Pas si bidon !
Le Quai Branly a invité le plasticien béninois Romuald Hazoumé à exposer La Bouche du roi. Une installation étonnante.
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La lumière matinale éclaire délicatement les jardins du musée du Quai Branly. Derrière les baies vitrées du rez-de-chaussée, dans une vaste pièce nue et haute de plafond, 304 bidons d’essence jonchent le sol. Noirs, poussiéreux, serrés comme des sardines, ils font penser à des visages : la poignée centrale pour le nez, le bouchon ouvert pour la bouche. Chacun, ou presque, porte un signe distinctif : un coquillage, un bout de tissu froissé, un bracelet en perles blanches, un petit fétiche en bois Leur disposition symétrique et étirée rappelle la forme d’un navire négrier. À la proue, deux jerricanes se distinguent de la masse. L’un, jaune, est affublé d’une moustache et de couettes blondes. L’autre, noir, porte une couronne.
Des pleurs, des cris, des lamentations dans une langue inconnue émergent de l’embarcation de plastique. Elle exhale des odeurs étranges, tantôt d’uf pourri, tantôt d’épice – le cumin, peut-être. Au-dessus de la poupe, une télévision suspendue diffuse des images en couleur : un camion-citerne et des mobylettes chargées de bidons – encore – défilent sur une piste de latérite. La Bouche du roi dénonce « un monde, une Afrique gérés par des roitelets corrompus qui volent, pillent, détournent, s’approprient, s’enrichissent en surexploitant le peuple », commente calmement un homme noir vêtu d’un ample boubou immaculé. C’est Romuald Hazoumé, le plasticien béninois célèbre pour ses masques et autres sculptures « bidon ».
Du 11 septembre au 13 novembre, l’artiste de Porto Novo (contrairement à nombre de ses pairs africains, Hazoumé vit toujours sur le continent), qui est également peintre, expose au Quai Branly, le musée français consacré aux arts et civilisations d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques, inauguré en grande pompe par Jacques Chirac en juin dernier. Comme prévu dès sa conception, le nouveau sanctuaire est également ouvert aux créations contemporaines. Et qu’elles soient polémiques et dans l’air du temps comme La Bouche du roi (qui désigne l’estuaire du fleuve Mono, à l’ouest du Bénin, d’où partaient les esclaves pour l’Amérique) n’est pas un problème. Au contraire : quel meilleur moyen pour tordre le cou aux accusations de néocolonialisme que d’accueillir une installation qui dénonce l’esclavage moderne ?
L’engagement d’Hazoumé, qu’il revendique entièrement – « Chez nous, l’art a toujours été utile. » -, n’est toutefois pas si simpliste. « À Cotonou [où La Bouche du roi a été exposée en 1999], je montrais du doigt tous ceux qui étaient dans la salle et qui avaient des esclaves chez eux », raconte-t-il. À la proue, entre les deux monarques – Noir et Blanc – qui emmènent les esclaves, l’artiste a déposé une petite balance dorée les responsabilités sont partagées. « Aujourd’hui, tout le monde veut se mettre en costard-cravate en Afrique, nous perdons nos richesses », s’insurge l’homme en boubou.
La Bouche du roi, musée du Quai Branly (Paris), jusqu’au 13 novembre 2006. www.quaibranly.fr
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