ATT au banc d’essai

Comme si la sécheresse ne suffisait pas, la crise ivoirienne est venue s’ajouter à une situation déjà difficile. Offrant au président Amadou Toumani Touré l’occasion de donner sa pleine mesure sur le plan social comme sur le terrain politique.

Publié le 18 février 2003 Lecture : 6 minutes.

Zegoua s’ennuie. Zegoua a faim. Et Zegoua se meurt. Il y a à peine six mois, cette localité frontalière malienne de quelques milliers d’âmes située à une centaine de kilomètres au sud de Sikasso, était dynamique et prospère. À cause de la guerre civile qui déchire la Côte d’Ivoire voisine, elle est méconnaissable. Il n’y a pas longtemps encore, jusqu’à trois cents camions y transitaient chaque jour pour rejoindre Sikasso, Bougouni, Bamako ou, dans l’autre sens, Korhogo, Bouaké et Abidjan. Ils transportaient du bois scié, du coton, des ignames, du kinkéliba et d’autres produits de consommation courante dans la sous-région. Zegoua tirait des revenus substantiels de cet important trafic routier et de sa position de ville-frontière. Les tenanciers de bars et de maquis, les petits vendeurs de thé, de colas et de cigarettes, les mécaniciens, les vulcanisateurs, les propriétaires de télécentres, et même les prostituées ghanéennes, maliennes et ivoiriennes, particulièrement nombreuses dans les quartiers populaires, y trouvaient leur compte.
Depuis le début des hostilités en Côte d’Ivoire, le 19 septembre 2002, Zegoua est en passe de devenir une ville fantôme, désertée par les plus jeunes, menacée par la faim. Les produits ne manquent pas sur le marché, mais l’argent fait cruellement défaut. « Certains habitants ne font plus que deux ou trois repas par semaine, assure l’inspecteur des douanes Abdrahamane Ly. Il n’y a pas longtemps encore, les vendeurs ambulants de thé se retrouvaient en fin de journée à la tête d’un joli pactole. Aujourd’hui, ils se tournent les pouces, quand ils ne fuient pas Zegoua pour Sikasso. Lorsque j’ai pris mes fonctions ici, il y a quelques années, je me plaignais du va-et-vient incessant des camions et de leur bruit assourdissant. Ce qui m’angoisse le plus, aujourd’hui, c’est le silence… »
La proximité de Pogo, agglomération ivoirienne située juste en face et tenue par les rebelles du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI), pose de sérieuses difficultés. Fait nouveau, Zegoua a connu, au cours du dernier trimestre 2002, une nette recrudescence des agressions à main armée et des cambriolages. Un douanier malien a ainsi été grièvement blessé en décembre 2002 par des « éléments incontrôlés » qui seraient, selon les premiers éléments de l’enquête, des criminels libérés aux premières heures de la rébellion et incorporés dans ses rangs par le MPCI. D’autres habitants de Zegoua et des environs ont été délestés de leurs biens, toujours sous la menace des armes. Des patrouilles mixtes, composées de soldats maliens et d’éléments du MPCI, ont alors été mises en place pour sécuriser la frontière. « Les responsables du MPCI à Pogo prennent au sérieux ces dérapages et font en sorte qu’ils cessent, explique le capitaine Amadou Konaté, patron du Groupement de la gendarmerie mobile de Zegoua. Comme ils n’ont pas de tribunaux, chaque brebis galeuse arrêtée sait ce qui l’attend : une balle dans la tête. Après tout, les rebelles ne peuvent pas se mettre notre pays à dos. Ils seraient vite pris entre deux feux… »
Même s’ils sont plus exacerbés ici qu’ailleurs, les malheurs de Zegoua sont finalement ceux du reste du Mali. Le pays tout entier vit mal, très mal, la guerre civile en Côte d’Ivoire, par où transitaient, jusque-là, 70 % des importations maliennes. Depuis six mois, Bamako a investi une dizaine de milliards de francs CFA supplémentaires pour importer des vivres et des biens d’équipement. « Nous sommes les plus touchés par la crise, explique le ministre de l’Économie et des Finances Bassari Touré. La Guinée, le Ghana, le Bénin, le Togo, le Liberia et la Sierra Leone ont un débouché sur la mer. Le Niger et le Burkina, deux pays enclavés comme le Mali, font passer leurs commandes par les ports de Lomé, de Cotonou ou de Tema, au Ghana, situés à leur porte. »
Pour désenclaver son pays, qui subit par ailleurs, actuellement, les effets d’une grave sécheresse, le président malien Amadou Toumani Touré (ATT) a multiplié, ces derniers temps, les contacts avec ses voisins les plus immédiats. Il s’est ainsi rendu successivement en Guinée, au Sénégal, en Mauritanie et en Guinée-Bissau. Objectif : réduire la dépendance économique et commerciale de son pays avec la Côte d’Ivoire et réorienter les échanges vers les ports de Nouakchott, Conakry, Dakar…
