Cinq défis pour une Côte d’Ivoire pacifiée

Publié le 18 février 2003 Lecture : 4 minutes.

Au lendemain de l’accord de Linas-Marcoussis, le président Gbagbo semblait hésiter entre deux tentations : celle de réaliser enfin les conditions d’une stabilité politique pluriethnique en Côte d’Ivoire et celle de déclarer « moi ou le chaos ». Tout laisse penser cependant que le risque pour le pays et la région se résume en quelques mots : Gbagbo et le chaos.
Un État d’un tel poids géopolitique et économique ne peut impunément sombrer dans la guerre civile sans le payer par des années de développement perdues. La Côte d’Ivoire ne peut tomber plus bas. Deux voies s’ouvrent alors : celle d’une dérive à la zaïroise – une « Yougoslavie subsaharienne » -, ou bien une reprise en main de son destin par une population réconciliée d’abord par l’instinct de survie plus que par celui d’une solidarité retrouvée. Sous un gouvernement élu démocratiquement qui respecte bonne gestion et État de droit. Dans l’hypothèse d’une application rapide de l’accord de Marcoussis du 24 janvier 2003, le prochain gouvernement devra dans l’urgence s’attaquer à cinq défis économiques majeurs :
Sortir de la récession. La Côte d’Ivoire est en récession depuis trois ans. Le Produit intérieur brut (PIB) par tête stagne à 630 euros (moins de la moitié de celui du Maroc), et l’espérance de vie à environ 50 ans ! La priorité est de relancer l’économie tout en contenant l’inflation qui ne cesse de grimper sous l’effet de la pénurie d’offre. La partition de facto du territoire entraîne une grave perturbation des transports. La relance par le commerce extérieur est urgente alors même que le pays ne bénéficie aujourd’hui ni de la hausse des cours de l’or, ni de celle du pétrole, ni pleinement de celle du cacao dans un marché qu’il a contribué à déséquilibrer faute de pouvoir exporter à plein régime. Le cacao représente près du quart des recettes annuelles d’exportations et son cours a doublé par rapport au niveau moyen de 2001 : il a atteint en 2002 près de 2 300 dollars la tonne. La condition de cette reprise est la libération des axes de transport routier, ferroviaire et maritime.
Relancer l’investissement local. Le taux d’investissement par rapport au PIB a chuté de plus de la moitié en vingt ans, pour atteindre 11 %. La fuite des capitaux, la baisse de l’épargne et les arriérés intérieurs ont asséché les comptes des banques locales. La relance du crédit ne se décrète pourtant pas, elle est fondée sur un retour à la confiance et à la viabilité des projets. Elle suppose d’abord l’apurement des impayés du secteur public envers le système bancaire local.
Stimuler l’investissement étranger. L’investissement direct étranger est devenu marginal. Les quelque six cents petites et moyennes entreprises gérées par des Français, et qui emploient près de la moitié de la population salariée du pays souffrent de l’assèchement du crédit et de la rupture des approvisionnements. Les privatisations sont en panne tout comme la réforme du secteur financier et de l’énergie. Comment redonner confiance aux investisseurs et aux créanciers alors que, dans le classement des pays en matière de risque, la Coface (groupe d’assurances et de services aux entreprises) place désormais le pays en catégorie D, la plus élevée en termes de menace, à l’instar du Soudan et du Kirghizistan ? Des couvertures de risque, des cofinancements privés, une reprise des privatisations et des opérations de conversion de dette seront indispensables pour réamorcer les flux d’investissement encouragés.
Réduire les charges d’endettement et mobiliser les bailleurs de fonds. La Côte d’Ivoire est plus que jamais dépendante de l’aide extérieure. Sa dette atteint environ 90 % du PIB et équivaut à une année et demie de recettes d’exportations. Elle est passée à neuf reprises devant le Club de Paris, la dernière fois en avril 2002, date à laquelle elle a bénéficié du traitement d’allègement de dette le plus généreux.
Mais, ironie cruelle, le pays a sombré dans le chaos en septembre dernier, au moment même où il était supposé atteindre le point critique de décision pour l’application d’une nouvelle réduction de dette exceptionnelle dans le cadre, cette fois, de l’initiative des Pays pauvres très endettés (PPTE). La Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) ont suspendu leurs décaissements, alors que la première a des engagements de plus de 500 millions de dollars sur une douzaine de projets (transport, secteur financier, santé, réduction de la pauvreté) et que le FMI avait approuvé 365 millions de dollars sur trois ans au printemps 2002. Les arriérés envers les bailleurs de fonds bilatéraux ont repris de l’ampleur après une résorption passagère. Ils mettent en péril les tirages sur les programmes d’aide alors que le pays doit rembourser au seul FMI 375 millions de dollars au cours des quatre prochaines années. Le nouveau gouvernement devra donc solliciter des bailleurs de fonds une renégociation de grande ampleur de ses échéances assortie d’un refinancement de ses arriérés et d’une aide « cash » d’urgence pour remettre en état les infrastructures.
Garantir une bonne gouvernance. L’indice de la corruption établi par l’organisation non gouvernementale Transparency International classe la Côte d’Ivoire au 71e rang sur 102, toujours mieux que le Cameroun et l’Ouganda, mais moins bien que l’Ouzbékistan ! L’enjeu majeur du nouveau gouvernement sera d’asseoir enfin les conditions du développement durable, non seulement par la réconciliation pluriethnique, mais aussi par la transparence et par une gestion rigoureuse des deniers publics.
C’est à ce prix qu’il pourra se présenter avec crédibilité devant les Ivoiriens et devant la communauté internationale pour justifier les efforts de chacun.

* Spécialiste des problèmes de la dette extérieure, responsable de
la chaire Global Finance à l’école Ceram Sophia-Antipolis.

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