Abbas-Sharon la bataille des volontés

Dans l’immédiat, les objectifs du président élu le 9 janvier et ceux du Premier ministre israélien coïncident à peu près. À plus long terme, ils sont totalement contradictoires.

Publié le 17 janvier 2005 Lecture : 6 minutes.

De nombreux dirigeants politiques et commentateurs ont vu dans l’élection de Mahmoud Abbas (Abou Mazen) à la présidence de l’Autorité palestinienne, le 9 janvier, une « victoire de la paix ». Ce jugement est presque à coup sûr trop optimiste. Cette élection a seulement confirmé le choix d’un champion à opposer à l’Israélien Ariel Sharon dans la « bataille des volontés » qui s’annonce, et qui sera très probablement aussi impitoyable et aussi riche en coups tordus que toutes celles qui l’ont précédée dans la longue histoire du conflit israélo-palestinien.
Comme deux vieux lutteurs de sumo, Abou Mazen, 69 ans, et Ariel Sharon, 77 ans, s’observent avant de s’affronter dans ce qui sera probablement le plus grand combat de leur carrière.
Avant d’entrer sur le ring, ils peuvent se permettre d’échanger des plaisanteries, de se parler au téléphone, d’organiser une rencontre et même de passer certains accords, parce que, pour l’instant, leurs objectifs sont compatibles. À long terme, en revanche, ils sont totalement à l’opposé. À ce moment-là, ce sera une lutte à mort. Et personne ne peut avec certitude en désigner le vainqueur.

Les objectifs à court terme de Sharon sont bien connus. Deux, en particulier, ont été clairement annoncés. D’abord, il veut mettre fin aux attaques palestiniennes contre les Israéliens. Les attentats-suicides et les roquettes Qassam, pour artisanales et imprécises qu’elles soient, ont eu en Israël un effet psychologique et politique sans commune mesure avec les dégâts somme toute limités qu’elles ont provoqués. Elles ont entamé la réputation du « monsieur Sécurité » de Sharon, porté un coup au moral de la population et rabaissé les prétentions d’Israël à jouer le rôle de la superpuissance du Proche-Orient. Pour Sharon, elles sont devenues insupportables.
Bien qu’ayant eu recours à toutes les armes de destruction possibles et imaginables (assassinats ciblés, démolitions de logements, destructions de vergers, arrestations massives, incursions armées, couvre-feux rigoureux, contrôles humiliants, barrière de sécurité, etc.), il n’est pas parvenu, en quatre ans, à imposer aux Palestiniens une reddition sans condition. En fait, beaucoup de militants palestiniens, désespérés, veulent continuer le combat, même au sacrifice de leur vie.
Sharon est donc prêt, aujourd’hui, à reprendre avec Abou Mazen une « coopération sécuritaire » – bref, à l’aider à mettre au pas le Hamas et les autres groupes extrémistes. Autrement dit, pour l’aider à assurer la sécurité des Israéliens, il est disposé à faire appel à un « partenaire » palestinien et à en payer le prix : la libération de quelques prisonniers, la suppression de quelques points de contrôle, l’autorisation accordée à des policiers palestiniens armés de patrouiller dans les villes palestiniennes. Bref, d’offrir aux Palestiniens la possibilité de respirer un peu.
Le second objectif à court terme de Sharon est de mener à bien son plan d’évacuation de Gaza, qu’il juge essentiel à la réalisation de son programme. Il sait – comme tous les Israéliens sensés – que la présence à Gaza de 8 000 colons israéliens prospères au milieu de quelque 1,3 million de Palestiniens misérables est insoutenable. Pis, elle compromet les projets d’expansion israéliens en Cisjordanie.
Bien que les colons et les autres nationalistes messianiques crient à la traîtrise et menacent de se lancer dans la désobéissance civique, ou même dans des actes de violence contre l’État, Sharon sait qu’il doit leur faire échec. Et il est bien décidé à ne pas reculer. Pour mener à bien cette évacuation, il a pris le risque d’une division du Likoud, organisé une coalition avec les travaillistes et envisage de coordonner l’évacuation de Gaza avec l’Autorité palestinienne. Ce qui, à ses yeux, est une concession importante.
Au départ, il souhaitait que le désengagement soit « unilatéral ». Autrement dit : qu’il ne puisse en aucun cas être interprété comme une amorce de négociations avec les Palestiniens ; et que, de fait, ces derniers n’y participent en aucune manière. Aujourd’hui, sur ce problème aussi, il est prêt à collaborer avec un « partenaire » palestinien – position plus conciliante qui ne peut que plaire aux États-Unis, aux Européens, à l’Égypte, mais aussi au rabbin Ovadia Yossef, chef du parti ultraorthodoxe Shass (onze députés à la Knesset), que Sharon aimerait intégrer à sa fragile coalition. Il est en effet favorable à un retrait négocié de Gaza…
Nouveau président de l’Autorité palestinienne, Abou Mazen a des objectifs plus modestes. Il veut avant tout améliorer les terribles conditions de vie imposées aux Palestiniens. Ces derniers, comme l’on sait, meurent de faim, sont dramatiquement frappés par le chômage, ne peuvent se déplacer à leur guise ni se sentir en sécurité nulle part. Tireur israélien embusqué, tank ou drone, la mort guette à chaque coin de rue. La société palestinienne a été ravagée.
Pour faire un pas vers Sharon – et pour se ménager l’appui de la communauté internationale -, Abou Mazen s’est engagé à en finir avec le « chaos des armes », à remettre de l’ordre dans la « maison palestinienne », à unifier des services de sécurité pléthoriques et à convaincre les activistes de mettre un terme à « l’Intifada armée », du moins pour le moment. Autrement dit, il veut que les Palestiniens donnent une image de responsabilité, de non-violence et de démocratie, et qu’ils soient acceptés par des partenaires en Israël et dans le monde. Il a déjà été récompensé par l’éventualité d’une invitation à la Maison Blanche.
Mahmoud Abbas est depuis longtemps convaincu que le recours aux armes contre un État hébreu beaucoup plus puissant est suicidaire et que le changement en Israël ne peut venir que de l’intérieur. Il a engagé un dialogue courtois avec le camp de la paix israélien et avec des hommes de gauche comme Yossi Beilin, depuis des décennies. Il ne pense pas que les Palestiniens puissent attendre quoi que ce soit de positif de Sharon et de la droite israélienne.

