L’Afrique subsaharienne face au spectre des déficits
Son budget était globalement excédentaire jusqu’en 2008. Depuis, le continent a plongé dans le rouge… Et y reste malgré la reprise. Faut-il s’en inquiéter ?
Le dérapage est-il contrôlé ? À Maputo, il ne peut en tout cas être nié. Selon l’agence Moody’s, qui a tiré la sonnette d’alarme, le déficit budgétaire du Mozambique pourrait atteindre jusqu’à 12 % de son PIB cette année. Entre 2003 et 2012, le pays d’Afrique australe aux 8 % de croissance avait pourtant affiché un solde beaucoup plus raisonnable, à – 3,9 %.
Six pays
De l’autre côté du continent, au Ghana, c’est la bérézina dans les comptes publics. Depuis que du pétrole y a été découvert, les dépenses ont flambé, provoquant l’effondrement de la situation financière du pays : le déficit a même dépassé 10 % en 2012. Un seuil que plusieurs États du continent ont franchi au moins une fois au cours de ces quatre dernières années : le Botswana, l’Égypte, l’Érythrée, le Liberia, São Tomé, la Guinée… C’est bien simple, en 2013, seuls six pays africains sont en excédent budgétaire. Un au nord du Sahara (la Libye) et cinq au sud.
Cinq ans plus tôt, ils étaient plus d’une quinzaine. Faut-il y lire le signe du retour à une mauvaise gestion, généralisée dans les années 1980 en Afrique ? Pas forcément, répondent en choeur les économistes, qui appellent à regarder dans le détail : « Pourquoi ces pays ont-ils des déficits ? Parce que leurs revenus baissent ou parce que leurs dépenses explosent ?
Et dans ce dernier cas, pour quelles raisons ? Pour payer les salaires ou pour investir ? » s’interroge Bartholomew Armah, économiste à la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies. L’objectif est clair : ne surtout pas ranger tous les déficits dans la même catégorie, et éviter de tailler aveuglément dans les dépenses publiques alors que la priorité est de doper la croissance.
Avenir
Après la crise financière internationale, le Botswana a ainsi géré au mieux ses importants déficits pour relancer la machine. Le Mozambique et le Cap-Vert, qui ont tous deux connu un déficit de 5 % environ en 2013, utilisent celui-ci pour investir massivement dans des infrastructures porteuses d’avenir. À Maputo, les dépenses en capital consacrées aux infrastructures représentent autour de 15 % du PIB, soit 1,5 fois le niveau kényan. Et globalement, l’usage des déficits en Afrique est bien plus adéquat et ciblé qu’à la fin des années 1980. « De nombreux pays africains y ont eu recours pour contrer le ralentissement de la croissance en 2008 et 2009 », insiste Bartholomew Armah.
Alexander Chikwanda, apôtre du déficit zambien – Avec un déficit public de 8,6 % en 2013, contre 4,5 % prévus, c’est peu de dire qu’Alexander Chikwanda a déçu. L’homme d’affaires nommé ministre des Finances fin 2011 n’a guère brillé par sa rigueur : il a laissé la charge salariale des fonctionnaires passer de 11 milliards de kwachas (1,5 milliard d’euros) en 2012 à 15 milliards (1,9 milliard d’euros) en 2013.
La baisse des subventions a été repoussée, la balance des paiements a plongé dans le rouge et la monnaie s’est effondrée. Résultat : la note du pays a été dégradée par Fitch fin 2013.
Un élément dérange toutefois. Depuis 2010, année de retour à une croissance soutenue au sud du Sahara, les excédents ne sont pas revenus.
« La croissance élevée en Afrique a eu pour conséquence le développement de déficits fiscaux très importants, constate Ravi Bhatia, directeur Afrique chez Standard & Poor’s. La plupart des pays que nous notons affichent des balances courantes et des soldes budgétaires négatifs. »
Les cas les plus inquiétants aujourd’hui sont connus : le Ghana et la Zambie. « Lusaka aura un déficit supérieur à 7 % en 2014. Les salaires des fonctionnaires ont été augmentés d’environ 40 % », déplore Carmen Altenkirch, directrice au département notation souveraine de Fitch Ratings.
Au Ghana, « le début de la production de pétrole en 2010 a incité le gouvernement à faire avancer son projet : réformer complètement la grille des salaires du secteur public, ce qui a entraîné une hausse de la masse salariale, qui pèse désormais plus de 10 % du PIB, confiait récemment dans un entretien à J.A. David Cowan, économiste pour l’Afrique de Citi.
« Le Botswana a pris des décisions courageuses »
Interview d’Aurélien Mali, vice-président de Moody’s
Jeune Afrique : En matière de gestion budgétaire, le Botswana a-t-il toujours été un cas un peu à part ?
