Amérique. On a échangé des volées d’insultes par-dessus l’Atlantique. La France, en particulier, a été l’objet d’un tir de barrage de la part des éditorialistes américains de droite, qui l’ont accusée de se montrer ingrate, de jouer l’apaisement et de manquer de fibre morale. Thomas Friedman, le columnist du New York Times, veut lui faire retirer son siège de membre permanent du Conseil de sécurité (voir ci-contre), tandis que Jonah Goldberg, de la National Review Online, la traite de « pays de singes capitulards mangeurs de fromage » (nation of cheese-eating surrender monkeys), expression allègrement reprise par beaucoup d’autres. Bref, c’est le pire affrontement qu’ait connu l’Occident depuis des décennies.
Le front du refus européen peut-il empêcher la guerre contre l’Irak ? Il faudrait un miracle – par exemple, que le président George W. Bush prenne soudainement conscience de ses responsabilités historiques – pour arrêter la machine de guerre américaine. La mise en place du dispositif militaire se poursuit inexorablement. Cent trente mille hommes sont déjà sur place, d’autres vont arriver. Le Kitty Hawk a quitté le détroit de Taiwan et fait route vers l’océan Indien, où il va rejoindre quatre autres porte-avions, tous à portée de tir de l’Irak. La 101e Division aérienne, celle-là même qui, en 1991, a lancé contre l’Irak la plus grande attaque par hélicoptères de l’Histoire, est elle aussi en chemin.
Selon toute vraisemblance, ni l’exaspération de la guerre diplomatique transatlantique, ni l’apparition au sein de l’Otan d’un axe antiguerre (France, Allemagne, Belgique), ni les manifestations pacifiques qui se multiplient à travers le monde, ni le caractère relativement nuancé du rapport remis par les inspecteurs au Conseil de sécurité, ni les liens plus que douteux supposés entre l’Irak et el-Qaïda (malgré le dernier appel lancé par Oussama Ben Laden aux musulmans pour qu’ils se mobilisent contre les croisés de l’Occident) ne parviendront à arrêter les faucons de Washington. Si la guerre paraît inéluctable, reste à prévoir la date de son déclenchement. Début mars ? C’est l’hypothèse la plus probable.

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