Les hommes du président

La nomination d’un nouveau gouvernement par Denis Sassou Nguesso ne modifie pas profondément la donne politique. Mais les changements les plus subtils qui y sont intervenus sont parfois lourds de signification. Décryptage…

Publié le 17 janvier 2005 Lecture : 6 minutes.

« Bic rouge » ne servira plus. Habitué à réviser à la baisse, d’un coup de stylo à bille rouge accompagné d’annotations rageuses, les demandes de décaissement que lui présentaient ses collègues et parfois même la présidence, le ministre de l’Économie et des Finances Roger Rigobert Andely est la principale victime du remaniement gouvernemental congolais du 7 janvier. Ce petit événement a pris de court la rue brazzavilloise et la communauté des bailleurs de fonds du Congo. La reprise, début décembre, des relations avec le Fonds monétaire international (FMI), suivie de l’annulation ou du rééchelonnement d’un bon tiers de la dette publique du pays par le Club de Paris, le tout accompagné par l’annonce de deux prêts émanant de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement (20 milliards de F CFA au total), avaient fait de ce « père la rigueur » une sorte d’intouchable. Tout au moins le croyait-on.
Bien vu à l’extérieur, avec une certaine tendance à tirer la couverture à lui, relativement populaire à l’intérieur, malgré d’épisodiques manifestations de retraités et de « déflatés » en colère devant son domicile, « Bic rouge » avait une face cachée. Ses relations avec ses collègues du gouvernement étaient tendues, à la limite du point de blocage, et le président Sassou Nguesso lui-même, tout en soutenant l’action de ce ministre électron libre, avait dû à plusieurs reprises taper du poing sur la table face au comportement d’un homme à double détente : autant Andely n’objectait jamais – ou très rarement – lorsque les ordonnancements de dépenses étaient formulés en présence du chef de l’État. Autant, de retour dans son bureau ministériel, le fameux stylo rouge émasculateur reprenait ses droits.
Aussi insiste-t-on à Brazzaville pour signifier que ce limogeage ne sanctionne pas une politique et qu’il n’implique en rien un retour au laxisme d’antan, qui avait valu au Congo tant de déboires avec la communauté financière internationale. À preuve : Pacifique Issoïbeka, 64 ans, le successeur d’Andely, celui-là même qui l’avait remplacé début 2003 au poste de vice-gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC), jouit d’une réputation bien établie d’extrême sobriété financière, tant dans sa vie personnelle que professionnelle. Ce Likouba de Mossaka (Andely est un Mbochi de Boundji), diplômé de l’École supérieure de commerce et d’administration des entreprises (ESCAE) de Lyon et titulaire de plusieurs certificats en comptabilité, en administration des entreprises et en ingénierie commerciale, est entré à la BEAC il y a trente-deux ans pour ne plus la quitter depuis, gravissant un à un les échelons.
Bon connaisseur des circuits internationaux (il est gouverneur suppléant du FMI et de la BAD), Pacifique Issoïbeka est un homme simple que l’on voit parfois assis sur un banc au coin d’une rue, dégustant des beignets en compagnie de son chauffeur, un homme honnête qui a pour habitude de reverser à la caisse le surplus de ses frais de mission, mais aussi un homme prudent que l’on imagine mal user du stylo rouge, surtout lorsque la facture émane de la présidence de la République…
À tout le moins Issoïbeka reconnaîtra-t-il l’autorité (ce qui n’a pas toujours été le cas de son prédécesseur) du coordinateur du gouvernement, désormais gratifié du titre de Premier ministre, Isidore Mvouba. Premier des ministres plutôt, car même si ce fils de la région troublée du Pool peut convoquer et diriger des conseils interministériels, il n’est pas chef du gouvernement – à l’instar des Premiers ministres guinéens par exemple ou d’un Hadrien Houngbédji au Bénin il y a quelques années.
Pour le reste, le remaniement du 7 janvier, dont les Congolais, comme à leur habitude, attendaient beaucoup, en l’occurrence le limogeage avec pertes et fracas de la quasi-totalité des ministres – la critique au vitriol des « en haut d’en haut » étant ici un sport national -, avant d’être comme d’habitude déçus, opère des changements cosmétiques par petites touches. Économie et Finances, Santé, Justice, Sécurité, Eau et Électricité, Contrôle d’État : l’essentiel des secteurs clés sont concernés dans le cadre d’un jeu de chaises musicales où les titulaires les plus critiqués par l’opinion ne font que changer de poste. L’art en somme de faire du neuf avec du vieux.
