Criquets pèlerins : les dégâts pourraient atteindre 8,5 milliards de dollars en Afrique de l’Est
Alors que la saison des récoltes approche, l’Éthiopie, la Somalie et le Kenya sont particulièrement touchés par la prolifération des criquets pèlerins. La Banque mondiale a approuvé une aide de 500 millions de dollars pour l’Afrique de l’Est.
Pour David Malpass, le président de la Banque mondiale, il s’agit de « la pire invasion de criquets depuis des décennies ». Du Moyen-Orient à l’Asie du Sud, en passant par l’Afrique de l’Est, les essaims avancent, « décimant les moyens d’existence des gens, dévorant les ressources sur son chemin », relatait-il dans une conférence de presse, le 21 mai, alors que la Banque mondiale venait d’approuver un programme de 500 millions de dollars (456 millions d’euros) à destination de l’Afrique de l’Est, où 22,5 millions de personnes sont déjà en insécurité alimentaire, selon l’institution.
Assistance immédiate, livraison de graines et de fourrage d’urgence, investissement dans la reprise de l’agriculture, dans la surveillance et les systèmes d’alerte précoce : la première phase de 160 millions de dollars (147 millions d’euros) concerne Djibouti, l’Éthiopie, le Kenya et l’Ouganda. « Ces pays vont avoir à mettre en place un réponse qui soit à la fois extrême et complète », affirme Holger Kray, directeur de cabinet de la sécurité alimentaire et agricole de la Banque mondiale.
Alors que l’invasion dans la Corne de l’Afrique a débuté en décembre 2019, les criquets pèlerins – considérés parmi les nuisibles volants les plus dangereux – de la deuxième génération née en Afrique se développent et devraient former des essaims destructeurs fin juin, ce qui coïncide avec le début de la saison des récoltes.
Une lutte ralentie par le Covid-19
Le tout alors que les pays font aussi face à la crise économique liée au coronavirus. Celle-ci affecte d’ailleurs la lutte contre les criquets : au-delà de la hausse des coûts du fret aérien et de l’impossibilité de faire venir des experts étrangers dans la zone, les délais d’approvisionnement en matériel ont été ralentis.
« En Somalie par exemple, on a enregistré cinq semaines de retard sur les livraisons. C’est énorme en comparaison de la durée de vie d’un criquet qui est de 10 à 12 semaines », explique Cyril Ferrand, coordinateur de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) pour les programmes de résilience en Afrique de l’Est. La situation est d’autant plus compliquée que Mogadiscio n’a pas enregistré les pesticides conventionnels, et est de ce fait dépendant uniquement de biopesticides fournis par le Maroc. Ses voisins bénéficient au contraire d’une stratégie d’approvisionnement multiple, ce qui réduit le risque de rupture.
« La menace sera un peu moins forte au Kenya, où la plupart des essaims précédents ont été traités, mais reste forte pour l’Éthiopie et la Somalie, » commente Mehari Ghebre, responsable de l’information et des prévisions pour l’Organisation de lutte contre le criquet pèlerin en Afrique de l’Est (DLCO-EA).
Au moins 2,5 milliards de dollars de dégâts
Grâce aux organismes de contrôle comme la FAO, au moins 365 000 hectares ont été traités en Afrique de l’Est et au Yémen et 740 personnes formées depuis janvier, indique la FAO. Mais le nombre d’insectes était tel qu’une partie a survécu aux opérations intensives de contrôle et les comtés kényans de Samburu, Marsabit et Turkana restent très touchés. En Éthiopie, les nouveaux criquets ont éclos en nombre dans la région centrale d’Oromia et la reproduction se poursuit dans la région de l’Est, où de grands essaims sont arrivés de Somalie.
Dans le reste de la Corne – Djibouti, Érythrée, Soudan, Soudan du Sud et Ouganda -, une faible reproduction a été rapportée mais quelques essaims issus des pays voisins ont été enregistrés. La Tanzanie semble avoir échappé au pire et n’a relevé la présence d’aucun criquet sur le mois d’avril.
Difficiles à estimer tant que le fléau continue, les dommages s’élèveraient à au moins 2,5 milliards de dollars dans la Corne de l’Afrique et au Yémen, selon la Banque mondiale. Sans contrôle de la situation, les dégâts pourraient atteindre 8,5 milliards de dollars.
Une coopération laborieuse
« Les criquets ne connaissent pas de frontières. Quand cette peste volante atteint un pays, cela va immédiatement en impacter d’autres », avertit Holger Kray, à la Banque mondiale. Mais la coordination régionale reste limitée. « Les gouvernements n’ont pas d’actifs qu’ils peuvent partager, pas d’avions, pas de produits chimiques », rappelle Mehari Ghebre. Seuls « les gouvernements kényan et ougandais autorisent [la DLCO] à faire des opérations transfrontalières », poursuit l’expert, pour qui « ce type d’action doit être développé ».
Malgré l’absence de programme commun, la DLCO et la FAO ont tenté de coordonner les actions, à travers des formations conjointes, d’opérations de surveillance, de contrôle et sensibilisation et surtout, à travers le partage d’informations. La FAO a également pu coordonner du prêt de matériel et redistribuer en Afrique de l’Est des stocks de pesticides venus du Maroc, du Mali et de la Mauritanie.
Le principal point noir de la lutte contre le criquet dans la région reste la Somalie, où la situation sécuritaire du centre et du sud du pays – en proie depuis des années aux attaques des shebab, groupe islamiste affilié à Al-Qaïda – empêche les organismes internationaux d’envoyer des agents. « On en est réduits à attendre que ce soient les criquets qui avancent dans des zones où l’on peut agir », déplore Cyril Ferrand.
Un risque d’expansion vers l’Ouest ?
Les experts sont partagés sur la question du risque de propagation des essaims vers l’Afrique de l’Ouest. Un sujet pris très au sérieux par la FAO, qui juge le risque « moyen » et a lancé en mai un nouvel appel de fonds de 50 à 75 millions de dollars pour mener des opérations d’anticipation au Tchad, au Burkina Faso, au Mali, en Mauritanie, au Niger, au Sénégal, au Cameroun, en Gambie et au Nigeria.
Responsable de l’information et des prévisions pour l’Organisation de lutte contre le criquet pèlerin en Afrique de l’Est (DLCO-EA), Mehari Ghebre, est plus réservé : « Les criquets ne peuvent pas voler à l’encontre du vent, qui souffle vers l’Est en juin, juillet et août ». Selon l’expert, la propagation de nuisible ne sera possible qu’à partir de septembre ou octobre, lorsque les vents balayeront la péninsule arabique vers l’Afrique de l’Est.
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