Le blues des hommes bleus

Originaires du Mali, les anciens rebelles touaregs de Tinariwen ont déserté les camps deréfugiés pour sillonner les scènes internationales.

Publié le 17 janvier 2005 Lecture : 4 minutes.

Ils ont troqué leurs kalachnikovs contre des guitares électriques et déserté les camps de réfugiés de Libye pour sillonner les scènes musicales internationales. Leur musique est un mélange de blues, de rock et de sons traditionnels du désert, et leurs textes chantent la nostalgie, l’errance, le déracinement et l’exil. Au mois d’août 2004, ils étaient en tournée au Japon et à Singapour, avant d’enflammer, le mois suivant, les salles enfumées d’Irlande. En novembre, ils enchaînaient les concerts aux États-Unis, dont un particulièrement remarqué à Chicago, la capitale mondiale du blues, avant de rendre visite à une réserve indienne, en solidarité avec un peuple dont ils disent partager le destin. Et pour la nouvelle année ils prévoient un long périple à travers l’Europe, l’Afrique, l’Asie et l’Australie. À la clé, la sortie d’un nouvel album. Celui de la notoriété ?
Les sept membres du groupe Tinariwen, pluriel du mot « ténéré » qui signifie « désert », reviennent de loin. Originaires du nord du Mali, ils ont fait la guerre des années durant avant de se consacrer entièrement à leur passion, la musique. Les anciens rebelles du désert s’affichent aujourd’hui aux côtés de stars comme Robert Plant (l’ancien chanteur de Led Zeppelin) et Manu Chao. Leur album Amassakoul (« le voyageur », en targui) rencontre plus qu’un succès d’estime auprès des critiques, et il se vend bien. Pour le groupe, l’année 2004 aura donc été celle de la consécration, mais que de difficultés avant d’en arriver là !
« J’ai perdu mon père en 1963. Notre cheptel a été massacré. Nous avons été exilés. J’ai trouvé ma thérapie dans la musique », explique Ibrahim Ag Al Habib, le guitariste et parolier de Tinariwen, le vétéran, mais surtout l’âme du groupe. À l’instar du reste de la bande, il revendique viscéralement son appartenance aux Touaregs, ce peuple de Berbères écartelé entre cinq pays, la Mauritanie, l’Algérie, le Niger, le Mali et la Libye. Depuis plus de quarante ans, un sanglant mouvement de rébellion contre le pouvoir malien ponctue l’existence de ces nomades du Sahara : ils ont été en guerre en 1963, en 1973 et au début des années 1990. Avec un tel parcours, les sept membres de Tinariwen ne pouvaient que se forger un tempérament de feu.
C’est tout naturellement que cette bande d’amis a plongé dans l’univers de la chanson. Parce que, chez ce peuple d’itinérants, la musique est une composante de la vie quotidienne. Quand les enfants touaregs ne se déplacent pas d’un point d’eau vers un autre, ils gardent les chèvres en jouant de la musique sur des instruments qu’ils façonnent eux-mêmes, avec les moyens du bord. Pour égayer les nuits étoilées du désert, hommes et femmes déclament les complaintes au son de l’imzad, une forme traditionnelle de violon à deux cordes, dont l’usage est exclusivement réservé aux femmes. Ibrahim baigne dans la musique depuis sa plus tendre enfance. « Pour fabriquer une guitare, on assemblait un bidon d’huile, de la ficelle et un manche en bois. J’avais 19 ans quand j’ai acheté ma première guitare, en faisant pot commun avec un de mes amis cofondateur de Tinariwen, aujourd’hui décédé », raconte cet homme longiligne, aux cheveux frisés et aux mains rêches.
Parce que, comme n’importe quel Targui, il considère que le désert lui appartient, Ibrahim Ag Al Habib vadrouille du Mali à l’Algérie et finit par s’installer à Tamanrasset, à la fin des années 1970. Au contact d’autres musiciens, il perfectionne son art et se fait remarquer par un groupe local, la Voix du Hoggar, qui l’invite à un festival organisé à Alger. Là-bas, pour la première fois, il découvre l’existence de la guitare électrique. C’est le coup de foudre. Ibrahim est tellement subjugué par l’instrument que ses hôtes décident de lui en offrir un. Avec quelques camarades du front, il fonde Tinariwen en 1982. Leur objectif : l’émancipation du peuple touareg à travers la musique. « La musique servait de véhicule au message et permettait de sensibiliser l’opinion touarègue, affirme un membre du groupe. Nous n’avons pas créé Tinariwen pour faire carrière. »
Chassés du Mali au milieu des années 1980, les musiciens trouvent refuge en Libye. En ce temps-là, Mouammar Kadhafi, grand chantre des causes révolutionnaires, accueillait des milliers de volontaires du continent pour les enrôler dans sa ligue de combattants contre l’impérialisme. Dans les camps, les musiciens de Tinariwen animent des soirées. « On menait une vie de combattants. On s’entraînait quotidiennement au tir dans un camp avec des soldats de la Swapo namibienne, de l’ANC sud-africaine et de l’OLP, raconte Ibrahim. C’est là que j’ai entendu les premiers artistes étrangers sur des cassettes qu’écoutaient nos compagnons d’entraînement. » Les musiciens révolutionnaires découvrent alors Bob Dylan, Bob Marley, Elvis Presley, James Brown, John Lennon et Jimi Hendrix.
En 2000, une fois la guerre finie et la paix signée entre la rébellion touarègue et le gouvernement malien, Ibrahim et sa troupe retournent au Mali. Ils remisent leurs kalachnikovs et enregistrent leur premier album, The Radio Tisdas Sessions, réalisé à l’énergie solaire dans un studio de Kidal, une ville de 20 000 âmes dans le nord-est du Mali. Quelques rencontres précieuses leur permettent d’élargir leur audience au public occidental. Leur route croise celles de Manu Chao, de Damon Albarn de Blur et du groupe angevin Lo’jo, qui organise tous les ans un festival dans le désert. C’est d’ailleurs sous le label musical de Lo’jo que Tinariwen enregistre son second album, Amassakoul, dont il assure la promotion en sillonnant les quatre coins de la planète.
« Auparavant, les gens venaient nous écouter et nous cherchions à ouvrir leur âme, déclare un membre du groupe. Maintenant, nous jouons pour un public international qui, bien souvent, ne comprend pas les paroles de nos chansons ; cela nous amène à mettre l’accent sur le rythme, sans pour autant abandonner notre message et l’objectif de sensibiliser l’auditoire à notre cause. » Pari gagné pour Tinariwen.

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