la suite après cette publicité

À long terme, l’impasse est donc prévisible. Un auteur israélien a dit un jour que les objectifs stratégiques de Sharon étaient de mettre la main sur la Cisjordanie et d’empêcher la création d’un État palestinien. « Le reste, selon lui, n’est que de la tactique. » C’est toujours vrai. Sharon n’a aucun horizon politique au-delà de l’évacuation de Gaza et d’une certaine coopération sécuritaire avec les Palestiniens.
Comme le Premier ministre britannique Tony Blair l’a constaté récemment lorsqu’il a essayé de convaincre Sharon de participer à une conférence internationale à Londres, l’Israélien se refuse absolument à envisager des négociations sur tout ce qui touche au « statut final » des territoires palestiniens. Il ne viendra donc pas à Londres et ne veut entendre parler ni de Jérusalem, ni des frontières, ni des réfugiés. Il préfère évoquer, en termes passablement vagues, d’éventuels « arrangements » concernant une future coexistence israélo-palestinienne. Ce que la plupart des observateurs traduisent en ces termes : expansion des colonies, achèvement de la barrière de sécurité et concentration des Palestiniens dans leurs sept grandes villes, où, espère sans doute Sharon, la vie sera si difficile que beaucoup préféreront émigrer. Bref, son projet est de diviser la Cisjordanie, étant entendu qu’Israël se taillera la part du lion. Finalement, « l’option jordanienne » pourrait revoir le jour, avec un morceau de Palestine rattaché au royaume hachémite.
La vision à long terme d’Abou Mazen est, bien entendu, très différente. Son objectif reste l’instauration d’un État palestinien indépendant, avec Jérusalem-Est pour capitale, et une solution équitable au problème des réfugiés. Il veut une négociation sérieuse afin de régler le conflit une fois pour toutes, alors que Sharon veut éviter toute négociation de manière à gagner du temps et à poursuivre l’expansion.
Sharon s’efforce d’obtenir l’aide du président George W. Bush pour obliger les Palestiniens à accepter des arrangements provisoires, qui ne leur laisseront rien, ou très peu, au bout du compte. Abou Mazen veut l’aide de Bush pour créer l’État palestinien indépendant, viable et démocratique dont Bush lui-même a parlé.
Sans doute mise-t-il, au-delà de Sharon, sur une éventuelle évolution de l’opinion israélienne. Il a sept ans de moins que le Premier ministre et, en politique, sept ans, c’est long. Lorsque l’évacuation de Gaza sera terminée, lorsque les durs des durs des colons seront rentrés dans le rang, lorsque la gauche israélienne se regroupera, lorsqu’une majorité d’Israéliens aura été rassurée par une période de calme et aura compris que sa sécurité à long terme réside dans de bonnes relations avec une Palestine pacifique, prospère et démocratique, alors, pense Abou Mazen, l’État indépendant en Cisjordanie et à Gaza pourra devenir une réalité.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires