Opportunités algériennes

Proximité géographique et culturelle, complémentarité économique, croissance… Les entreprises tunisiennes gagneraient beaucoup à s’intéresser de plus près au marché de leur grand voisin de l’Ouest.

Publié le 17 janvier 2005 Lecture : 5 minutes.

Depuis l’arrivée au pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika, en 1999, Tunis et Alger entretiennent des relations assez bonnes, et qui s’améliorent d’année en année. Les deux gouvernements viennent d’ailleurs de s’entendre sur la relance de leur coopération bilatérale (voir J.A.I. n° 2283). Mais, réunis à Alger le 30 septembre 2004 pour la quatorzième session de la Haute Commission mixte, les premiers ministres algérien et tunisien avaient regretté que leurs relations économiques ne soient pas à la hauteur de leurs rapports politiques. Les échanges entre les deux pays ne représentent que 250 millions de dollars, soit à peine plus de 1 % des commerces extérieurs respectifs*.
Pourtant, les opportunités d’affaires ne manquent pas. « Au contraire, relève Hassen Zargouni, consultant international et directeur du cabinet Sigma Conseil, leader maghrébin des études marketing et médias, la structure des deux économies est beaucoup plus complémentaire qu’on l’imagine. » L’économie tunisienne est nettement plus diversifiée que celle de son grand voisin de l’Ouest et possède un tissu très dense d’industries manufacturières et agroalimentaires, ainsi que des sociétés de services performantes. Alors que l’économie algérienne repose essentiellement sur les hydrocarbures (97 % des exportations) et l’industrie lourde. Le pays est un gros importateur de biens d’équipements et de produits agroalimentaires. Rien n’est fait d’ailleurs pour décourager les importations puisque entre 35 % et 40 % des crédits bancaires sont attribués aux importateurs, au détriment, là encore, de la production locale.
Au cours des onze premiers mois de 2004, l’Algérie a vendu à la Tunisie pour l’équivalent de 85,873 millions de dinars tunisiens (1 DT = 0,62 euro). Le gaz (43,9 %), l’acier (32,6 %) et l’ammonite – un engrais chimique – (10,8 %) composent le tiercé de tête de ses exportations, constituées de 268 types de produits différents. Sur la même période, la Tunisie lui a vendu pour 119,055 millions de DT. La typologie des exportations tunisiennes vers l’Algérie, plus complexe, se compose de 892 produits différents. Le ciment est, avec 18 % de la valeur totale, le premier poste d’exportation, mais ce chiffre est à relativiser dans la mesure où les deux pays possèdent une cimenterie en commun, implantée en Tunisie, et dont les ventes sur le marché algérien sont comptabilisées au titre des exportations tunisiennes. Les produits chimiques (8,4 %), les machines-outils (7,9 %), les ouvrages en acier (6,9 %), les couches pour bébé (5,8 %), les composants automobiles (5,6 %), les composants électroniques (5,1 %) et les plastiques (4,5 %) complètent le top 7 des exportations tunisiennes. Jusqu’en 2003, la balance commerciale de l’Algérie avec la Tunisie était excédentaire (167,5 millions de DT d’exportations, contre 133,4 millions d’importations). Aujourd’hui, du moins pour les onze premiers mois de 2004, cette tendance s’est complètement inversée.
Quels enseignements tirer de ces statistiques ? Que les entreprises tunisiennes ont vraiment à gagner à s’intéresser davantage au marché algérien. « Pour plusieurs raisons, explique Hassen Zargouni. D’abord la conjoncture. L’Algérie enregistre des taux de croissance à la chinoise, et son PIB va dépasser 80 milliards de dollars l’année prochaine. C’est un pays solvable, inondé de produits étrangers et où les multinationales sont très offensives. Mais il y a de la place pour tout le monde, car la demande est forte et les besoins sont immenses. Une société tunisienne comme Saida, le fabricant de biscuits, vient d’y réussir une belle percée. Autre argument, la taille du marché algérien : 30 millions de consommateurs et un revenu national par habitant d’environ 2 300 dollars par an, soit à peine 550 dollars de moins que celui des Tunisiens. Et les Algériens seront 48 millions en 2050 ! L’étroitesse du marché tunisien (10 millions de consommateurs, 13 millions en 2050), est un frein à l’expansion des entreprises nationales. Pour se développer, elles devront chercher des relais croissance à l’étranger. Elles ont beaucoup – voire trop – misé sur l’Europe. L’Algérie leur offre une chance de diversification à ne pas négliger. »
