Yayi en état de grâce

Six mois après son élection, le chef de l’État reste populaire. Même si ses compatriotes attendent toujours de le voir tenir ses promesses électorales.

Publié le 16 octobre 2006 Lecture : 6 minutes.

L’homme qui a promis la rupture aux Béninois est-il en train de tenir parole ? Triomphalement élu, le 19 mars dernier, Boni Yayi avait axé toute sa campagne électorale sur le thème du changement. Le ralentissement économique, la détérioration des conditions de vie, l’affairisme dans les sphères du pouvoir et le discrédit de la classe politique, qui ont marqué les dernières années de l’ère Kérékou, devaient être balayés par le souffle d’un « Bénin nouveau ». Sur les estrades, l’ancien patron de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) s’est montré convaincant. Dans les urnes, le candidat indépendant a obtenu un plébiscite. Six mois après son investiture et la formation du gouvernement, le 8 avril, le chef de l’État n’a modifié ni son discours, ni son programme.
« Nous voulons marcher sur deux pieds : renforcer la démocratie et faire du Bénin un pays émergent », promet le ministre de la Justice, garde des Sceaux et porte-parole du gouvernement, Abraham Zinzindohoué. Pour cela, « il a fallu tout d’abord éteindre les incendies », parer au plus pressé et faire rentrer l’argent dans les caisses de l’État, désespérément vides. La première priorité affichée par le nouvel exécutif a été la lutte contre la corruption et l’assainissement des finances. « Pour une question de transparence », tous les ministères et l’ensemble des entreprises publiques ont subi des audits lancés en mai dernier. « En cas de faute, des sanctions seront prises. Il n’y aura pas de chasse aux sorcières mais pas d’impunité », annonce le ministre, un magistrat de formation qui fut président de la Cour suprême de 1995 à 2000. Rassurer les usagers et marquer les esprits. En juin, l’ancien président de la Société nationale de commercialisation des produits pétroliers (Sonacop), Séfou Fagbohoun, accusé de malversations a été interpellé puis incarcéré à la prison de Cotonou. Un mois plus tard, l’ex-ministre des Finances sous la présidence Kérékou, Cosme Sêhlin, soupçonné de trafic de stupéfiants, subit le même sort. Depuis, la justice suit son cours. « Si les Béninois cherchent encore en vain le changement dans leur assiette, le président Yayi leur a donné les signes du changement. Pour l’instant, cela suffit et il jouit encore d’une très forte popularité », estime un professeur d’université, Roger Gbègnonvi. Si l’état de grâce semble donc vouloir jouer les prolongations, les attentes sociales sont restées sans réponse.
Après deux années extrêmement difficiles, le taux de croissance économique ne devrait pas dépasser les 3 % en 2006 alors que 70 % des 7 millions d’habitants vivent dans la pauvreté. En perte de vitesse dans un contexte de forte concurrence régionale, le port de Cotonou a vu son trafic baisser alors qu’en 2003 l’activité portuaire représentait 90 % des échanges commerciaux et 80 % des recettes douanières. Désorganisation sur les quais, délais de manutention trop longs, installations insuffisantes, lourdeurs administratives, la liste des dysfonctionnements est longue. La capitale économique n’a pas su convertir sa position géographique en atout pour le développement du pays. Parallèlement, les activités de négoce avec le géant nigérian, qui représentent la moitié du Produit intérieur brut (PIB), ont été malmenées, depuis 2004, par les mesures de restriction décidées à Abuja. Face à ce défi, le candidat se disait déterminé à faire du Bénin « un Hong-Kong africain » orienté vers les services, le commerce, la finance et le transport. Les paroles sont-elles suivies d’effets ?
Le président a beaucoup voyagé pour convaincre les partenaires étrangers. En France, il a été reçu par Jacques Chirac le 28 juin, avant de se diriger vers le Japon et Singapour. Deux mois plus tard, du 28 août au 2 septembre, il est allé à la rencontre des décideurs chinois à Pékin pour leur dire « que des blocs d’exploration pétrolière étaient disponibles ». Avant d’ajouter : « le Bénin appartient au même golfe de Guinée que le Nigeria, le Cameroun, la Guinée équatoriale, le Gabon ». Plus récemment, un périple de deux semaines l’a conduit à New York pour l’Assemblée générale des Nations unies, le 20 septembre, et à Bucarest pour le sommet de la Francophonie, les 28 et 29 septembre. « Il passe les deux tiers de son temps à l’extérieur, mais rien ne rentre », déplore un compagnon de route qui s’interroge sur ce tropisme international. « C’est un faux procès », proteste le porte-parole du gouvernement, qui énumère les chantiers en cours grâce à la mobilisation des bailleurs de fonds.
