Brahim Izri

Le chanteur algérien est décédé le 3 janvier à Paris.

Publié le 17 janvier 2005 Lecture : 3 minutes.

La petite histoire se passe en kabylie au milieu des années 1970. Dans un internat de Tizi-Ouzou, un poste transistor diffuse « San Francisco », la célèbre chanson de Maxime Le Forestier. Brahim Izri, alors lycéen, tend l’oreille pour écouter ces paroles diffusées en boucle sur toutes les radios françaises : « C’est une maison bleue, adossée à la colline. On y vient à pied, on ne frappe pas. Ceux qui vivent là ont jeté la clé… » Tombé sous le charme, le jeune lycéen demande à un travailleur émigré en France de lui procurer tous les 33 tours de l’auteur de « Mon frère ».
Les années passent, et Brahim Izri, devenu chanteur professionnel, s’installe à Paris. Un jour de 1983, il décroche son téléphone et appelle Maxime Le Forestier pour lui demander l’autorisation d’adapter la chanson en kabyle. « San Francisco » devient alors « Tizi-Ouzou ». Brahim peut enfin assouvir son rêve d’adolescent. « Cet air n’a jamais quitté mon esprit », avait coutume de dire l’artiste. Il est mort d’un cancer à l’hôpital Hôtel-Dieu de Paris le lundi 3 janvier à 20 heures. Il avait 51 ans. Désormais, il repose en paix dans un petit carré du cimetière d’Ath Lahsen, un village de Tizi-Ouzou adossé à une colline, comme dans la chanson qu’il a empruntée à son ami Maxime Le Forestier.

Brahim Izri est né pour faire de la musique. Dans sa famille, il y a autant de musiciens qu’il y a de tuiles sur le toit de la maison. Déjà, au début du siècle dernier, la passion de la flûte et du violon a failli perdre son grand-père, le cheikh Belkacem. Parti à pied de la Kabylie vers La Mecque pour accomplir le rituel du hadj, il finit par s’installer en Arabie saoudite où il devient écrivain public. Tant mieux, pensèrent les gens de son village, qui, à l’époque, ne toléraient pas les musiciens, qu’ils assimilaient à des dépravés. De retour au pays, le grand-père fonde une importante zaouïa, une confrérie religieuse, où les chants et les psalmodies revêtent une place presque sacrée. Il était donc tout naturel que Brahim Izri fasse de la musique un sacerdoce. Au lycée, il monte son premier groupe, Iggudar (« Les Aigles »), dont le succès fut, il est vrai, modeste.

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La vie d’artiste est faite de récieuses rencontres. Celle qu’il fait avec Idir, l’auteur d’« Ava Inouva », est inespérée pour Brahim Izri. Ensemble, ils partent en tournée à travers la France. L’aventure dure trois ans, mais Brahim se lasse de jouer les seconds
couteaux. Il veut amorcer une carrière en solo. En 1981, il sort son premier album, Sacrifice pour un enfant, et joue à la Cigale, à Paris, trois soirs de suite. « Il est le premier chanteur kabyle à bénéficier d’une campagne publicitaire dans le métro parisien », raconte un musicien. Le public algérien le découvre en écoutant la chanson « Dachou yi » (« Qui suis-je? »), sur les ondes de la chaîne III. Ce titre lui confère la notoriété qui lui manquait dans son pays.
En France, Brahim Izri enchaîne les galas et multiplie les collaborations, dont une avec Renaud pour un album qui ne verra jamais le jour. Déçu par le milieu du show-biz, il devient chauffeur de taxi à Paris. « Mieux vaut vivre ainsi, disait-il, plutôt que d’accommoder ma musique à n’importe quelle sauce imposée par les producteurs. » Changer carrément de métier plutôt que de se « bâtardiser », voilà la philosophie de Brahim Izri.

La révolte des jeunes Kabyles en avril 2001 le secoue profondément. Avec d’autres artistes, il remplit le Zénith pour un concert dont les recettes sont reversées aux
victimes du soulèvement. Par la suite, il mobilise les chauffeurs de taxi parisiens pour rallier le siège du Parlement européen à Strasbourg afin de protester contre la répression
en Kabylie.
L’homme a l’engagement chevillé au corps. Parce que la musique est sa passion, il se remet à l’écriture. Mais, en novembre 2003, la maladie le frappe. Les médecins, qui détectent un cancer du côlon, lui recommandent une chimiothérapie. Brahim entame la première séance le 12 janvier 2004, le jour même de son anniversaire. « Pour combattre la mort, il donne vie aux textes et à la musique », dira une confidente. Même ses médecins ne peuvent rien contre sa détermination à terminer son album. Obstiné, Brahim se rend aux studios en ambulance et supervise les enregistrements avec des bouteilles d’oxygène à portée de main. « Je préfère mourir aux studios que sur un lit d’hôpital », confiait-il.
À la veillée du mort, puis le jour de l’enterrement en Kabylie, les hommes ont chanté et joué du tambour. Les larmes ne suffisaient pas pour l’accompagner à sa dernière demeure, il fallait aussi de la musique.

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