Du rififi à la BCEAO
Droit du travail. Deux de ses anciens employés poursuivent la représentation parisienne de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest pour rupture abusive de contrat. Et sont en passe de gagner leur procès.
La représentation parisienne de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), établie dans le 8e arrondissement de la capitale française, est sous les feux de l’actualité. Elle est l’objet d’une procédure judiciaire engagée par Dieudonné-Michel Kolani et Koku Nyonyo Yabressi, deux anciens employés de l’établissement engagés en France avec un statut de personnel local respectivement comme chauffeur et réceptionniste-huissier.
Le litige est loin d’être une affaire anodine de droit du travail entre un employeur et des membres de son personnel subalterne. Il pose le problème du difficile compromis entre l’immunité de juridiction et d’exécution reconnue à la Banque en France, le statut de diplomate de ses agents expatriés et le respect des règles de droit social français. Pour ces diverses raisons, le dossier est suivi de près par le ministère français des Affaires étrangères.
L’affaire remonte au mois de mai 1999. Dieudonné-Michel Kolani et Koku Nyonyo Yabressi sont embauchés à deux jours d’intervalle, les 3 et 5 mai. Après trois mois d’essai, tous les deux se voient confirmer à leurs postes. On leur propose un contrat à durée déterminée courant du 21 avril 2000 au 30 avril 2001. Un an après, l’un et l’autre reçoivent une lettre datée du 17 avril 2001 leur annonçant la fin de leurs relations de travail avec la Banque à compter du 31 avril 2001.
Les deux ex-collègues commettent le cabinet de Me Florence Achache, avocat au barreau de Paris, qui saisit le conseil de prud’hommes de la capitale française, le 28 mai 2001. Ils contestent « la décision [de leur employeur] prise en violation des règles du droit du travail, estimant que le contrat de travail à durée déterminée n’était pas valable puisque leurs postes étaient destinés à pourvoir des emplois stables au sein de la BCEAO et qu’ils devaient en conséquence bénéficier d’une procédure de licenciement ».
Le 9 janvier 2002, après moult débats et renvois, une première décision de forme est rendue. Le tribunal décide la jonction des dossiers des sieurs Kolani et Yabressi du fait de leurs ressemblances, se déclare compétent pour juger l’affaire et renvoie les parties à plaider au fond à l’audience du 6 février 2002.
La BCEAO forme un contredit, le 25 janvier. Par la voie de son avocat Me Seyni Loum, la Banque affirme qu’elle bénéficie, au regard de l’article 11 de l’accord de coopération du 4 décembre 1973 conclu entre la France et les États membres de l’Union monétaire ouest-africaine (Umoa), d’une totale immunité de juridiction et d’exécution sur le territoire français. En d’autres termes, elle ne saurait être jugée ni se voir appliquer une décision de justice en France. Elle ajoute ne pas avoir à remettre d’attestation Assedic à ses deux ex-employés, s’estimant non affiliée à cet organisme, et non soumise au droit du travail français.
Les demandeurs, qui avaient un statut de personnel local, rappellent le dernier alinéa du contrat-type qui les lie à la BCEAO : « Le présent contrat est soumis aux dispositions du code du travail français et des prescriptions légales et réglementaires en vigueur en France. » L’avocat ajoute que ses clients disposaient d’une ancienneté supérieure à dix-huit mois au moment de la rupture de leurs contrats de travail. Ces contrats étaient donc automatiquement devenus à durée indéterminée, comme le prévoit le code du travail.
Le 21 novembre 2002, le conseil de prud’hommes de Paris condamne la BCEAO à payer respectivement à Kolani et à Yabressi les sommes de 20 071,77 euros et 17 937,46 euros couvrant l’indemnité de préavis, les congés payés, l’indemnité de licenciement, l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il ordonne en outre à la Banque de remettre, à chacun, une attestation Assedic.
Le 24 janvier 2003, l’avocat de la BCEAO attaque cette décision devant la cour d’appel de Paris. Et fait prévaloir deux arguments principaux : le premier juge a méconnu l’immunité de la Banque, d’une part ; et, de l’autre, la Banque avait la possibilité de se séparer à tout moment de ses deux employés au regard de l’objet du contrat qui les liait. L’article 1er de celui-ci stipule, en effet, que les demandeurs ont été embauchés « en vue de faire face à un accroissement temporaire d’activité. Cet accroissement temporaire d’activité découle de la transformation du bureau de la BCEAO à Paris en une représentation auprès des institutions européennes de coopération. »
En attendant que la décision soit connue au deuxième degré, le bureau parisien de la Banque ouest-africaine se retrouve dans une situation paradoxale. Il n’a qu’un seul chauffeur pour un parc automobile de quatre véhicules. Et il ne peut en embaucher d’autres, sous peine de corroborer la thèse du licenciement abusif de Kolani et de Yabressi, donc d’encourir une condamnation plus sévère en appel.
Mais, devant le besoin pressant, certaines sources indiquent que la Banque fait appel à des personnes qu’elle utiliserait « au noir ». L’exigence d’une autorisation spéciale délivrée par le Quai d’Orsay pour pouvoir conduire un véhicule immatriculé CD n’étant pas de nature à faciliter les choses. « Nous suivons de très près ce problème qui risque d’avoir de graves conséquences. Imaginez le gouverneur Charles Konan Banny, de passage à Paris, transporté par des travailleurs non autorisés à piloter des voitures du corps diplomatique ! Imaginez l’imbroglio diplomatique en cas d’accident », s’inquiète un fonctionnaire du Quai d’Orsay.
Pourquoi licencier, est-on tenté de se demander, des employés dont on continue à avoir besoin ? Ainsi en a, de toute façon, décidé Souleymane Cissé, représentant de l’institution à Paris depuis juillet 2000. Pour quelles raisons ? Au nom de quelle logique ? Des supputations – non vérifiées – disent qu’il aurait voulu placer certaines personnes aux postes qu’il a libérés. Mais que la procédure de justice engagée par la suite ne lui a pas laissé le temps de mettre son plan à exécution.
Nous avons voulu interroger Souleymane Cissé sur cette affaire. En vain. Nous nous sommes heurtés au mur de béton de son secrétariat qui n’a cessé de nous répondre qu’il était « occupé » ou « en réunion ». Avant de nous faire savoir qu’il était « en dehors de la France ».
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