Quelques nouvelles têtes pourtant, dans ce gouvernement de trente-cinq membres (dont cinq ministres d’État : Pierre Moussa, Rodolphe Adada, Jean Martin Mbemba, Jean-Baptiste Tati Loutard et Aimé-Emmanuel Yoka, le très actif et très indépendant directeur de cabinet du chef de l’État). Le général Paul Mbot, par exemple, succède à son collègue Pierre Oba à la Sécurité et à l’Ordre public. Ce policier en vue sous Sassou I avait depuis quelque peu disparu des écrans radar. Autre entrée : celle de Bruno Itoua à l’Énergie et à l’Hydraulique. Avec le départ d’Andely, il s’agit là de la deuxième petite révolution de ce nouveau gouvernement.
Certes, Bruno Itoua n’a jamais été ministre, mais cette promotion n’en est pas une pour lui dans la mesure où ce personnage discret et énigmatique devra très vraisemblablement quitter un poste de PDG de la Société nationale des pétroles du Congo, cet État dans l’État. Dans un pays où 50 % du PIB et 80 % des recettes d’exportation proviennent du pétrole, la SNPC, créée il y a sept ans, est une institution d’autant plus mythique qu’elle a longtemps fonctionné sur le mode de l’opacité, avant de s’efforcer de jouer le jeu de la transparence face à l’insistance du FMI. Dans cet exercice délicat, Bruno Itoua n’a pas démérité. Les raisons du déplacement de celui qui devra désormais gérer les pénuries d’eau et d’électricité – poste ô combien exposé – relèvent donc de ces mystères dont seul Denis Sassou Nguesso détient les clés.
C’est avec cette équipe finalement peu remaniée que le président congolais compte préparer les élections législatives de 2007 et prolonger la lune de miel avec les bailleurs de fonds. En pleine restructuration, toujours écartelée entre ses branches intérieures et ses leaders historiques en exil (Pascal Lissouba, qui vient de se réinstaller à Paris, Bernard Kolélas, Mougounga Nguila Nkombo…), l’opposition regroupée au sein du Code A s’y attelle elle aussi. Tout comme le Parti congolais du travail (PCT) au pouvoir, à la recherche identitaire d’un difficile aggiornamento entre ses caciques et ses rénovateurs.
Mais il y a plus urgent que ces réajustements politiciens qui ne passionnent guère les Congolais. La persistance, dans le Pool, d’une résistance résiduelle aux allures de banditisme de grand chemin demeure ainsi une source d’inquiétude, d’autant que les Ninjas aux écharpes violettes du pasteur Ntoumi rançonnent régulièrement les passagers du chemin de fer Brazzaville-Pointe-Noire. 2005 devrait voir l’organisation de législatives partielles dans les circonscriptions de cette région où l’insécurité rendait jusqu’ici impossible la tenue de toute élection. L’année qui s’ouvre pourrait aussi connaître l’épilogue judiciaire – tout au moins au Congo – de l’affaire dite des disparus du Beach, un dossier miné et d’autant plus complexe à appréhender qu’aucune liste précise et surtout nominative des quelque trois cents victimes présumées n’a jamais été publiée, au point que l’on se demande si une telle liste existe réellement. Autre chapitre sensible dans un pays où les kalachnikovs ont longtemps circulé avec autant d’aisance que les casiers de bière : la reprise en main des forces de l’ordre et de défense au sens large du terme. Trop de trafics et de barrages sauvages – les fameux « bouchons » -, trop de racket, de vols d’armes et de braquages suspects ont conduit Denis Sassou Nguesso à taper du poing sur la table lors du Réveillon des armées, le 31 décembre dernier. Sanctions et épurations en vue donc, mais aussi dégraissage indispensable d’un pays devenu obèse à force d’absorber sans les intégrer des vagues successives de miliciens et autres rebelles repentis : cette cure se fera-t-elle sans heurts ?
Si l’on ajoute à ce tableau des privatisations en friche, une situation sociale tendue et des promesses de réalisations qui tardent à se concrétiser – notamment dans les domaines des infrastructures routières et de l’assainissement urbain de Brazzaville -, le côté vide de la bouteille Congo demeure impressionnant. On aurait pu, certes, décrire le côté plein, qui est réel, affirmer avec Denis Sassou Nguesso que 2005 sera meilleure que 2004, d’autant que la production pétrolière prévue sera en hausse de 17 %. L’exercice aurait eu sa part de vérité. Sauf qu’il n’y a rien de pire, pour un gouvernement, que l’autosatisfaction.

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