Enrichissement de l’uranium : un nouveau business

Publié le 16 octobre 2006 Lecture : 3 minutes.

En août dernier, l’Argentine, l’Australie et l’Afrique du Sud sont venues allonger la liste des pays intéressés par l’enrichissement de l’uranium à des fins commerciales. C’est précisément l’activité que l’Iran revendique comme son droit inaliénable, et à laquelle les États-Unis, l’Union européenne, la Russie et la Chine s’opposent au nom de la non-prolifération. La question qui dès lors se pose est la suivante : comment autoriser certains pays à enrichir l’uranium tout en interdisant à d’autres de le faire ? La réponse n’est pas simple. Elle doit prendre en compte des considérations techniques, économiques et politiques.
La dimension technique est la plus évidente. C’est le fait que l’enrichissement de l’uranium peut permettre à la fois de fabriquer du combustible pour des réacteurs nucléaires civils et du matériel explosif pour des armes nucléaires. Il n’est donc pas surprenant que la plupart des pays disposant d’une industrie d’enrichissement de l’uranium active ou latente possèdent aussi des armes nucléaires en état de marche, ou aient essayé de s’en procurer. Aujourd’hui, les principaux arguments invoqués pour justifier une nouvelle capacité d’enrichissement sont formulés en termes économiques. L’Argentine, l’Australie, le Brésil et l’Afrique du Sud, par exemple, expliquent leur regain d’intérêt par des perspectives de consommation intérieure et des possibilités d’exportation.

En fait, la capacité mondiale d’enrichissement, à l’heure actuelle, excède la demande. Le développement annoncé de l’énergie nucléaire n’a pas été confirmé par des commandes fermes, et il n’est pas certain que les nouveaux venus soient capables de supplanter les fournisseurs existants. En outre, les coûts financiers d’une remise en état de vieilles installations précédemment jugées non rentables en Argentine et en Afrique du Sud seraient énormes.
D’autres facteurs sont donc en jeu. Presque tous les candidats actuels et futurs semblent désireux de faire la preuve qu’ils possèdent déjà la technologie. À l’origine de ce processus, il y a le sentiment que les pays seront bientôt divisés entre « ceux qui disposent » de l’enrichissement de l’uranium (les fournisseurs) et « ceux qui n’en disposent pas » (les clients) et que, selon les cas, on les invitera à participer à des centres de fourniture de nucléaire multinationaux ou à passer des accords de livraison de combustible.
C’est dans ce contexte que s’inscrivent la recommandation, faite il y a deux ans par le président George W. Bush au Groupe de fournisseurs nucléaires, de refuser de vendre de la technologie d’enrichissement à un État qui ne posséderait pas une usine d’enrichissement en parfait état de marche et le projet, évoqué à la même époque par le directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), Mohamed el-Baradei, d’un moratoire de cinq ans pour les nouvelles usines d’enrichissement, afin que l’on se donne le temps de trouver des moyens plus équitables d’assurer la fourniture de combustible tout en contrôlant la prolifération. Plus récemment, les États-Unis et la Russie ont proposé qu’un petit nombre de pays jouent le rôle de fournisseurs d’enrichissement tandis que tous les autres renonceraient à cette technologie.
Mais les conditions auxquelles on deviendrait un « enrichisseur » reconnu restent mal définies. Ainsi, au moment où les États-Unis dénient ce droit à l’Iran, Dennis Spurgeon, le secrétaire adjoint américain à l’Énergie nucléaire, déclare que des « règles particulières » doivent être appliquées à l’Australie et au Canada parce qu’ils « ont la majorité de ressources en uranium économiquement utilisables ». Ces règles semblent fondées principalement sur les données politiques. Cette manière de faire des exceptions est en contradiction avec le traité de non-prolifération nucléaire (TNP). C’est aussi l’échec assuré, comme le montre clairement l’histoire de la coopération nucléaire américano-iranienne dans les années 1970, puisque l’ami d’aujourd’hui peut devenir l’ennemi de demain.
Il n’existe aucun moyen infaillible de promouvoir l’énergie nucléaire pacifique tout en empêchant la prolifération. La meilleure manière de résoudre le problème est peut-être d’apporter des incitations à tous les pays qui renonceraient volontairement à l’enrichissement. Il pourrait y avoir un accès garanti au combustible nucléaire pour tous les pays en règle avec le TNP – éventualité qui fera très prochainement l’objet d’un examen à une conférence spéciale de l’AIEA à Vienne. Pour être efficaces, ces garanties devraient être non discriminatoires et conformes au TNP. Une telle politique ne garantirait pas l’absence définitive d’une utilisation abusive de la technologie nucléaire, mais elle devrait réduire le nombre de pays qui rejoignent la file d’attente de l’enrichissement de l’uranium.

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*Principaux auteurs de The Four Faces of Nuclear Terrorism, Routledge, (« Les Quatre Visages du terrorisme nucléaire »).

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