Les auteurs africains se mettent au noir

Longtemps considéré comme un genre mineur, le polar connaît une belle vitalité au sud du Sahara. Les éditeurs en redemandent.

Publié le 17 janvier 2005 Lecture : 6 minutes.

Une exposition sur la littérature policière, un « café littéraire » consacré au même thème, une adaptation d’un extrait du roman L’Assassin du Banconi… En novembre dernier, Bamako est devenue la capitale du polar africain, le temps du festival « Lire en fête au Mali ». « Cette année, les organisateurs ont choisi le thème du roman policier, car ce courant littéraire marche très fort, au Mali comme dans le reste du monde, explique un journaliste local. C’est un genre qui a longtemps été considéré ici comme mineur et sans intérêt pédagogique. La donne a changé. Des auteurs maliens s’y sont mis et le public suit ! »
La preuve : l’écrivain et éditeur Moussa Konaté a publié deux romans qui reposent sur un couple classique du genre, le commissaire Habib et son fidèle assistant Sosso. L’Assassin du Banconi et L’Honneur des Keïta ont ensuite été repris par la prestigieuse « Série noire » de Gallimard, à Paris. Et Moussa Konaté planche actuellement sur le troisième volet de leurs aventures, qui devrait sortir courant 2005. « Ce qui m’intéresse dans le polar, c’est sa technique, explique l’auteur. En bâtissant l’intrigue, l’auteur se livre à un jeu intellectuel : il peut mener le lecteur là où il veut ! En plus, les polars me permettent de plonger dans des milieux sociaux dont mes autres romans ne parlent pas, comme ceux du banditisme et de la drogue. »
L’Assassin du Banconi a été publié en 1990 en autoédition. « J’en avais conçu moi-même la couverture… Malgré l’impression artisanale, il s’est mieux vendu que tous mes autres romans ! Le deuxième a suivi très vite et connu un beau succès. J’explique cela par le fait que la littérature africaine ne s’est jamais voulue populaire. À part chez les NEI (Nouvelles Éditions ivoiriennes, NDLR), qui ont une collection de romans à l’eau de rose, les auteurs africains écrivent pour une élite. Or il existe un public populaire qui ne cherche qu’à lire et à se divertir : le polar va à la rencontre de ce lectorat », analyse Moussa Konaté. Et le Mali semble être à la pointe dans le domaine. L’un des premiers auteurs de polars africains est originaire de ce pays : Modibo Sounkalo Keïta, dont L’Archer bassari (éditions Karthala) a obtenu le Grand Prix littéraire de l’Afrique noire en 1984. Le Mali peut également s’enorgueillir de compter la première Africaine à avoir écrit un roman noir : il s’agit de la jeune Aïda Mady Diallo avec Kouty, mémoire de sang (« Série noire », Gallimard, 2002).
L’Afrique de l’Ouest en général compte plusieurs pionniers du genre, comme Abasse Ndione. À 58 ans, cet infirmier d’État à la retraite n’a pas son pareil pour décrire le milieu des « développeurs », les fumeurs de cannabis sénégalais, dans La Vie en spirale (« Série noire », Gallimard, 1998). L’histoire de cinq amis qui s’adonnent au yamba (cannabis) dans le village de Sambay, près de Dakar, est d’abord sortie en deux parties aux Nouvelles Éditions africaines, en 1984 et 1988. En 1984, le livre défraie la chronique. On accuse Abasse Ndione de faire la publicité du chanvre indien. Il s’en défend : son but, avec cet ouvrage, « n’est pas de faire une apologie du cannabis, mais tout simplement de décrire, avec un regard qui n’est pas jeté de l’extérieur, des gens et le milieu incroyablement vaste, cosmopolite et méconnu où ils évoluent ».
Encore une fois, le polar permet de sortir des sentiers battus et de livrer une analyse sociologique intéressante… D’ailleurs, après le scandale est venue la reconnaissance : le livre est aujourd’hui étudié à l’université et dans les écoles. Comme Ramata, son deuxième livre en français sorti chez Gallimard en 2000, La Vie en spirale est un roman corsé qui dénonce certains faits de société : incurie des dirigeants, corruption ou dépigmentation. Porté par une langue fleurie de mots d’argot sénégalais et un humour corrosif, il a inspiré l’écrivain français Lucio Mad qui ne perd jamais une occasion de citer son ami Abasse, notamment dans Dakar en barre (éditions Baleine, 1997). Une aventure du célèbre détective Le Poulpe qui ne manque pas de sel. Sous la plume de Lucio Mad, l’intrépide privé parisien part découvrir la capitale sénégalaise et le milieu du show business. Sur fond de rap en wolof, il passe de Dakar à Banjul, en Gambie, à un rythme d’enfer.
