Est-ce la fin des années noires de l’UEMOA ?
Après une décennie d’instabilité politique et de violences, les huit pays membres de l’Union semblent sortis des années noires. Et vont pouvoir relancer une véritable politique d’intégration régionale.
À l’heure où l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) célèbre son vingtième anniversaire, les élections générales qui viennent de se tenir sans heurts en Guinée-Bissau pourraient bien permettre à l’organisation sous-régionale d’espérer tourner durablement la page des années noires.
Pour ses huit États membres (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo), cette décennie de tous les dangers débute en 2002, lorsque la Côte d’Ivoire bascule dans une guerre civile – la moitié nord du pays est alors occupée par une rébellion armée – qui ne trouvera une issue qu’après une crise postélectorale de cinq mois, entre 2010 et 2011. Un véritable séisme pour l’UEMOA, Abidjan représentant 40 % de son PIB. Outre l’impact de l’effondrement de l’économie ivoirienne sur l’ensemble de la zone en matière d’indicateurs macroéconomiques, la partition du pays a durablement perturbé le commerce transfrontalier et la circulation des personnes, à rebours de la raison d’être de cette Union qui aspirait à constituer un espace de libre-échange.
Dans les années 1950, les fondations de l’actuelle Union européenne avaient été jetées dans un contexte de paix, de stabilité politique, de convergence entre ses membres et de forte croissance économique. L’UEMOA, elle, a vu le jour au moment d’un cataclysme monétaire (la dévaluation du franc CFA de 1994), alors que ses États étaient encore fragiles, leurs performances économiques disparates, et qu’ils allaient en outre traverser nombre de crises au cours des deux décennies à venir.
Au Togo, en 2005, les troubles qui éclatent lorsque Faure Essozimna Gnassingbé succède à son père, Gnassingbé Eyadéma, représentent un épisode difficile à gérer. Tandis qu’au Niger, un pays déjà confronté à des vagues successives de rébellions touarègues, l’instabilité politique culmine avec le coup de force constitutionnel du président Mamadou Tandja en août 2009, suivi par un coup d’État militaire six mois plus tard.
Démission
Mais c’est surtout la crise postélectorale ivoirienne, de décembre 2010 à avril 2011, qui pose un défi majeur aux deux principales organisations de la sous-région, l’UEMOA et sa grande soeur, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Au lendemain du second tour de l’élection, le pays se réveille avec deux présidents. Les deux structures régionales reconnaissent la victoire d’Alassane Ouattara… même si les clés du coffre-fort national se trouvent toujours entre les mains de Laurent Gbagbo.
En janvier 2011, l’Ivoirien Philippe-Henri Dacoury-Tabley, gouverneur de la Banque centrale des états de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), un proche de Gbagbo, est poussé à la démission après avoir autorisé des décaissements en faveur du régime de ce dernier de l’ordre de 60 à 100 milliards de F CFA [91,5 à 152,5 millions d’euros]. Un mois plus tard, pour empêcher le président sortant de se maintenir à la tête de l’État, Jean-Baptiste Compaoré, gouverneur par intérim de la BCEAO, lance un avertissement aux banques implantées en Côte d’Ivoire : celles qui aideraient le camp Gbagbo à constituer un système bancaire parallèle seraient passibles de sanctions. Dans le même temps, l’UEMOA suspend provisoirement les activités de la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) après la décision de Gbagbo d’en réquisitionner les locaux à Abidjan.
Début 2012, alors que la situation se normalise progressivement en Côte d’Ivoire, c’est au tour du Mali de s’effondrer. L’UEMOA demeure impuissante face à une offensive touarègue et jihadiste qui compromet l’intégrité territoriale du pays et menace la sous-région tout entière. Et voilà qu’un mois seulement après le coup d’État fomenté par le capitaine Amadou Haya Sanogo contre le président malien Amadou Toumani Touré, l’armée bissau-guinéenne met en oeuvre un scénario similaire, renversant le régime en place au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle d’avril 2012 et plongeant le pays dans une transition qui durera deux ans.
Prévenir
Cette succession de crises a accouché d’indicateurs en dents de scie au sein de la sous-région depuis le début des années 2010. En octobre 2013, à Dakar, lors de la 17e session ordinaire de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’Union, Bouaré Fily Sissoko, ministre malienne de l’Économie et des Finances et présidente du Conseil des ministres de l’UEMOA, reconnaissait que, pour maintenir le cap de l’intégration économique et monétaire sous-régionale, l’accent devait être mis sur « la stabilité politique ». Elle insistait donc sur l’instauration d’un mécanisme de prévention des conflits et se réjouissait des chantiers Paix et Sécurité amorcés par l’Union après les troubles maliens et bissau-guinéens de 2012. Au cours de cette rencontre, les huit États allaient même cosigner un acte additionnel instituant une politique commune de l’UEMOA dans les domaines de la paix et de la sécurité, tout en annonçant la création d’un comité spécial sur le sujet, dirigé par le président sénégalais Macky Sall.
À l’heure où l’organisation souffle ses vingt bougies, dans un contexte pacifié où la Côte d’Ivoire a repris son rôle de locomotive économique, « les huit » peuvent envisager plus sereinement les prochaines étapes d’une intégration sous-régionale, certes bien avancée à l’échelle du continent, mais qui se heurte tout de même à de sérieux obstacles structurels : déficit énergétique, faiblesse des infrastructures routières et ferroviaires, précarité en matière de sécurité alimentaire et d’accès à l’eau potable, carences dans les domaines de la santé ou de l’éducation… Les cadres juridiques, fiscaux, commerciaux et douaniers ont été harmonisés, et, sur de nombreux aspects essentiels (commerce, programmes d’investissements sectoriels), la coopération communautaire est devenue une réalité.
Reste que la part du commerce inter-États au sein de la zone UEMOA reste réduite à la portion congrue et que la Bourse régionale des valeurs mobilières d’Abidjan demeure embryonnaire si on la compare, par exemple, à celle de Nairobi. Sans parler des diverses tracasseries administratives, confinant au racket organisé, qui entravent encore la perspective d’un marché commun reposant sur une libre circulation réelle des personnes, des biens et des capitaux.
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Doublon
Un autre défi d’importance consistera à accorder, au cours des prochaines années, les deux grands ensembles sous-régionaux de l’Afrique occidentale que sont la Cedeao et l’UEMOA, dont les prérogatives se recoupent partiellement au risque de donner l’impression de doublonner. Selon le traité révisé de la Cedeao, celle-ci « sera, à terme, la seule communauté économique de la région aux fins de l’intégration économique et de la réalisation des objectifs de la Communauté économique africaine ».
De son côté, dans son texte fondateur, l’UEMOA affirme sa fidélité « aux objectifs de la Communauté économique africaine et de la Cedeao ». Sa vocation consisterait-elle, dans un délai encore incertain, à se fondre dans le cadre plus large de la Cedeao – 15 États : les 8 de l’UEMOA et le Cap-Vert, la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Liberia, le Nigeria et la Sierra Leone -, dont elle pourrait alors devenir une structure autonome ? Resterait à traduire dans les faits le projet d’une monnaie commune ouest-africaine que la Cedeao est censée adopter à l’horizon 2020.
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