Bien sûr, les obstacles ne manquent pas. Juridiques : la législation algérienne n’est pas toujours très accommodante pour le rapatriement des bénéfices. Commerciaux : la chaîne de distribution n’est pas encore très structurée en Algérie, il faut trouver le bon partenaire, le bon réseau de vente. Trop de grossistes se contentent d’acheter et d’écouler les produits sans se soucier ni de politique commerciale, ni d’image de marque, ni de positionnement du produit. Pour une société qui souhaite s’inscrire sur le long terme, c’est fâcheux. Mais les torts sont partagés, car, dans le passé, le comportement des exportateurs tunisiens n’a pas toujours été exemplaire. Loin de là. Enfin – cet aspect est plus vrai dans le secteur des services -, le chef d’entreprise algérien peut se montrer « culturellement réticent » à s’adresser à une société ou à un consultant tunisien. « Sa première réaction sera de se tourner vers des Français, des Allemands ou des Américains », déplore un chef d’entreprise tunisien.
Mais, malgré les freins et les pesanteurs institutionnelles, les entreprises tunisiennes qui ont tenté l’expérience en Algérie n’ont pas eu à le regretter. C’est le cas du laboratoire Jasminal, ou du fabricant de biscuits Sotubi. Le groupe familial Bayahi (distribution) est lui aussi un précurseur. Il a apporté son savoir-faire pour le lancement de Djezzy, le premier réseau de téléphonie mobile (2,8 millions de clients), et il gère actuellement 20 % des boutiques de vente. Toujours dans le négoce, on peut également citer le groupe El-Arem, qui écoule une gamme très large de produits, allant des poids lourds aux machines-outils. Le bureau d’études Dirasset, spécialisé dans l’ingénierie et l’urbanisme, s’est imposé sur le créneau des marchés publics. Il a su valoriser une expérience acquise en Tunisie dans l’aménagement des zones littorales et touristiques, tels le complexe Yasmine à Hammamet, ou le quartier des Berges du Lac de Tunis. Autre success story, celle de la société Oxia, spécialisée dans l’analyse des systèmes d’information et la gestion intégrée de l’entreprise, des domaines dans lesquels les firmes algériennes accusent un réel retard.
Enfin, quelques industriels du textile, l’un des secteurs phares de l’éco- nomie tunisienne (2 050 entreprises, 240 000 emplois), commencent aussi à regarder vers l’Ouest. Le démantèlement des accords multifibres qui garantissaient un accès privilégié sur le marché européen – le débouché naturel des exportations textiles tunisiennes -, pousse en effet à la diversification. Blue Island et Megastone, qui vient d’ouvrir une boutique sur Didouche-Mourad, l’une des principales artères commerciales d’Alger, l’ont compris avant les autres. En revanche, les professionnels du tourisme, eux, ont su davantage exploiter les complémentarités entre les deux pays : 800 000 Algériens viennent chaque année passer leurs vacances du côté de Tabarka, Hammamet ou Sousse, ce qui a largement compensé la crise du marché allemand, traditionnel émetteur de touristes. Et, aujourd’hui, les relations se développent rapidement entre opérateurs des deux pays, car les synergies existent. Un partenariat structuré permettrait d’imaginer et de commercialiser en Europe des circuits sahariens tuniso-algériens, et les hôteliers tunisiens pourraient faire profiter leurs homologues algériens de leur savoir-faire dans ce domaine.

* Chiffre qui ne tient pas compte des échanges « informels » (la contrebande des régions frontalières), estimés à environ 40 % de ce total.

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