Entre les lignes

La parution de « Lisahohé », le premier roman de Théo Ananissoh, confirme l’éclosion d’une génération d’écrivains de talent.

Publié le 17 janvier 2005 Lecture : 3 minutes.

Dans la famille des écrivains togolais vivant en Europe, demandez le petit dernier ! Il s’appelle Théo Ananissoh ; à 42 ans, il vient de publier son premier roman, Lisahohé, dans la collection « Continents noirs » des éditions Gallimard. Dans un pays qui pourrait être le Togo – mais aussi la Centrafrique -, un ancien ministre a été tué, peut-être par son jardinier, ou bien par… De retour au pays après un long exil en Allemagne, le narrateur Paul A. redécouvre les lieux de son enfance et démêle un peu malgré lui l’entrelacs des destins de ceux qui furent, il y a longtemps, ses camarades de classe à l’école primaire. Vraie-fausse enquête policière, Lisahohé est le portrait en demi-teinte d’un pays d’Afrique modelé par des années de colonisation, puis par des ambitions personnelles parfois très éloignées du bien public…
Théo Ananissoh est né en Centrafrique, de parents togolais. En 1974, sa famille quitte le pays pour fuir le régime de Bokassa. C’est donc à Lomé qu’il entame, quelques années plus tard, ses études de lettres, avant de rejoindre les bancs et les amphithéâtres de la Sorbonne, à Paris. Son séjour en France dure huit ans, de 1986 à 1994. « Comme bien d’autres, j’ai remis à plus tard la décision de rentrer, puis je me suis retrouvé en Allemagne », raconte-t-il, après avoir rappelé l’insécurité politique qui régnait chez lui dans les années 1990. Pourquoi l’Allemagne ? « Le hasard. Un ami m’a informé de la possibilité de postuler pour une place d’enseignant à l’université de Cologne. J’ai écrit. On a retenu ma candidature pour donner quelques heures de cours par semaine sur la littérature africaine francophone à des étudiants qui parlent, lisent et aiment le français. Je suis venu pour trois années, et je suis resté. »
C’est entre 2000 et 2001 que Théo Ananissoh, après des vacances au Togo, écrit Lisahohé. « Pendant mon séjour, j’ai revisité et photographié des lieux où j’avais vécu. Pour des raisons familiales, j’avais souvent sillonné le Togo du nord au sud dans mon enfance. J’ai revu tout cela et, de retour en Allemagne, je me suis mis à écrire une sorte de fausse enquête criminelle avec le désir de décrire des lieux, des paysages, des êtres, tout en évoquant le passé proche et lointain d’un pays. » Ou plutôt, de deux pays : le jeune romancier confie qu’il a mélangé des éléments centrafricains et togolais pour construire cette fiction où « des gens qui vivent à la même époque sont pourtant dans une autre existence ».
Ses maîtres en littérature sont Mongo Beti, « pour sa vertu orgueilleuse et obstinée », V. S. Naipaul, « modèle de lucidité et de courage », mais aussi Léopold Sédar Senghor, Chinua Achebe et Thomas Mann. Aucun écrivain togolais ? « Jusqu’à ces dernières années, il n’y avait pas de modèle littéraire togolais auquel se référer. Il n’y a pas eu de véritable créativité littéraire au Togo comme ce fut le cas, dès avant les indépendances, au Sénégal ou au Cameroun. Pendant longtemps, le pays fut sur ce plan le parent pauvre en Afrique francophone. Ce n’était pas le néant absolu, certes, mais ce n’était pas non plus enviable. Je pense honnêtement que la littérature togolaise naît avec la génération actuelle. » C’est-à-dire celle des Kossi Efoui (La Fabrique de cérémonies, Le Seuil), Kangni Alem (Coca-Cola jazz, Dapper) et autres Sami Tchak (La Fête des masques, Gallimard). Comme certains d’entre eux, Théo Ananissoh évoque en filigrane la vie politique du pays où il a vécu son adolescence et où il retourne régulièrement. Bien qu’il s’en défende, ses personnages sont souvent emblématiques d’une Afrique bourrée de contradictions. Y voisinent le politicien corrompu, l’idéaliste, le touriste blanc, l’exilé de retour au pays, etc. Et si on lui demande franchement ce que lui inspire la vie politique togolaise, Théo Ananissoh répond en citant André Gide, qui a parcouru l’Oubangui-Chari en 1925 : « Le renoncement à la vertu par abdication de l’orgueil. » Une citation placée en exergue de son premier livre…

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