[Tribune] Coronavirus : croire que rien ne va changer, voilà l’illusion 

Qui peut croire que nous pourrions recommencer à vivre dans un monde qui a envoyé des hommes sur la Lune mais ne sait pas produire des masques pour se protéger ? Ce serait ridicule.

Un jeune garçon passe devant un mur avec des graffitis exhortant les gens à porter des masques à Harare, au Zimbabwe, le 28 mai 2020. © Tsvangirayi Mukwazhi/AP/SIPA

Un jeune garçon passe devant un mur avec des graffitis exhortant les gens à porter des masques à Harare, au Zimbabwe, le 28 mai 2020. © Tsvangirayi Mukwazhi/AP/SIPA

Alioune Sall
  • Alioune Sall

    Alioune Sall est docteur en sociologie, directeur exécutif de l’Institut des futurs africains (IFA).

Publié le 21 juin 2020 Lecture : 3 minutes.

Tout le monde parle déjà de l’après-Covid, alors même que la crise est loin d’être terminée. Il est vrai que des questions se posent et que rien n’interdit de chercher à y répondre. L’une des premières concerne la nature même de cette crise, qui n’est pas seulement sanitaire et économique, mais aussi culturelle. Quelle est la narration autour de cette épidémie ? Diffère-t-elle de celle qui a été élaborée lors des précédentes ?

On peut aussi s’interroger sur les relations internationales : avec cette crise, c’est le sort de certaines institutions – l’OMS, pour ne pas la nommer – qui se joue. Et, bien sûr, il y a des interrogations anthropologiques. Comment les sociétés ont-elles réagi, comment ont-elles décidé qui elles laissaient mourir et qui allait vivre ?

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Un rapport magique au temps

Avant de réfléchir à l’après-crise, il faut donc penser la crise elle-même. Ce travail est difficile. D’abord, parce que la situation est d’une extrême complexité. Ensuite, parce que nous ne savons pas à quel moment commencera l’« après ». Il est nécessaire de déterminer à quelle date nous reviendrons à la normalité, mais même les experts divergent sur ce point. Certains parlent de la fin de 2020, d’autres de 2022… L’horizon de l’entrée dans l’ère post-Covid s’éloigne à mesure que nous pensons nous en approcher. Troisième difficulté, commune à toutes les situations de crise : ce n’est jamais le bon moment de dire qu’il aurait fallu anticiper.

Aurait-on pu ou dû agir plus tôt ? Le problème tient au fait que, lorsque tout va bien, personne ne voit pourquoi les choses iraient mal. C’est particulièrement vrai en Afrique, où nous entretenons un rapport quasi magique au temps, où l’on se refuse à envisager le pire de peur de le provoquer. Nos chefs refusent de préparer l’après-soi, personne ne veut penser la mort… Et lorsque, à l’inverse, tout va mal, le fait de réfléchir à long terme est vu comme un alibi pour ne pas gérer les urgences.

La sidération des Occidentaux

Ce qui restera de cette crise, c’est l’effet de sidération qui a frappé les puissances occidentales. On les a vues agir en ordre dispersé, commettre des erreurs que l’on reproche habituellement aux Africains. Lorsque les États-Unis ont décidé de fermer leurs frontières aux Européens, ces derniers ont fait l’expérience de l’ostracisme, du statut de pestiférés qu’on réserve d’ordinaire aux Africains. Nous avons regardé cela avec un intérêt teinté d’égoïsme, et même d’un certain cynisme. Ainsi, les donneurs de leçons peuvent se trouver aussi démunis que nous ! Nous avons ri, un peu, mais c’était d’un rire jaune.

Néanmoins, cela a mis les Africains en position de dire aux Occidentaux qu’ils n’ont pas les réponses à tous les problèmes. Cela a rétabli une certaine égalité face à l’urgence, nous a autorisés à porter un regard décomplexé sur l’Occident. Et ce d’autant plus que l’Afrique s’est découvert un savoir-faire et un potentiel innovant. Nous avons fabriqué des robots, des respirateurs… La chloroquine, que nous connaissons bien, et certaines plantes africaines sont devenues dignes d’intérêt. Cette confiance retrouvée, cette idée que nous pouvons contribuer à quelque chose, tout cela peut avoir une influence sur nos complexes, sur notre fameuse « servitude volontaire ».

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Solidarité et humilité

Ces réflexions nous conduisent à la question du monde d’après, qui devra forcément être plus solidaire, plus humble, plus humain. Utopie ? Aujourd’hui, c’est plutôt le fait de croire que l’on pourra revenir au business as usual qui relève de l’utopie ! Même si on le voulait, on ne pourrait plus revenir en arrière. Comment imaginer relancer l’économie de marché sans se poser la question de la place de l’homme ? L’heure est sans doute venue de cesser de croire que nous autres, humains, représentons le nec plus ultra de la Création.

Il nous faut repenser notre rapport aux biotopes, et pas uniquement sous le prisme du réchauffement climatique. Ce dernier est révélateur de ce que nous traversons, naturellement, mais c’est notre attitude vis-à-vis du vivant au sens large qu’il nous faut reconsidérer. Nous sommes entrés dans une crise de l’anthropocène, ce système qui ne fonctionne qu’en soumettant les autres formes de vie, qu’en négociant des « droits à polluer »… Qui peut croire que nous pourrions recommencer à vivre dans un monde qui a envoyé des hommes sur la Lune mais ne sait pas produire des masques pour se protéger ? Ce serait ridicule. Et tragique.

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