Chronique d’un dégel annoncé

Le voyage à Rabat du chef de la diplomatie algérienne semble marquer une reprise du dialogue entre les deux pays. Ce que devrait concrétiser une rencontre prochaine entre Bouteflika et Mohammed VI.

Publié le 18 février 2003 Lecture : 6 minutes.

Pendant les quarante-huit heures qu’il a passées entre Rabat et Marrakech (les 6 et 7 février), Abdelaziz Belkhadem, ministre algérien des Affaires étrangères, n’a pas eu une minute de libre. Son agenda était particulièrement chargé : audience au palais royal de Marrakech durant laquelle Mohammed VI a confirmé sa disponibilité à rencontrer le président algérien Abdelaziz Bouteflika (« dans plus d’un mois, mais dans moins d’une année ») ; rencontre avec les présidents des deux Chambres du Parlement à Rabat ; entretien avec Driss Jettou, Premier ministre, qui a confirmé qu’il donnerait, dans quelques semaines, une suite favorable à l’invitation du chef du gouvernement algérien Ali Benflis ; deux séances de travail avec son homologue marocain Mohamed Benaïssa, sans oublier une visite au mausolée de Mohammed V, où repose également Hassan II. « Normal, dit-on dans l’entourage du chef de la diplomatie algérienne, le ministre n’est pas venu faire du tourisme. » Quelques jours auparavant, dans les couloirs de l’hôtel Sheraton d’Addis-Abeba, où il participait aux travaux du sommet extraordinaire de l’Union africaine, Abdelaziz Belkhadem ne cachait pas ses appréhensions à propos de ce voyage au Maroc. « Une mission si délicate », confiait-il. À juste titre.
Les relations entre Alger et Rabat sont, en effet, on ne peut plus tendues, du fait de la question du Sahara occidental, cette portion de désert, riche en phosphate et peut-être même en pétrole, dont le Maroc et les indépendantistes du Front Polisario, soutenus par l’Algérie, se disputent la souveraineté depuis 1975. En plus d’un quart de siècle, les rapports entre les deux capitales ont été réduits à leur plus simple expression, hormis une parenthèse d’un lustre, entre 1987 et 1992, grâce à une médiation saoudienne (voir encadré p. 86). Au cours de cette période « faste » est née, en 1989, l’Union du Maghreb arabe (UMA) censée accélérer le processus d’intégration en Afrique du Nord. Mais les espoirs sont vite retombés. Le début de la guerre civile en Algérie, en 1992, et l’appréciation qu’en avait faite feu Hassan II (« l’Algérie est un laboratoire intéressant ») provoquent une nette détérioration des relations entre les deux pays. En 1994, un attentat islamiste frappe un hôtel de tourisme à Marrakech, faisant trois victimes parmi des touristes espagnols. Le ministre de l’Intérieur d’alors, Driss Basri, pointe un doigt accusateur vers les services de sécurité algériens. Le gouvernement marocain impose un visa aux ressortissants algériens (et d’origine algérienne) désirant se rendre au Maroc.
En réponse, Alger ne fait pas dans la dentelle : fermeture des frontières terrestres entre les deux pays. Cette mesure équivaut à un séisme financier pour le Maroc oriental, dont les opérateurs économiques réalisent annuellement avec l’Algérie un chiffre d’affaires estimé à 1 milliard de dollars. Mais rien n’y fait, la mésentente s’aggrave. En décembre 1995, le gouvernement marocain, jugeant hostile l’attitude du représentant permanent de l’Algérie aux Nations unies, à propos du Sahara occidental, décide de geler sa participation dans les instances de l’UMA. Depuis, l’institution régionale est plongée dans un coma profond.
L’arrivée, en avril 1999, aux affaires d’Abdelaziz Bouteflika et l’intronisation, quelques mois plus tard, de Mohammed VI laissent augurer un réchauffement dans les relations entre les deux pays. Après quelques échanges épistolaires au ton amical, un nouvel attentat terroriste met le feu aux poudres. En juillet 2000, Beni Ounif, village du Sud-Ouest algérien, à quelques kilomètres de la frontière marocaine, essuie une attaque nocturne de la part d’un groupe armé qui, son forfait commis, se replie vers le Maroc. Une dépêche de l’Agence France-Presse datée du lendemain, citant une source officielle marocaine, affirme que les terroristes ont été interpellés par les Forces armées royales. Rabat ne réagit que quelques jours plus tard pour démentir les propos de l’AFP. Furieux, Bouteflika traite le pays voisin de « narco-État ».
