[Tribune] Le sort du Mali est lié à celui de Soumaïla Cissé

Plus de deux mois après l’enlèvement du chef de file de l’opposition malienne, onze personnalités, dont deux anciens Premiers ministres du Burkina Faso et du Sénégal, lancent un appel à « tout faire pour obtenir sa libération ».

Soumaïla Cissé à Bamako, le 15 juin 2018. © Nicolas Réméné pour JA

Soumaïla Cissé à Bamako, le 15 juin 2018. © Nicolas Réméné pour JA

Publié le 8 juin 2020 Lecture : 4 minutes.

Soumaïla Cissé est un ami et nous sommes tous très inquiets. Le 25 mars dernier, le chef de file de l’opposition au Mali, candidat ayant participé à trois reprises au second tour des élections présidentielles de 2002, 2013 et 2018, a été enlevé par un groupe d’hommes armés alors qu’il faisait campagne pour les élections législatives dans sa circonscription de Niafunké, après que le gouvernement ait assuré que la sécurité du scrutin était assurée sur l’ensemble du territoire. Sa voiture a été mitraillée sans sommation. Son garde du corps tué. Des collaborateurs blessés. Tous ont été libérés, mais sans pouvoir donner de nouvelles de notre ami, isolé dès son kidnapping.

La mise à l’écart et le silence du président de l’URD constituent un grave préjudice pour le pays, profondément meurtri par les violences depuis plusieurs années. Le sort du Mali est étroitement lié à celui de Soumaïla Cissé. Il est vain de croire que ce pays pourrait retrouver la paix, la stabilité et la sécurité avec le chef de file de l’opposition retenu par un groupe armé, et donc incapable de peser dans les décisions et de contribuer activement à un élan national nécessairement inclusif.

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Homme d’État

Soumaïla Cissé est de la trempe d’un homme d’État. Son parcours l’atteste. Sa prise en otage n’en est que plus insupportable. La plupart d’entre nous le connaissons depuis les années 1980, lorsque le jeune Soumaïla occupait déjà un poste à haute responsabilité à la Compagnie malienne pour le développement du textile (CMDT), la plus grande entreprise malienne. Parmi les programmes dits « cotonniers » lancés avec succès dans une demi-douzaine de pays d’Afrique de l’Ouest durant ces années, seul le programme malien a bénéficié de financements de la Banque mondiale, séduite par cet homme à la fois charismatique, dynamique et très sérieux.

Nous l’avons tous retrouvé, de 1993 à 2000, lorsqu’il a été un ministre des Finances efficace, puis ministre de l’Équipement, l’Aménagement du territoire, l’Environnement et l’Urbanisme dans une période pourtant particulièrement difficile.

Durant sa brillante carrière à la tête de la Commission de l’UEMOA de 2004 à 2011, une institution qu’il a dynamisée, notre amitié s’est renforcée. Un ami pour lequel nous avons la plus grande estime, non seulement professionnelle, mais aussi parce que nous avons découvert sa simplicité, sa sincérité, son humanité, sa rigueur, son sens de l’État et du devoir, et aussi son profond amour pour son pays et le continent.

Nous avons déjà eu peur pour sa vie en 2012, lorsqu’il fut agressé lors du coup d’État qui a renversé le président Amadou Toumani Touré, laissé pour mort, et qu’il dût passer plusieurs mois à l’hôpital.

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Au fil des ans, nous avons également rencontré et apprécié sa famille unie, et avons aujourd’hui une pensée pour son épouse et ses quatre enfants saisis par l’absence et l’angoisse.

C’est plus que son sort qui est en jeu

Nous pouvons également témoigner que Soumaïla incarne ce qu’il y a de meilleur dans la méritocratie et la promotion par l’école et le travail, ayant été sélectionné comme l’un des plus brillants étudiants de l’Université de Dakar et bénéficiaire à ce titre d’une bourse pour poursuivre ses études en France où il termina major de sa promotion à l’Institut des Sciences de l’ingénieur de Montpellier. Son début de carrière en France est également impressionnant : IBM, Pechiney, Thomson…, avant de rentrer au pays pour le servir.

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Ce parcours exemplaire doit inciter chacun à tout faire pour obtenir sa libération. Le Mali et l’Afrique ont besoin de Soumaïla Cissé ; il serait criminel de l’abandonner. C’est bien plus que son sort qui est en jeu. C’est la vie publique du Mali, son processus démocratique, le fonctionnement de l’État et l’avenir d’un pays qui a tant besoin de dirigeants de son calibre.

Plus de deux mois se sont écoulés depuis son enlèvement. Depuis, aucune preuve de vie, pas de revendication, aucun élément probant sur des négociations avec des ravisseurs non identifiés, et un pouvoir à Bamako totalement silencieux. Alors oui, nous avons peur pour notre ami « Soumi » que ses partisans appellent « Soumi Champion ». Soumi est un champion, mais il a 71 ans et vit sous insuline. Nul ne sait s’il a accès à des médicaments. La chaleur au nord Mali est écrasante en cette période.

Solennellement, nous demandons donc à tous ceux qui peuvent agir pour obtenir la libération du Président Soumaïla Cissé de le faire, sans délai, au Mali et au-delà. Nous ne leur demandons pas de tout dire évidemment, cela va de soi, mais d’au moins exprimer de la compassion et leur engagement. Nous demandons également aux autorités maliennes d’en faire autant. Nous savons très bien que cela ne suffira pas pour que Soumaïla retrouve les siens. Mais cette mobilisation serait une contribution déterminante pour réconforter les proches de Soumaïla Cissé, peut-être peser sur les ravisseurs mais aussi renforcer la détermination de ceux qui aideront à sa libération.

Cet appel est cosigné par : 

Tertius Zongo, ancien Premier ministre du Burkina Faso

Mamadou Lamine Loum, ancien Premier ministre du Sénégal

Theodore Ahlers, ancien directeur régional à la Banque mondiale

Jean-Louis Sarbib, ancien premier vice-président de la Banque mondiale

Me Demba Traoré, secrétaire à la communication de l’URD

Hasan Tuluy, ancien vice-président de la Banque mondiale

Jean-Michel Debrat, ancien directeur général adjoint de l’Agence française de développement (AFD)

Jean-Marc Gravellini, ancien directeur exécutif des opérations à l’Agence française de développement (AFD)

Serge Michailof, ancien directeur exécutif des opérations à l’Agence française de développement (AFD)

Jean-Michel Severino, ancien directeur général de l’Agence française de développement (AFD)

Philippe Perdrix, associé de l’agence 35°Nord

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