En attendant le retour des bailleurs de fonds

Les législatives se tiendront en mars ou en avril prochains. En annonçant l’organisation d’élections anticipées, le pouvoir ouvre la voie à la reprise de la coopération avec l’Union européenne, interrompue depuis 1993.

Publié le 17 janvier 2005 Lecture : 7 minutes.

La population togolaise est rassurée : après des semaines de suspense, le président Gnassingbé Eyadéma a finalement accepté les exigences européennes, conditions sine qua non pour une éventuelle reprise de la coopération. Il a effectivement annoncé, dans une lettre envoyée au commissaire européen à la Coopération et au Développement, Louis Michel, à la fin de 2004, qu’il dissoudrait l’Assemblée nationale « l’année prochaine » pour que les élections législatives aient lieu « avant la fin du premier semestre de l’année 2005 ». D’après Louis Michel, qui effectuait une visite au Togo le 27 décembre dernier, le scrutin se tiendra « soit en mars, soit en avril ». Les participants à ces négociations, commencées en avril 2004, poussent un soupir de soulagement : cet heureux dénouement entérine une reprise obtenue au forceps. Si les conditions pour accéder à une normalisation totale ont été aussi difficiles à mettre en oeuvre, c’est qu’elles touchent à la souveraineté du pouvoir en place.
Un petit rappel des faits s’impose. En 1993, l’Union européenne suspend une première fois sa coopération avec un pays dirigé par Gnassingbé Eyadéma depuis vingt-six ans (trente-sept ans à ce jour). La crise sociopolitique qui secoue le Togo en ce début des années 1990 force les bailleurs de fonds à prendre des sanctions. Cependant, l’UE ne se désengage pas complètement en vertu du principe de « non-pénalisation » des populations. Elle reste présente par l’intermédiaire de projets de proximité auprès de la société civile, lesquels représentent un budget de près de 9 millions d’euros. En outre, la suspension n’est pas, à l’époque, irréversible. La coopération reprend en effet quelque temps, avant de cesser de nouveau en 1998. Les dispositions de cette dernière suspension étaient encore en vigueur jusqu’à il y a peu.
En octobre 2003, quatre mois après la réélection du président Eyadéma, les deux parties renouent le dialogue. Le Premier ministre togolais, Koffi Sama, se rend à Bruxelles pour y rencontrer le président de la Commission européenne de l’époque, Romano Prodi. Koffi Sama plaide la cause de son pays en insistant sur la paupérisation grandissante des 5 millions d’habitants que compte le Togo. Chiffres à l’appui, le Premier ministre convainc Romano Prodi de la nécessité d’entamer de nouvelles discussions pour parvenir, à terme, à une normalisation des relations.
C’est l’article 96 de l’accord de Cotonou qui servira de cadre au dialogue, décide alors l’UE. Cette disposition permet d’engager des consultations à partir du moment où les États membres estiment que leur interlocuteur respecte certains engagements, notamment en matière de bonne gouvernance et de droits de l’homme.
Encore faut-il que tous les États de l’UE acceptent ces consultations. La plupart des Quinze d’alors sont indifférents au dossier togolais, mais l’Allemagne et la France, les deux seuls pays européens à être dotés d’une ambassade à Lomé, adoptent des positions antagonistes. Pour l’Allemagne, rien ne presse, d’autant que le Togo a encore d’énormes efforts à consentir sur le plan de la démocratie. Pour la France, à l’inverse, il est grand temps de soutenir un pays qui, certes, souffre de dysfonctionnements patents, mais fait preuve de bonne volonté. « Après tout, l’UE ne soutient-elle pas des pays tout aussi condamnables sur le plan de la gestion sociopolitique sans que personne n’y trouve à redire ? L’explication se résume à l’absence de pétrole au Togo », s’indigne un fonctionnaire du ministère français des Affaires étrangères.
De novembre 2003 à mars 2004, les discussions sur l’opportunité de ces consultations vont bon train à Bruxelles. Finalement, la France obtient gain de cause, et les débats commencent le 14 avril. Manque de chance pour le Togo, les représentants des institutions européennes à Lomé sont tous deux allemands. Il s’agit du délégué de la Commission européenne et du représentant de la présidence de l’UE, fonction que s’échangent tous les six mois les ambassadeurs français et allemand à Lomé. Le pays d’Eyadéma ne bénéficiera donc d’aucun « soutien » lors de ces premières négociations… D’ailleurs, si leur « allié » français avait pu chapeauter l’une des représentations européennes de Lomé, il n’est pas certain que la marge de manoeuvre des autorités togolaises eût été plus grande. Autrement dit, celles-ci n’avaient d’autre choix que de souscrire aux vingt-deux engagements présentés par Bruxelles : ils concernent essentiellement le rétablissement des principes démocratiques et le respect des libertés, et font office de feuille de route, même si le document fixe peu d’échéances précises. « Le Togo a clairement refusé qu’on lui impose une date pour la tenue des élections législatives », confie un proche du dossier. Deux rapports devront rendre compte de la mise en oeuvre effective de ces engagements : l’un au 1er juin 2004 et l’autre un mois plus tard. Après examen, la Commission européenne propose un nouveau projet de texte, qui se retrouve sur la table du Conseil à la rentrée de septembre. S’ensuivent alors de nouvelles discussions sur la crédibilité des avancées effectuées par les institutions togolaises. Le 15 novembre, la décision européenne est enfin rendue : par cet acte juridique unilatéral, l’UE clôt les consultations, abroge les dispositions de la suspension décidée en 1998 et instaure un mécanisme de contrôle du respect des libertés démocratiques.
