Au nom de l’honneur

Jordanie. Une jeune fille assassinée par son père parce qu’elle fréquentait un voisin… Histoire – hélas ! banale – dans le royaume hachémite.

Publié le 18 février 2003 Lecture : 3 minutes.

En Jordanie, la justice ne punit pas les « crimes d’honneur ». Un crime d’honneur, c’est, par exemple, celui que commet un père qui tue sa fille de douze coups de couteau parce qu’elle se promenait dans la rue avec un homme qu’il ne connaissait pas.
L’histoire s’est réellement produite à Amman en 1996. Norma Khouri, une amie de la victime, Dalia, la raconte dans un livre traduit et publié en France en novembre 2002. L’ouvrage paraît ces jours-ci aux États-Unis sous le titre Honor Lost (Simon & Schuster).
Fille d’un entrepreneur de travaux publics, Norma a étudié l’anglais à l’École américaine d’Amman. Non pas pour faire carrière, mais pour faire un beau mariage, car son père, bien que de religion catholique, se pliait fidèlement à la morale jordano-musulmane. Laquelle morale exige, notamment, que les femmes ne prennent des bains de mer que vêtues de la tête aux pieds. Avec déjà beaucoup d’audace, Norma et Dalia avaient ouvert un salon de coiffure, une des rares activités autorisées aux femmes. Elles y fumaient en cachette quelques cigarettes et s’autorisaient des rêves interdits.
Un jeune et beau voisin, catholique, passa par là. Il s’appelait Michael. Pas question, bien entendu, de mariage, mais des rencontres secrètes et chastes furent organisées avec la complicité de Norma. Jusqu’au jour où les frères de Dalia la surprirent avec Michael et la dénoncèrent à leur père. Qui fit justice à sa manière.
Norma se réfugia en Grèce, puis en Australie, où elle écrivit ce livre qui fut un succès de librairie. Elle raconte comment elle vit le père de Dalia, son voisin, s’assurer, après ses coups de couteau, que sa fille était bien morte avant d’appeler une ambulance. « J’ai nettoyé ma maison, cria-t-il à Norma. J’ai coupé la branche pourrie et lavé l’honneur de ma famille. »
« La honte n’était pas sur Dalia, la honte est sur vous, lui répondit Norma. Vous avez fait de votre demeure la maison du crime. Le sang innocent que vous avez versé souille à jamais votre nom, vos mains et votre âme. »
Un peu plus tard, le père de Norma obligea sa fille à faire des excuses à son voisin. Le père de Dalia ne fut pas inquiété. Michael non plus. Il s’efforce aujourd’hui d’aider les femmes qui ont été victimes de violence.
Le livre de Norma Khouri s’achève au moment où son avion décolle d’Amman. « Je pleurais de joie et de peur, écrit-elle. Je pleurais pour sa mort et pour les sièges vides qu’auraient dû occuper Dalia et Michael. Je pleurais sur la beauté du désert rosissant, et même sur les anecdotes que l’on se racontait dans le petit salon de coiffure. Je pleurais pour mon père enfermé dans sa prison de lois, d’orgueil et d’obligations comme ma mère. »
À la suite d’une interview accordée à un magazine arabe, Norma Khouri a reçu par e-mail des menaces de mort. « Ce que vous faites est une honte, dit l’un d’eux. Pour l’honneur de l’islam, vous devez vous excuser. Si vous ne le faites pas, vous ne pourrez empêcher ce qui doit arriver. L’honneur se lave dans le sang. »
Norma a aujourd’hui 32 ans. Elle vit toujours en Australie. La seule personne avec laquelle elle a gardé un contact à Amman est sa tante, à laquelle elle demande parfois de lui chanter au téléphone une vieille ballade qui dit : « Je grave ton nom, mon amour, sur les murs anciens, et tu écris mon nom dans le sable. Demain viendront les pluies qui laveront les blessures jamais cicatrisées. Ton nom restera, le mien disparaîtra. »
« Je veux que l’on connaisse Dalia comme moi je l’ai connue, dit Norma. Je veux que l’on sache qu’elle représente des milliers de femmes qui sont victimes aujourd’hui encore de ces crimes d’honneur et qui avaient des frères, des soeurs et des amis qui les pleurent, comme moi je pleure Dalia. »
Elle espère que la pression de l’opinion internationale obligera la Jordanie à abolir la législation qui permet à des hommes de tuer impunément leur femme, leurs soeurs et leurs filles. La famille royale de Jordanie, la reine Rania en tête, dénonce elle-même ces lois. Mais les députés se refusent à abroger les articles du code pénal concernés. En août 2001, le ministre de la Justice en fonction, Abdul Karim Dughmi, déclarait : « Toutes ces femmes tuées au nom de l’honneur sont des prostituées. Je crois que les prostituées méritent la mort. »
Avec le New York Times

* Pour l’honneur de Dalia, par Norma Khouri, éditions Lattès, 254 pp., 18 euros.

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