Zone UEMOA : chacun pour soi
Douane, commerce, transports, banques… Dans tous ces secteurs, selon le FMI, l’Union n’existe en grande partie que sur le papier. Pour améliorer leurs résultats, les huit de l’Union économique et monétaire ouest-africaine vont devoir apprendre à jouer collectif.
Annoncée à 6,5 % pour l’année 2014, la croissance de l’Union économique et monétaire ouest-africaine semble vigoureuse. Elle n’en reste pas moins précaire, dépendante de facteurs peu contrôlables : prix de l’énergie, qui retentissent sur les budgets des états et des familles ; cours mondiaux des matières premières, qui représentent une grande partie des recettes d’exportation ; ou conditions climatiques, dont dépendent les récoltes. Par ailleurs, cette croissance ne réduit pas autant la pauvreté que dans les pays voisins.
Bouc émissaire
Dans la sous-région, le franc CFA, jugé surévalué, sert aisément de bouc émissaire : de nombreuses voix l’accusent de limiter une croissance qui pourrait être beaucoup plus dynamique. En 2012, pourtant, une étude de la Fondation pour les études et recherches sur le développement international, présentée aux huit chefs d’État, a souligné que les obstacles sont tout autres. Dans son dernier rapport annuel, publié le 27 février, le Fonds monétaire international (FMI) confirme : c’est le manque de cohésion au sein de l’Union qui demeure son principal handicap.
Si les huit systèmes bancaires coexistent, il n’y a toujours pas de marché interbancaire digne de ce nom dans la zone UEMOA.
Edoh Kossi Amenounve : « L’avenir passe par Accra et Lagos »
Jeune Afrique : Que peut-elle faire de plus pour favoriser l’union régionale ?
Edoh Kossi Amenounve : Des fonds régionaux pourraient être mis en place afin de lever des sommes plus élevées. Autre facteur important, l’arrivée en Bourse de nouvelles entreprises régionales : toutes ont vocation à se développer dans les huit pays de l’Union, comme les banques et les assurances avant elles.
A terme, la compétitivité de la région passe par un élargissement du marché financier au niveau de la Communauté économique des états de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), afin d’intégrer les économies du Ghana et du Nigeria et d’attirer davantage d’investisseurs.
Malgré les proclamations officielles en faveur d’une plus grande coordination des politiques, son intégration douanière, économique et budgétaire reste largement à faire. Ainsi l’union douanière se heurte-t-elle au patriotisme des états. En refusant d’appliquer rigoureusement le tarif extérieur commun et de finir d’harmoniser leurs droits de douane, ces derniers maintiennent des frontières de fait et entravent la libre circulation des biens.
La plaie des « prélèvements illicites » vient aggraver la situation. Le long des axes routiers, policiers, gendarmes et douaniers arrondissent leurs salaires en prélevant une dîme sur les marchandises importées.
Les états ne se privent pas non plus d’interdire l’exportation de produits alimentaires lorsque ceux-ci menacent de manquer, en cas de sécheresse par exemple. Un protectionnisme qui empêche les excédents agricoles de certains pays d’alimenter leurs voisins déficitaires… contribuant à la persistance de la malnutrition et à des poussées inflationnistes.
Éclaté
En matière de transports, les projets destinés à faire sauter les goulots d’étranglement tiennent pour l’instant davantage de l’agrégation de projets d’intérêt national que de véritables schémas routiers ou ferroviaires communautaires. Faut-il s’étonner, dès lors, que la part des échanges intrarégionaux dans le commerce total de l’Union demeure bloquée entre 10 % et 15 % ?
Dans le domaine budgétaire, même constat. La coordination existe principalement sur le papier. « Le critère essentiel relatif au déficit budgétaire de base a souvent été violé » (par cinq états sur huit), note le FMI. Et les sanctions prévues pour déficits excessifs ne sont, le plus souvent, pas appliquées. L’établissement d’un code communautaire des investissements, appelé à éviter que les états ne se livrent à une surenchère pour attirer les capitaux étrangers à coups d’avantages fiscaux, est discuté… mais sans que cela ait – jusqu’à présent – abouti.
Quant au secteur financier, il demeure éclaté. Si les huit systèmes bancaires coexistent, il n’y a toujours pas de marché interbancaire digne de ce nom. Malgré les efforts de la Bourse d’Abidjan, le marché des capitaux tarde à se développer. Seul celui de la dette publique a pris son essor depuis que la Banque centrale des états de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a cessé de faire des avances financières aux pays.
Dans son dernier rapport, le FMI se livre à un intéressant parallèle entre les huit membres de l’UEMOA et sept autres pays africains comparables, c’est-à-dire peu favorisés en ressources naturelles : le Cap-Vert, l’Éthiopie, le Ghana, le Mozambique, l’Ouganda, le Rwanda et la Tanzanie (voir graphique).
Depuis 1995, ces pays ont doublé leur revenu par habitant ; le progrès de l’Union en la matière s’est, lui, limité à 20 %. Une moyenne, car entre les pays membres les situations sont très inégales. Ainsi, le Burkina Faso a enregistré des résultats comparables à ceux de l’Ouganda ou de la Tanzanie, alors que le PIB par habitant a diminué en Côte d’Ivoire et au Niger.
L’organisation sous-régionale a également reçu moins d’investissements étrangers que les autres pays de référence, parce que ses membres pâtissent d’une productivité inférieure. Plombé par la gestion de l’ère Wade, le Sénégal a même vu la sienne carrément reculer.
Mais la cause principale du retard de l’UEMOA, toujours selon la note du FMI, c’est son climat des affaires. « Les pays de l’Union se classent à un niveau sensiblement plus bas au regard de la qualité de la gouvernance et des droits de propriété, de la transparence, de la responsabilité et de la corruption », reprend l’institution.
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Les retombées économiques de la création de l’UEMOA n’ont donc pas été à la hauteur de ses institutions, calquées sur celles de l’Union européenne. Ses responsables ont beau vouloir aller dans la bonne direction, la progression est lente, tant il est difficile de réussir des réformes à huit. Comme sa grande soeur bruxelloise, l’UEMOA devrait se résigner à de douloureux abandons de souveraineté pour enfin profiter des gains formidables qu’engendrerait un véritable marché commun.
La question de son élargissement à la taille de la Communauté économique des états de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) est dans toutes les têtes. Le passage de huit pays à quinze – dont le mastodonte nigérian – risque pourtant de complexifier les efforts de coopération et d’harmonisation. Ne vaudrait-il pas mieux, au préalable, consolider une intégration encore en devenir ?
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