Mark Thatcher : aveux calculés

Publié le 17 janvier 2005 Lecture : 5 minutes.

Coupable, mais libre ! Quelques heures après avoir recouvré sa liberté de mouvement, Mark Thatcher a quitté Le Cap pour rejoindre sa famille au Texas. Pressé de prendre ses distances avec l’Afrique, le fils de l’ex-Premier ministre britannique laisse derrière lui des souvenirs encombrants. Et quelques mystères aussi.
Accusé d’avoir financé la tentative de coup d’État de mars 2004, Mark Thatcher, 51 ans, a été condamné, le 13 janvier, par la Haute Cour du Cap à quatre ans de prison avec sursis ainsi qu’à une amende de 3 millions de rands (environ 380 000 euros). Interpellé le 25 août 2004, le prévenu, qui avait toujours nié les faits, a changé de stratégie : sur les conseils de sa mère, il a décidé de plaider coupable. Par cette procédure prévue par la loi, il échappe à un long marathon judiciaire et, surtout, à un procès public. Les aveux de Thatcher sont le fruit d’un accord passé avec la Direction des opérations spéciales, unité de la police (les « Scorpions ») chargée de l’enquête sur la tentative de putsch à Malabo. L’accusé s’engage, en outre, à rester à la disposition de la justice sud-africaine.
Thatcher a été déclaré coupable d’infraction à la loi sur l’assistance militaire à l’étranger, qui interdit toute participation à une activité mercenaire. Dans le cadre de l’accord qu’il a signé, Thatcher reconnaît avoir payé 275 000 dollars pour la location d’un hélicoptère qui devait vraisemblablement servir à transporter l’opposant Severo Moto à Malabo une fois le putsch couronné de succès. Dans un document de sept pages, Thatcher explique par le menu son implication dans le complot.
Tout d’abord, il reconnaît avoir noué des liens d’amitié avec le Britannique Simon Mann, le cerveau de la conspiration, actuellement détenu à Harare où il a été arrêté le 7 mars dernier avec 65 mercenaires alors qu’il faisait route vers la capitale équatoguinéenne. Il reconnaît également que Mann l’a sollicité dès novembre 2003 pour affréter un hélicoptère dans la perspective d’une « transaction minière à Conakry, en Guinée-Bissau » (sic). Dès lors, Thatcher se met en quête d’un appareil. Au cours du mois de décembre, changement de programme : à Johannesburg, Simon Mann lui présente Crause Steyl, propriétaire de la compagnie Air Ambulance Africa Aviation (AAA), pilote chevronné et ancien membre des forces spéciales sud-africaines. La location de l’appareil doit permettre de procéder à d’éventuelles évacuations sanitaires, apprend alors Thatcher.
Dès lors, les activités de Mann et Steyl vont éveiller les soupçons de leur partenaire. Mais pas assez, puisque début janvier 2004, Thatcher effectue un virement de 20 000 dollars sur le compte d’AAA Aviation à la Standard Bank de Bethlehem, une ville située au sud de Johannesburg. Le 16, il fait un second virement de 255 000 dollars sur ce même compte après la conclusion d’un accord avec AAA Aviation sur la répartition des bénéfices de cette opération d’affrètement. Une fois les virements effectués, l’appareil est convoyé d’East London (province du Cap oriental) à Walvis Bay, en Namibie. Il y restera immobilisé trois semaines durant, avant de regagner l’Afrique du Sud.
S’appuyant sur les aveux de leur client, les avocats de Thatcher ont donc tout fait pour en limiter l’impact, expliquant que celui-ci avait financé la location d’un hélicoptère « dans des circonstances où il aurait dû faire preuve de plus de prudence ». La clémence du verdict infligé à ce fils de bonne famille n’est pas vraiment une surprise, même si elle risque de susciter de vives réactions. Comment Thabo Mbeki, avocat de la renaissance africaine et pourfendeur du néocolonialisme sous toutes ses formes, va-t-il pouvoir justifier aux yeux de son opinion publique comme à ceux de ses pairs africains – notamment le Zimbabwéen Robert Mugabe et l’Équatoguinéen Teodoro Obiang Nguema – l’abandon des poursuites contre le seul des protagonistes ayant avoué son implication « malgré lui » dans le complot ? Il est vrai que le prévenu a bénéficié de soutiens conséquents. À commencer par celui de sa mère, Margaret Thatcher, arrivée en Afrique du Sud dès le 17 décembre pour plaider la cause de son fils auprès des autorités locales. Mark a-t-il bénéficié d’un traitement de faveur ? Si l’administration sud-africaine se dit satisfaite du deal, qu’elle a qualifié de « juste et équitable », la légèreté de la peine est jugée choquante par beaucoup. Et notamment par l’avocat des mercenaires sud-africains détenus à Harare : « Mes clients ont toujours dit qu’ils étaient dans le coup. C’est une honte de voir les financiers s’en sortir avec des amendes tandis que ceux qui étaient sur le terrain croupissent en prison. » Alors que Simon Mann purge une peine de trois ans de prison au Zimbabwe, son comparse Nick du Toit a écopé de trente-quatre ans de réclusion à Malabo.
Mais, même négociés, les aveux de Mark Thatcher n’en constituent pas moins une indéniable avancée dans l’affaire du putsch manqué contre Obiang Nguema. Certes, sur le plan judiciaire, les autorités équatoguinéennes voient s’éloigner un témoin capital. Elles réclament depuis le 27 août 2004 l’extradition de l’accusé, qu’elles ont inculpé et contre lequel un mandat d’arrêt international a été lancé. Mais il est plus qu’improbable que ces poursuites aboutissent. À Malabo, peu de réactions au verdict sud-africain. Sans doute faut-il attendre le retour du chef de l’État, en déplacement le 13 janvier à Maurice, pour connaître la position des autorités. Seul le ministre de la Justice, Angel Masié Mibuy, s’est exprimé sur le sujet. Avec une courtoisie très diplomatique, il a déclaré à J.A.I. « respecter la décision de la justice sud-africaine ». Toutefois, le ministre n’en demeure pas moins sceptique sur le degré d’implication de l’accusé dans la tentative de déstabilisation. Et craint que sa libération ne crée un précédent dangereux pour la stabilité politique du continent.
En revanche, sur le plan politique, les aveux de Thatcher sont les premiers à confirmer de manière officielle la thèse du complot : « Les déclarations de Thatcher sont accablantes, analyse un proche du dossier. Elles corroborent l’existence d’une machination internationale, et mettent directement en cause l’opposant Severo Moto, en exil à Madrid. L’Espagne doit maintenant en tirer les conclusions qui s’imposent. La Grande-Bretagne aussi. » Une allusion claire aux commanditaires présumés du putsch, au premier rang desquels le courtier Elie Khalil, un homme d’affaires anglo-libanais ayant fait fortune dans le pétrole africain. Mais il n’est pas seul. Les autorités équatoguinéennes s’intéressent également au rôle joué par d’éminents sujets britanniques. Parmi eux, des hommes d’affaires, comme Greg Wales, mais aussi des politiciens, comme David Hart, qui fut conseiller de Margaret Thatcher au 10, Downing Street, et lord Archer, ex-parlementaire conservateur en rupture de ban. Enfin, les soupçons se portent aussi vers le camp travailliste puisque le commissaire européen au Commerce, Peter Mandelson, est suspecté de s’être entretenu de la tentative de coup d’État avec Elie Khalil. Ce qu’il nie catégoriquement. n

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