En attendant, les travaux de construction de la route inter-États Conakry-Bamako sont très avancés. Et celle qui doit relier la capitale malienne à Dakar devrait bientôt démarrer. À Nouakchott, où il se trouvait le 6 février dernier, ATT a demandé l’agrandissement des entrepôts portuaires – 12 000 m2 – mis à la disposition de son pays par le gouvernement mauritanien. « Cette situation de dépendance ne peut durer, nous a confié ATT lors d’un entretien au Palais de Koulouba. Tenez ! Nous envisageons de construire à Bamako un immeuble administratif au sein duquel seraient regroupés tous les ministères. Le matériel de construction a été commandé, mais il transitera par le port de Cotonou avant d’arriver à Bamako par la route, après avoir contourné la Côte d’Ivoire. Il reviendra donc nécessairement plus cher, à cause de la distance et du temps nécessaire pour l’acheminement. »
Investi le 8 juin 2002, après son élection quelques semaines plus tôt, ATT n’est pas non plus gâté – on l’a dit – par dame Nature. « L’hivernage » se fait désirer. Le Nord et l’Ouest connaissent une grève sécheresse. Au point que le gouvernement a dû récemment procéder à une distribution de céréales dans les régions touchées (27 kilos par individu). Toujours dans le registre « Père Noël », les Maliens ont plutôt été comblés depuis le début de 2003. Réduction, coup sur coup, des tarifs des communications téléphoniques, de l’électricité et de l’eau (10 % de baisse), sans oublier le prix des médicaments « essentiels » (entre 40 % et 50 %). Sur la lancée, le président malien envisage, ainsi qu’il l’avait promis au cours de sa campagne électorale, de construire trois mille logements sociaux dans la capitale. « Le terrain est déjà identifié, les travaux, qui devraient s’étaler sur cinq ans, démarreront prochainement », confie ATT.
Sur le terrain politique, le Mali connaît depuis le 16 octobre 2002, date de la formation d’un nouveau gouvernement, une expérience pour le moins originale. Le président de la République n’appartient à aucune des innombrables chapelles politiques officiellement reconnues. Tout comme, d’ailleurs, son Premier ministre Ahmed Mohamed Ag Hamani, nommé en juin 2002, puis confirmé dans ses fonctions quatre mois plus tard. Et toutes les formations politiques, à l’exception notable du Parti pour la renaissance nationale (Parena) de l’ancien ministre des Affaires étrangères Tiébilé Dramé, disposent d’un strapontin au gouvernement. Cela concerne même les plus confidentiels et ceux qui étaient farouchement opposés, il y a quelques mois encore, à un retour au premier plan d’ATT, qui dirigea, faut-il le rappeler, le régime de transition de mars 1991 à juin 1992. Résultat : il n’y a plus aujourd’hui d’opposition au Mali, du moins « au sens on l’entend en Occident » – la formule émane d’un proche du chef de l’État.
De fait, travaillent côte à côte, au sein de l’équipe gouvernementale, des hommes et des femmes que tout opposait jusque-là. Ainsi, par exemple, de Choguel Maïga, ministre de l’Industrie et du Commerce et héritier de l’ancien président Moussa Traoré (renversé en 1991), et Mamadou Lamine Traoré, un des acteurs de cette « Révolution du 26 mars 1991 », détenteur du portefeuille de l’Éducation nationale. Des ministres du Congrès national d’initiative démocratique (Cnid) et de l’Alliance pour la démocratie au Mali (Adéma), deux partis qui ont fortement contribué à la chute de Moussa Traoré, mais qui, une fois la victoire acquise, ont passé l’essentiel des dix dernières années à s’étriper. « C’est un plaisir de voir ce beau monde travailler, presque main dans la main, défendre ensemble les mêmes dossiers », raconte un collègue du gouvernement. « Ils ont demandé à venir travailler avec moi, explique pour sa part le chef de l’État. Je les ai pris sous ma protection pour les préparer à assurer la relève dans cinq ans ou dans dix ans. »
Cet unanimisme n’est pas du goût de tout le monde : « Dans un pays démocratique, il faut obligatoirement une majorité et une opposition. Ne serait-ce que pour empêcher les dirigeants de dormir sur leurs lauriers ou – qui sait ? – de déraper », confie un ancien ministre. « La population ne trouve rien à redire à cette situation, nuance un autre. On ne va tout de même pas obliger les gens à être coûte que coûte des opposants, alors qu’ils rêvent de siéger au gouvernement ! Il ne faut pas faire de l’opposition par masochisme. »

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