L’Afrique semble donc être une terre à polars… et celle-ci s’exporte. Ainsi, deux auteurs congolais, Bolya et Achille N’Goye, qui ont choisi de vivre en France, s’inspirent de leur pays natal ou du milieu afro de Paris. Ce qui donne des pages savoureuses, délicieusement enlevées grâce à une écriture toujours pimentée.
Bolya, qui n’a pas la plume dans sa poche, a écrit La Polyandre (1998) et Les Cocus posthumes (2001), tous deux aux éditions du Serpent à Plumes, qui ont pour héros l’inspecteur Nègre (sic) et se passent du côté de la Bastille ou du bois de Vincennes. Le second ouvrage, politique-fiction déjantée, pénètre l’univers d’une secte franco-africaine qui fait du trafic d’organes. Ça pourrait être glauque. C’est plutôt cocasse.
Quant à Achille N’Goye, il est le premier Africain à avoir été publié dans la « Noire » de Gallimard avec Agence Black Mafoussa, en 1996, après avoir sorti son premier roman noir en 1993, à l’Harmattan (Kin-la-joie, Kin-la-folie). « J’ai toujours lu des polars, explique l’écrivain. Notamment des auteurs anglais des années 1960. Dans les années 1980, L’Harmattan a publié les premiers polars noirs. Je les ai lus sans m’imaginer que j’en écrirais moi-même… Et puis, à la fin des années 1990, un grand reporter du Figaro a sorti un livre de propagande sur Mobutu et mon pays. J’étais outré et j’ai décidé de rétablir la vérité. Je me suis dit que les essais économiques ou politiques n’étaient pas accessibles à tous les lecteurs, j’ai donc décidé d’écrire Kin-la-joie, Kin-la-folie… mon premier roman ! Avec le polar, j’avais une liberté de langage, et il n’y avait pas beaucoup d’auteurs africains sur le créneau. C’était pour moi une façon de parler de l’Afrique, et donc de moi-même. »
Achille N’Goye dit préférer les romans noirs aux romans policiers classiques avec intrigue. Dans ses livres, il n’y a d’ailleurs pas à proprement parler d’enquête policière. « Mes personnages, même s’ils mènent l’enquête, ne sont pas des détectives au sens propre du mot, ce sont des messieurs Tout-le-Monde. » Achille N’Goye a également publié Sorcellerie à bout portant (Gallimard, 1998), Yaba Terminus (Serpent à Plumes, 1999) et Ballet noir à Château-Rouge (Gallimard, 2001).
Le polar, qui a longtemps été une spécialité anglo-saxonne, regarde donc vers l’Afrique. Genre littéraire aux prises avec son temps et qui en reflète les évolutions, il a été « dépoussiéré ». Vous avez en tête le détective à feutre mou qui boit du whisky et drague sa blonde secrétaire ? Le cliché est dépassé. En Afrique, un privé ressemble plutôt à une « grosse femme sympathique », de constitution « traditionnelle » – entendez « bien en chair » et qui assume sa taille 50. J’ai nommé : Precious Ramotswe, première femme détective du Botswana, à la tête de l’Agence N° 1 des Dames Détectives, à Gaborone. Une femme de caractère qui mène ses enquêtes tambour battant et dont les histoires caracolent en tête des ventes internationales. « Elle savait comment se comporter face à un garçon pénétré de sa propre importance, ce qui représentait, de son point de vue, le phénomène le plus dangereux que l’on pût rencontrer en Afrique. »
C’est peut-être ce mélange de féminisme éclairé, de bon sens universel mêlé à la vieille morale botswanaise qui fait de Mma Ramotswe un personnage si attachant. Toujours est-il que son auteur, Alexander McCall Smith, professeur de droit médical à Édimbourg (Écosse), né en 1948 au Zimbabwe, peut se réjouir de son succès. Depuis 1999, plus de cinq millions d’exemplaires ont été vendus dans le monde, dont deux millions aux États-Unis. Quatre tomes ont déjà été traduits en français : Mma Ramotswe détective, Les Larmes de la girafe, Vague à l’âme au Botswana et Les Mots perdus du Kalahari (éditions 10/18). Un cinquième est attendu pour 2005.
Une bonne nouvelle pour le polar à l’africaine. Car si, à la fin des années 1990, le roman policier a bénéficié d’une belle vitalité chez les auteurs africains, la dynamique semble s’essouffler un peu. « Le polar a connu un bon début en Côte d’Ivoire, mais les choses se sont tassées à cause de la situation socio-économique. La même tendance s’observe au Sénégal, où Abasse Ndione n’a pas vraiment été suivi par les jeunes écrivains, explique Moussa Konaté. La production de romans policiers sur le continent est à l’image de la littérature africaine en général : elle tourne au ralenti. Cela ne veut pas dire qu’il n’existe rien. On édite des livres, mais ceux-ci ne trouvent pas leur chemin vers le lectorat. » À nous, alors, d’être à l’écoute.

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