En attendant le casus belli…

Publié le 18 février 2003 Lecture : 5 minutes.

Les dirigeants américains peuvent-ils encore renoncer à envahir l’Irak pour changer son régime ? De moins en moins de gens le croient ; la très grande majorité des observateurs, dont je suis, pense :
– qu’ils en ont trop fait et trop dit, que leurs préparatifs sont trop avancés pour pouvoir arrêter, sans dommage sérieux pour leur crédibilité, la machine qu’ils ont eux-mêmes mise en marche ; en outre, de cette « guerre annoncée » ils ont un besoin psychologique : la victoire escomptée leur donnerait un peu plus de confiance en la stratégie adoptée depuis le 12 septembre 2001 ;
– que la situation actuelle – la guerre est annoncée, mais on ne sait ni quand elle éclatera, ni combien de temps elle durera, ni l’ampleur des perturbations qu’elle provoquera dans l’approvisionnement pétrolier – ne peut pas se prolonger plus de quelques petites semaines.
Utilisant une fois de plus une formule inadéquate, le président George W. Bush a déclaré, le 6 février, « The game is over », que je traduirais librement par : « Les préliminaires, l’ère des escarmouches et des fleurets mouchetés sont terminés, nous allons passer à l’action et écrabouiller Saddam… »
Ce que son secrétaire d’État, Colin Powell, a, une semaine plus tard, le 12 février, formulé plus diplomatiquement comme ceci : « Nous approchons du moment de vérité… »
Grâce au discours du président Bush sur l’état de l’Union (le 28 janvier) et à la prestation de Colin Powell devant le Conseil de sécurité (le 5 février), les dirigeants de Washington sont parvenus à rallier à leur politique belliciste plus de 50 % de l’opinion publique américaine.
C’était le préalable, la condition sine qua non : désormais, ils peuvent faire la guerre avec la certitude que leur opinion publique adhère, que la cote du président sera au plus haut une fois qu’ils auront gagné la partie et liquidé Saddam Hussein, comparé à Hitler ou même au diable.
Ils ont réussi à s’entourer d’une « petite coalition » de pays européens, dont les gouvernants ont accepté de braver leur opinion hostile à cette opération militaire, et de pays arabes du Moyen-Orient, dont les dirigeants, impopulaires et terrorisés, ont, plus ou moins secrètement, confirmé aux États-Unis qu’ils étaient toujours leurs laquais
Problème inattendu : la rébellion ouverte de la France, de l’Allemagne et de la Belgique, alliés traditionnels des États-Unis et ténors de l’Otan ; l’extension de cette rébellion à la Russie et à la Chine ; l’audience et la résonance qu’elle trouve sur tous les continents.
À vrai dire, dans (presque) tous les pays, et depuis plusieurs mois, l’opinion publique et les intellectuels sont majoritairement hostiles à ce projet de guerre contre l’Irak et le disent sur tous les tons. Faites le tour de la planète : vous ne trouverez que deux pays sur les 191 que compte l’ONU dont les gouvernements veulent cette guerre, et 50 % de la population, ou un peu plus, l’acceptent : les États-Unis et Israël.
Qui représentent, ensemble, moins de 5 % de la population mondiale
Je crois personnellement que ni la rébellion ou la défection de certains de leurs alliés, ni l’hostilité de la majorité de l’opinion publique non américaine n’arrêteront les actuels dirigeants américains.
L’ONU, son secrétaire général et ses inspecteurs ? Ils les mettront dans leur camp ou les contourneront. Les pays rebelles ? Ils les diviseront. Les autres membres du Conseil de sécurité ? La carotte et le bâton…
De quoi ont-ils besoin pour passer à l’action, au jour choisi par eux ? D’un casus belli et rien de plus. Ils en trouveront un, plus ou moins réel, plus ou moins crédible, et nous mettront tous devant le fait accompli.
Leur doctrine ? « Il faut réussir. Lorsque nous aurons réussi, personne ne viendra nous chercher querelle sur les moyens que nous aurons employés… »
Peut-être que je me trompe et que je prête à Bush, Cheney, Rumsfeld et consorts trop de force et de cynisme.
Le proche avenir le dira
En attendant, voici un lot d’informations qui me viennent de Washington même, et de très bonne source. Lisez : vous verrez que c’est à la fois significatif et édifiant.
Des adjoints directs de MM. Bush, Cheney et Rumsfeld préparent l’après-Saddam depuis août dernier ; dans le plus grand secret, ils ont rassemblé, écouté, mis au travail, observé et évalué des dizaines et des dizaines d’Irakiens candidats à un poste élevé au sein de la succession au régime de Saddam.
Plusieurs groupes de travail ont été constitués, tous les secteurs d’activité ont été passés en revue et l’on a arrêté les décisions à prendre lorsque ces « Irakiens libres », sélectionnés – et entretenus – par la CIA, et dont l’identité est tenue secrète, seront au pouvoir.
Il a été exigé d’eux de prendre d’ores et déjà deux engagements principaux sur les deux sujets qui se sont ainsi confirmés être, en dépit de toutes les dénégations, ceux qui intéressent le plus les dirigeants américains.

Pétrole
Tout a été examiné : réserves prouvées – 112 milliards de barils – et réserves probables, évaluées au double ; investissements et nombre d’années nécessaires pour réparer les dommages de guerre, moderniser l’exploitation et l’évacuation ; évolution du prix du baril après la fin de la guerre et moyens de le ramener entre 18 et 22 dollars avant la fin de 2003.
Et last but not least : répartition des revenus entre le futur pouvoir irakien et les sociétés (américaines) exploitantes, après prélèvement de ce qui sera dû aux États-Unis (et à la coalition) pour payer « la guerre de libération » de l’Irak.
C’est sur ce dernier point de la répartition des revenus que les « Irakiens libres » ont été priés de s’engager fermement.

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Israël
Sur ce sujet, les choses ont été encore plus claires : les Américains ont demandé à leurs interlocuteurs irakiens de prendre, par écrit, un engagement très précis : le futur gouvernement de Bagdad devra, dans les six mois, reconnaître Israël et échanger avec lui des relations diplomatiques.
Il a même été fait le calcul suivant : Israël est déjà reconnu par l’Égypte, la Jordanie et la Mauritanie, soit 80 millions d’Arabes. Avec l’Irak, le cap des 100 millions sera dépassé
Au-delà de ces préparatifs se profile une perspective grandiose, déjà évoquée : l’axe Ankara-Bagdad-Jérusalem.
C’est à partir de cet axe que les États-Unis de Bush, Cheney et Rumsfeld se proposent de construire le Moyen-Orient de demain…
Si vous croyez, comme moi, à l’exactitude des informations ci-dessus, vous conclurez, vous aussi, que Bush, Cheney et Rumsfeld sont trop engagés dans leur grandiose entreprise pour se laisser arrêter en si bon chemin par qui que ce soit.

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