Palestinien non grata en Palestine

La journaliste israélienne Amira Hass rapporte dans Haaretz l’histoire de cet homme privé de son droit de résidence pour avoir poursuivi son cursus universitaire – et travaillé – à l’étranger.

Publié le 16 octobre 2006 Lecture : 5 minutes.

Sept mois après, le citoyen suédois Somaida Abbas, 48 ans, conseiller économique de son état, n’a toujours pas compris pourquoi on lui a refusé le droit de retrouver, à Ramallah, en Cisjordanie, sa femme et ses trois enfants. Finalement, ce sont eux qui sont venus le rejoindre à Amman, en Jordanie.
Son épouse, Saada Shobaki, fonctionnaire au ministère palestinien de l’Économie, a pris un congé de six mois et ses enfants ont quitté leur école. La famille vit aujourd’hui dans un meublé impersonnel. Les clefs de la maison d’Abbas à Ramallah sont accrochées à la porte. Il a déjà perdu un jeu de clefs : celui de sa maison de Jérusalem, sa ville natale, où il a vécu et fait des études jusqu’il y a une vingtaine d’années. Parce qu’il a poursuivi son cursus universitaire – et travaillé – à l’étranger, Israël lui a retiré ses droits de résidence.
Abbas est l’un des premiers Palestiniens possédant une citoyenneté occidentale à avoir été victime de la nouvelle politique israélienne, non déclarée officiellement, interdisant le retour des Palestiniens. Cette politique touche les personnes qui veulent rendre visite à leur famille ou retourner vivre dans les Territoires, comme cela s’est fait ces dix ou quinze dernières années, avec des visas de tourisme ou des permis de travail que seul Israël a le droit de délivrer, ce qu’il a fait jusqu’en 2000.
La vague massive de refus d’entrée et de non-renouvellement des visas a commencé au début du printemps 2006, après la constitution du gouvernement du Hamas. Abbas a été refoulé le 6 février, alors qu’il revenait d’un court voyage d’affaires en Suède et en Turquie. En Suède, il avait participé à un séminaire sur l’amélioration de la coopération économique entre les entreprises palestiniennes, israéliennes et suédoises. En Turquie, il s’était entretenu avec le ministère des Affaires étrangères sur la réouverture de la zone industrielle d’Erez.

Dans un premier temps, Abbas, ses amis et ses relations d’affaires, dont beaucoup d’Israéliens, ont cru qu’il s’agissait d’un malentendu. Seule une erreur pouvait expliquer qu’on refuse l’entrée à un important conseiller économique nommé par l’Autorité palestinienne pour développer l’idée de zones industrielles israélo-palestiniennes après qu’Israël eut commencé à limiter de plus en plus l’accès de la main-d’uvre palestinienne à son territoire.
« L’idée, explique Abbas, c’était : si Moïse ne va pas à la montagne, la montagne ira à Moïse. Des zones industrielles auraient apporté du travail aux Palestiniens et de la sécurité aux Israéliens. Les pays donateurs les auraient financées. Itzhak Rabin, Yossi Beilin, Abou Ala, tout le monde y croyait. J’ai été nommé pour piloter le projet en 1995. Notre ambition était que ces zones puissent concurrencer [grâce à des coûts salariaux moins élevés – ndla] d’abord des pays comme la Jordanie, la Syrie, la Turquie et l’Égypte, puis le Bangladesh, le Sri Lanka et les Philippines. »
L’espoir que cet horizon économique ouvrirait le chemin de la paix, dit Abbas, l’a incité à renoncer à un emploi très bien payé en Suède. Il avait eu des dizaines de réunions avec le ministère de la Défense à Tel-Aviv, où il avait ses entrées, et dans les bureaux de l’administration civile à Beit El et à Toul Karm.
Tout cela ne lui a été d’aucun secours lorsqu’il a atterri à l’aéroport Ben-Gourion, en février, avec son passeport suédois. « La préposée a pris mon passeport, raconte-t-il, et j’ai attendu. Une heure s’est écoulée. C’était normal. Au bout de deux heures, j’ai compris que quelque chose ne tournait pas rond. Un fonctionnaire de police d’origine russe (je l’ai reconnu à son accent) s’est présenté et m’a dit : Abbas, ça suffit. Vous vous moquez de l’État d’Israël. Vous travaillez en Israël. Je lui ai répondu : Je n’ai jamais travaillé en Israël. Je travaille à Ramallah. Je lui ai montré le document qu’on m’avait donné à Beit El. Mais il a continué : Ce n’est pas légal. Qu’est-ce qui n’est pas légal ? lui ai-je répondu. En 1996, j’ai obtenu un permis de travail à renouveler tous les six mois. Beit El a cessé de nous en délivrer en 2000, mais nous renouvelions nos visas de tourisme tous les trois mois. Ma femme et mes enfants sont à Ramallah, pas en Israël. À quoi il a répliqué : C’est faux. Ramallah appartient à Israël. »
Abbas a atterri à 1 heure du matin de ce qu’il appelle le « dimanche noir ». À 7 heures du matin, le « Russe » devait rentrer chez lui, et il voulait remettre Abbas dans un avion en partance pour Stockholm. Il refusa. Le ton monta. Abbas interdit à deux policiers baraqués de le toucher. Il appela le numéro d’urgence de l’ambassade de Suède, qui ne pouvait rien faire parce qu’on était dimanche et qu’Israël est un pays souverain. Il essaya également de contacter une personne qu’il connaissait au Centre Pérès pour la paix. Qui ne put rien faire elle non plus. Abbas fut incarcéré dans une cellule de l’aéroport. « J’étais brusquement devenu un criminel ! [] Ils m’ont persuadé que c’était simplement une question de formalités, poursuit-il, et qu’on allait me donner un visa de service, avec lequel il n’y aurait plus de problème. » Ils mirent Abbas dans un avion en direction de la Turquie, d’où il gagna la Jordanie. Plus d’un mois plus tard, après l’intervention d’un entrepreneur israélien auprès du ministère des Affaires étrangères et d’une agence des Nations unies pour laquelle il travaillait, il obtint un visa de service de l’ambassade d’Israël à Amman, valable trois mois. Il était signé par le consul Shaul Moseri.

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Mais le 22 mars, au pont Allenby, on lui refusa le passage. Le visa avait été délivré par le ministère des Affaires étrangères, et le ministère de l’Intérieur n’était pas d’accord, lui expliqua-t-on. « Je peux trouver du travail dans seize pays différents, ironise Abbas. Mais la Suède m’a perverti. J’ai pris l’habitude d’être un être humain traité avec respect, qui a des droits comme les autres. Personne n’a le droit de séparer un père de ses enfants. Pas même Ehoud Olmert. Vous empêchez des parents palestiniens de vivre avec leurs enfants dans leur pays et vous vous demandez pourquoi les Palestiniens détestent Israël ? »

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