Le lendemain, soit le 16 novembre, les autorités européennes envoient une lettre au Premier ministre togolais, explicitant la teneur de cette décision. Le courrier évoque la normalisation des relations entre l’UE et le Togo, et stipule que des moyens financiers restés en suspens après 1998 seront débloqués pour accompagner un certain nombre de projets. Disponibles dès janvier 2005, ces crédits, d’un montant de 25 millions à 30 millions d’euros, proviennent des reliquats des VIe et VIIe Fed (Fonds européens de développement) et des recettes résiduelles du Stabex (Stabilisation des recettes d’exportation). Ce mécanisme, mis en place aux termes de la Convention de Lomé I et aujourd’hui abrogé, visait à remédier aux effets néfastes de l’instabilité des recettes d’exportation des produits de base des États ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique).
Mais le point d’achoppement sur lequel se focalisent la population et les institutions togolaises ainsi que la Commission de Bruxelles concerne le IXe Fonds européen de développement. Le Togo a été privé de cette aide, attribuée pour cinq ans aux pays ACP, à la suite de la suspension de la coopération européenne en 1998. Une enveloppe d’environ 100 millions d’euros aurait alors dû être versée au pays. Les modalités d’attribution du Fed prévoient que, pour chaque année d’« exclusion » du pays, ce dernier perd 20 % de la totalité de la somme. Autrement dit, le Togo, qui en est à sa troisième année de privation, a déjà perdu 60 millions d’euros. Or la notification du IXe Fed devait s’effectuer avant le dernier jour de l’année, c’est-à-dire avant le 31 décembre 2004, condition sine qua non pour que le Togo puisse bénéficier des 40 % restants.
La lettre du 16 novembre conditionne cette notification à deux engagements : les autorités togolaises doivent annoncer la date des élections législatives anticipées avant le 31 décembre et mettre au point des règles du jeu électoral correspondant aux attentes démocratiques européennes. Bruxelles, qui estime avoir fait une concession de taille en ne formulant aucune exigence sur la présidence, se veut ferme sur ces deux points : « On est en plein flagrant délit d’ingérence, mais les autorités togolaises semblent avoir finalement accepté cette idée », indique un proche du dossier.
Reste que le débat sur le cadre électoral est houleux. Les engagements pris vis-à-vis de l’UE prévoient notamment « une reprise ouverte et crédible du dialogue national avec l’opposition » ainsi qu’une « révision du cadre électoral […] acceptable pour toutes les parties ». Or les trois partis de l’opposition radicale – le Comité d’action pour le renouveau de Yawovi Agboyibo, l’Union des forces du changement de Gilchrist Olympio et la Convention démocratique des peuples africains de Léopold Gnininvi – n’ont pas souhaité prendre part aux discussions, au motif que la méthode employée était biaisée. Ils contestent également le contenu de cette réforme. Le projet d’un nouveau code électoral, qui devait être examiné le 22 décembre, a finalement été reporté à une « date ultérieure ». Pour le gouvernement togolais, ce report est une main tendue vers l’opposition, invitée à renouer le dialogue…
Jusqu’aux derniers jours de 2004, la situation est restée bloquée. La nouvelle Commission européenne, élue avec un mois de retard, se montrait plutôt sensible aux arguments de l’opposition togolaise, tandis que la France optait pour une approche pragmatique. « Il faut faire évoluer la situation du pays coûte que coûte », entendait-on fin décembre au Quai d’Orsay. D’autant que la tension était palpable au Togo. Il ne s’est pas passé un jour sans que la presse locale n’épingle les réticences européennes alors même que le pays considère depuis le début des négociations ces 40 millions d’euros restants comme une véritable bouffée d’oxygène. Le ministère français des Affaires étrangères a maintes fois souligné auprès de Bruxelles que la notification du Fed ne signifiait pas un décaissement immédiat, mais plutôt le gel de cet argent jusqu’à l’organisation des élections. La France est même allée jusqu’à imaginer un mécanisme permettant à Lomé de ne pas perdre 20 millions d’euros supplémentaires. Une option juridique finalement retenue par la Commission européenne à condition, bien sûr, que le Togo « poursuive ses efforts ».

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