Encore plus d’inégalités

La croissance de ces dernières années a renforcé le déséquilibre déjà important entre les riches et les autres.

Publié le 18 février 2003 Lecture : 3 minutes.

«Ploutocratie. » Le mot est lâché, non pour évoquer un quelconque pays émergent mais la première puissance mondiale. C’est ainsi que Paul Krugman, économiste, professeur à l’université américaine de Princeton et éditorialiste au New York Times, qualifie ce qu’est devenu son pays. Dans les colonnes du New York Times Magazine, Krugman démonte le mécanisme qui a permis à une poignée de familles très riches de faire main basse sur les États-Unis aux dépens des classes moyennes et des plus démunis. De récentes études révèlent que le gouffre qui sépare les « haves » (ceux qui possèdent) des « have-nots » (ceux qui n’ont rien) s’est creusé de manière effarante.
Le salaire moyen annuel aux États-Unis est passé de 32 522 dollars en 1970 à 35 864 dollars en 1999, hors inflation, soit une hausse de 10 % en 29 ans. Durant la même période, la rémunération annuelle des cent chefs d’entreprise les mieux payés est passée de 1,3 million de dollars à 37,5 millions de dollars, soit une hausse de 2 784 % sur la même période. Krugman montre qu’une part croissante des revenus est accaparée par 20 % des ménages et, dans ces 20 %, par les 5 % les plus riches, et à l’intérieur de ces 5 %, par les 1 % les plus fortunés. Il s’appuie notamment sur une étude menée par des économistes français Thomas Piketty et Emmanuel Saez, fondée sur les déclarations fiscales des ménages aisés américains de 1913 à 1998. L’élargissement du fossé date des trente dernières années. En 1970, 0,01 % des contribuables les plus fortunés disposaient de 0,7 % du revenu national. En 1998, ces 0,01 % ont perçu plus de 3 % de la richesse nationale. Ceci signifie que les 13 000 familles les plus riches affichaient en 1998 un revenu presque égal à celui des 20 millions de ménages les plus modestes.
Que s’est-il passé ces dernières années ? Une récente étude de la Réserve fédérale américaine (FED) apporte une réponse claire. La richesse nette des 10 % des familles les plus aisées a crû de 69 % entre 1998 et 2001, passant de 492 400 dollars à 833 600 dollars. Sur la même période, la richesse nette des 5 % les plus pauvres a connu une hausse de 24 %, atteignant 7 900 dollars en 2001. La FED indique que les bénéfices du boom économique de la fin des années quatre-vingt-dix ont été importants, mais que les fruits de la croissance ont été très inégalement distribués.
Ce n’est pas la « Bush economy » qui y changera quelque chose. Le nouveau plan économique de l’administration Bush prévoit une baisse des impôts de 674 milliards de dollars sur dix ans. Et la mesure phare consiste à supprimer la double imposition des dividendes. Elle profitera surtout à la minorité des familles les plus riches, comme viennent de le dénoncer dix Prix Nobel d’économie. Il est vrai que dans son discours sur l’état de l’Union, Bush a aussi annoncé quelques mesures sociales comme la création de chèques-emplois personnels permettant aux chômeurs de financer leur formation et la recherche d’un travail. Mais le « trickle down » – les plus démunis profiteraient à terme de l’enrichissement du haut de l’échelle sociale – reste la doctrine maîtresse des républicains. Cependant, les chiffres démontrent les limites de cette croyance. Selon Krugman, c’est la collusion entre les intérêts de la sphère économique et ceux de la sphère politique qui favorise l’aggravation des inégalités. Si les hommes politiques s’allient aux familles les plus fortunées pour faire main basse sur la richesse nationale, la démocratie américaine n’est en effet plus loin de mériter le vocable de ploutocratie.

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