Aurélien Mali : Le Botswana a fait passer son PIB par habitant de 600 dollars à 15 000 dollars [10 900 euros] depuis l’indépendance. Il y est parvenu grâce à une croissance forte, mais aussi en menant des politiques prudentes et de long terme.
Grâce à ses excédents budgétaires réguliers, il a mis de l’argent de côté chaque année, au point de disposer avant la crise de 2008 de réserves de 70 milliards de pulas [6,4 milliards d’euros] équivalant à 90 % de son PIB. Sa dette ne représentait alors que 5 % de la richesse nationale.
Lire la suite de l’interview…
Les salaires et le service de la dette absorbent une partie de plus en plus grande des dépenses et des recettes ». Un phénomène que Bartholomew Armah appelle « le coût de la démocratie », avec son cortège de « générosités » salariales et sociales juste avant les élections. « Que se passera-t-il au Nigeria avant la présidentielle de 2015 ? » s’interroge-t-il.
Spirale négative
Cette résurgence des déficits pose plusieurs questions. La première consiste à se demander si l’État peut soutenir son déficit. « Pour résumer grossièrement, un déficit de 3 % à 4 % par an pour une croissance de 6 % est soutenable sans alourdir la dette de manière importante », explique Carmen Altenkirch.
Si, au Mozambique, la conjonction d’un déficit public et d’un déficit commercial vertigineux est inquiétante, la perspective d’une exploitation du gaz naturel rassure. Sa production devrait générer 20 % de PIB supplémentaires.
Thiam Diombar, “père la rigueur“ – La maîtrise des budgets, c’est toute sa vie. Avant de devenir le ministre mauritanien des Finances, en 2011, Thiam Diombar a été directeur général des impôts, du budget, puis du Trésor et de la comptabilité publique. Avec lui, le programme est clair : maîtrise des dépenses, stabilisation de la masse salariale, réforme et modernisation fiscale. Le solde budgétaire, déficitaire de 5,1 % en 2009, devrait passer au vert en 2014.
Les pays riches en minerais, les plus touchés par la dégradation des comptes ces dernières années, risquent en revanche d’entrer dans une spirale négative entretenue par le mode de financement de ces déficits.
Ainsi, alors que la plupart des pays africains ont toujours recours à des prêts concessionnels peu coûteux et de long terme, Accra se finance essentiellement auprès du secteur privé, sur le marché local, ce qui lui coûte plus de 20 % d’intérêts par an.
En parallèle, les États africains doivent également accroître leur capacité de taxation et de collecte d’impôts. « Si vous regardez les chiffres du FMI [Fonds monétaire international], les recettes publiques du Ghana – hors subventions des bailleurs – ont constitué 18,7 % du PIB en 2013, ajoute David Cowan. Pour les pays à revenus intermédiaires en Afrique subsaharienne, la moyenne est de 26,6 %. Le Ghana doit donc taxer plus. La clé, c’est le secteur informel. »
Les impôts collectés au Nigeria n’atteignent ainsi que 10 % environ de la richesse nationale. Au Cameroun, ils s’élèvent à 19 %, quand la Russie dépasse 36 % et l’Argentine 40 %. À ce titre, la mise en place d’organes de collecte uniques et dotés d’équipes importantes est une clé pour réussir.
Après avoir fondé en 1998 le Rwanda Revenue Authority et lui avoir assigné des objectifs annuels, Kigali a fait passer ses recettes fiscales de 119 milliards de francs rwandais en 2003 à 665,8 milliards (près de 700 millions d’euros) l’année dernière.
En tout, plus d’une vingtaine de pays sont parvenus ces cinq dernières années à améliorer le niveau de leurs revenus par rapport au PIB. Un signe encourageant mais pas suffisant, alors que les demandes sociales vont croissant, tant sur le front salarial que sur celui des subventions.
Lesotho : le roi nu
Sur le continent, voire dans le monde, le Lesotho est un cas unique. Les revenus publics de ce pays enclavé au milieu de l’Afrique du Sud atteignent en effet 66 % du PIB, trois fois plus que la plupart des autres États africains. Bien que pauvre et doté d’une économie peu diversifiée, le petit pays a pourtant affiché un net excédent budgétaire sur trois des six dernières années. Une situation enviable que le Lesotho doit autant au niveau honnête de la collecte fiscale nationale (environ 23 % du PIB) qu’à la contribution très importante des taxes douanières perçues dans le cadre de l’Union douanière de l’Afrique australe. Sur les vingt dernières années, celles-ci ont représenté 26 % du PIB, trois fois l’aide au développement. Comme le Swaziland, le Lesotho bénéficie en effet d’une part disproportionnée de taxes prélevées dans ce cadre, sans aucun lien avec son poids dans la zone.
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