C’en est fini du « flirt » entre Alger et Rabat. Depuis, toutes les tentatives de médiation, qu’elles soient arabes ou occidentales, ont échoué. Le chef de la diplomatie algérienne, Abdelaziz Belkhadem, avait donc de bonnes raisons d’appréhender son séjour au royaume alaouite.
Critiqué pour sa participation, aux côtés de représentants du Front islamique du salut (FIS), aux négociations de Rome parrainées par la communauté Sant’Egidio, en 1995, Abdelaziz Belkhadem a marqué, à coup sûr, des points avec ce voyage. Il a réussi à débloquer la situation sans trop faire de concessions sur le Sahara. Il a abordé avec ses hôtes tous les sujets, sans tabous. Au souverain alaouite, il a rappelé que l’UMA n’a pu naître que grâce à la clairvoyance de Hassan II, qui a consenti à « déconnecter le dossier du Sahara de l’intégration maghrébine ». À Driss Jettou, qui, comme son prédécesseur Abderrahmane Youssoufi a insisté sur le préalable de l’ouverture des frontières terrestres, Belkhadem a réitéré l’exigence des autorités d’Alger : « Traitons de l’ensemble des questions liées à cette ouverture, de la circulation des biens et des personnes à la reprise de la ligne ferroviaire entre Alger et Casablanca en passant par le problème de l’immigration clandestine africaine ainsi que les problèmes de contrebande et de trafic de cannabis. » Le ministre algérien a suggéré à ses hôtes de réunir dès le 15 février les experts des deux pays pour qu’ils planchent sur l’ensemble de ces dossiers.
La partie marocaine a écouté les explications de Belkhadem sur la position de l’Algérie à propos du Sahara (« Un problème pris en charge par les Nations unies, où il est inscrit au comité de décolonisation depuis 1966 ne devrait aucunement entraver l’édification du Maghreb »). Mais Rabat ne semble pas prêt à faire des concessions sur ce qu’il considère comme une question liée à son intégrité territoriale.
Qu’il y a-t-il donc de nouveau entre Algériens et Marocains ? Sont-ils vraiment désireux de sortir de l’impasse, ou cherchent-ils seulement à en donner l’illusion ? Et faut-il mettre cette ébauche de rapprochement sur le compte de pressions subies par les deux capitales de la part de Washington ou de Paris ? Difficile à croire : Alger et Rabat répètent à l’unisson qu’ils n’ont pas besoin d’intermédiaires pour régler leurs problèmes communs.
Le sommet annoncé entre Mohammed VI et Bouteflika serait, à en croire quelques titres de la presse algérienne, le résulat du déjeuner, le 5 février, entre Jacques Chirac et son homologue algérien. « Faux ! s’exclame-t-on dans les couloirs d’el-Mouradia [la présidence algérienne]. Seuls l’Irak, la Côte d’Ivoire et le Nepad, à l’ordre du jour du prochain sommet France-Afrique [du 19 au 21 février, ndlr], ont été abordés à l’Élysée. Si l’on ne peut écarter l’idée d’une rencontre entre le président et le roi du Maroc au cours des assises franco-africaines, le sommet prévu entre les deux chefs d’État se tiendrait en Algérie ou au Maroc, pas ailleurs, et pas avant que tous les dossiers soient aplanis. »
Au-delà de la langue de bois diplomatique qui voudrait expliquer l’empressement des Algériens à normaliser leurs relations avec le voisin occidental par « la nécessité stratégique de la construction d’un Maghreb fort », il existe une explication plus simple. Le Nepad, dont Abdelaziz Bouteflika est le co-initiateur, fait de l’organisation sous-régionale l’élément de base du développement en Afrique. Or la seule organisation sous-régionale en panne dans le continent n’est autre que l’UMA.
L’autre préoccupation de Bouteflika est d’ordre économique. Fini le temps où l’Algérien, venant d’un pays soumis à des pénuries chroniques, constituait une aubaine pour le commerçant tunisien ou marocain. Aujourd’hui, les entreprises privées algériennes sont à la recherche de débouchés pour leur production. Ce qui se passe à la frontière avec la Tunisie est assez édifiant, puisque l’on assiste à un renversement de tendance : ce sont les populations tunisiennes qui viennent désormais s’approvisionner sur les marchés algériens de Tebessa ou de Souk-Ahras. Explication : un taux de change intéressant et des produits compétitifs. Bouteflika semble vouloir tenter l’expérience du côté du Maroc, à Maghnia, au Nord, et à Béchar au Sud. Grand bien en fasse au Maghreb.

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