Paris a annoncé le triplement en 2006 de son aide budgétaire qui passe à 5,6 millions de dollars ?(2,9 milliards de F CFA). L’Union européenne a approuvé un financement de 29 millions de dollars (15 milliards de F CFA) pour l’aménagement du réseau routier Banikoara-Kandi, dans le nord du pays. La Banque africaine de développement (BAD) a accordé un prêt de 14,5 millions de dollars et un don de 7,6 millions afin de lutter contre la pauvreté. Mais la principale satisfaction de Cotonou vient de Washington. Le 9 octobre, le président Yayi a paraphé l’accord augurant une pluie de dollars : 307 millions (170 milliards de F CFA) sur cinq ans. Cette enveloppe sera principalement affectée à la modernisation du port, la politique foncière ainsi qu’à la réforme de la justice. À cela il convient d’ajouter l’arrivée de Malaisiens prêts à financer la construction de logements sociaux à Cotonou et relancer la filière d’huile de palme, en pleine déconfiture depuis trois ans. « Nous voulons faciliter l’arrivée d’investisseurs étrangers pour ensuite partager les fruits de la richesse », promet Abraham Zinzindohoué. Dans cette perspective, le palais de la Marina prépare aussi un plan de redressement du secteur coton, qui représente 14 % du PIB et fait vivre, directement ou indirectement, 3 millions de personnes.
Sur la campagne 2006-2007, la production ne dépassera pas les 300 000 tonnes. C’est plus que les 250 000 récoltées l’année dernière mais moins que les 500 000 annoncées. À plusieurs reprises, Boni Yayi est allé à la rencontre des paysans pour les inciter « à retourner aux champs » cultiver l’or blanc, alors que les surfaces ensemencées n’ont cessé de baisser depuis trois ans. « Il est important que le Bénin retrouve sa place », a-t-il insisté en promettant de consacrer 15 milliards de F CFA pour rembourser les impayés accumulés par la Société nationale pour la promotion agricole (Sonapra) auprès des planteurs. L’enjeu est de taille. Mais, pour l’instant, les premiers remboursements n’ont pas suffi et « les problèmes de structure n’ont pas été réglés », résume Roland Riboux, président du Conseil des investisseurs du Bénin. La privatisation annoncée puis reportée de la Sonapra est toujours au point mort, même si certains professionnels dénoncent un désengagement de l’État « négocié en douce » au profit d’opérateurs privés. En première ligne figurerait l’homme d’affaires Patrice Talon, considéré comme un proche du chef de l’État et qui détient par ailleurs le quasi-monopole sur l’importation des intrants.
« Nous constatons les limites du programme Yayi. Les annonces ne sont que feu de paille et le bilan est déjà calamiteux. Les Béninois sont victimes d’une vaste campagne de propagande, mais l’exercice du pouvoir est en réalité désastreux », dénonce un fonctionnaire international béninois. Moins sévère tout en étant assez circonspect sur les méthodes de travail présidentielles, un diplomate reconnaît qu’on en est encore « au stade de l’apprentissage ». « Il est temps que le locataire du palais enfile son costume de chef d’État ! » conclut-il. Conseils des ministres interminables, réunions de travail improvisées, dissensions au sein même du cabinet présidentiel, influence de l’église évangéliste, hystérie sécuritaire autour du président, conseillers omniprésents, les déçus du « yayisme » décochent leurs premières flèches. Les critiques les plus méchantes proviennent d’anciens membres de l’équipe de campagne qui attendent toujours un renvoi d’ascenseur, constate un fidèle du président qui reconnaît malgré tout que la compétence n’est pas toujours au rendez-vous. : « Seuls deux ou trois ministres émergent, dont celui de l’Économie Pascal Irénée Koupaki, mais les autres se cherchent ». Plus vachard, un conseiller en rupture de ban mais très influent sur l’opinion dénonce un pouvoir autoritaire et solitaire. « Yayi ne supporte aucune contradiction. Il est réfractaire à toute critique. Ceux qui l’ont porté au pouvoir sont très déçus », affirme-t-il.
Cette agitation n’est pas sans lien avec la bataille des législatives prévues en mars 2007. Soutenu par une alliance « Kauri » hétéroclite regroupant vingt-sept petits partis politiques, le premier magistrat du Bénin se refuse à créer sa propre formation, misant sur son capital sympathie pour dessiner les contours d’une nouvelle majorité parlementaire. Un pari risqué si le soutien de la population venait à s’effriter.

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