[Tribune] Lettre à partager avec vos amis blancs (que vous soyez noir ou blanc)
En France comme aux États-Unis, la vague de manifestations en hommage à George Floyd signifie qu’il y a un problème qui rend nos situations communes : le racisme.
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François Durpaire
Historien, professeur à l’université de Cergy
Publié le 9 juin 2020 Lecture : 4 minutes.
J’ai quelques questions à poser quand j’entends les réactions à la suite des manifestations pour George Floyd et Adama Traoré.
Pourquoi beaucoup de personnes blanches sont-elles sur la défensive quand le mot « racisme » est prononcé ? Pourquoi avancent-elles des arguments contre la « communautarisation », la « racialisation », comme si les personnes noires s’étaient réveillées un matin en décidant qu’il était utile – ou confortable pour elles – de faire parler de leur couleur de peau ?
Pourquoi réclament-elles la condamnation des militants ayant stigmatisé verbalement les policiers noirs encadrant leur manifestation ? Serait-il à ce point urgent que des Noirs soient condamnés pour racisme contre d’autres Noirs, quand la question du racisme blanc commence à être à peine effleurée ?
Pourquoi ces personnes ne tournent-elles pas sept fois leur langue dans leur bouche avant d’énoncer leurs inébranlables certitudes ? Pourquoi ne mettent-elles pas ce temps à profit pour écouter les témoignages de leurs amis noirs ? Ne disent-elles pas toutes en avoir un ? Un ami noir…
Pourquoi les personnes noires invitées sur les plateaux de télévision sont-elles systématiquement interrompues, interrogées sur leur légitimité quels que soient leurs diplômes ? Sont-elles trop nombreuses ? Les entend-on trop souvent ? Envahissent-elles l’espace médiatique ? Faut-il ne pas être directement concerné par le problème pour en parler mieux ? Cela confère à ce sujet une singulière spécificité…
James Baldwin écrivait pourtant : « Si tu veux comprendre pourquoi les Noirs sont dans la rue, intéresse-toi à leur vie quotidienne. »
La France ne se limite pas à l’Hexagone
Pourquoi mes compatriotes guadeloupéens et martiniquais ont-ils dû survivre pendant la période du Covid-19 sans un accès normal à l’eau ? Pourquoi cela n’a-t-il fait la une d’aucun média ? Pourquoi les journalistes français ont-ils appris à l’école que leur pays, la France, se limitait à un hexagone ?
Pourquoi l’Afrique est-elle toujours le continent oublié ? Pourquoi j’entends déjà ceux qui me disent que ça n’a rien à voir ?
Pourquoi tant d’énergie dépensée à vouloir toujours démontrer que rien n’est comparable ?
Les polices américaine et française sont organisées différemment ? Certes. Les taux d’homicide ne sont pas les mêmes ? Bien sûr.
Et, argument imparable : « La France n’est pas les États-Unis ! » La belle affaire !
Aucun manifestant ne dit le contraire. Rappelons seulement que le mot d’ordre « Minneapolis is everywhere » signifie qu’il y a un problème qui rend nos situations communes : le racisme.
Mon problème est de croire [qu’] il n’y a pas besoin d’être noir pour être indigné par le racisme
Dernière question : pourquoi Eric Zemmour, condamné pour « provocation à la discrimination raciale », continue-t-il de diffuser des fake news à des heures de grande écoute ? Il y a quelques jours, il affirmait que 80 % des Blancs américains étaient tués par des Noirs, quand 84 % des Blancs sont tués par des Blancs… Bon, ça je sais. L’audience d’une chaîne info…
Alors s’il vous plaît, chers AMIS BLANCS, avant de dire que je suis un raciste ou un enragé, sachez que je suis BLANC, tout comme vous !
Les identitaires blancs diront que je suis « traître à ma race ». Ils l’ont déjà fait. J’en ai l’habitude. Les identitaires noirs diront que je fais de l’appropriation culturelle avec ma coupe de cheveux non homologuée. C’est plus nouveau, je vais m’y faire.
Et la plupart des gens se demanderont : « Quel est son problème à celui-là ? » Et ce sont eux qui ont raison : j’ai un PROBLÈME !
La seule rage juste est celle qui combat l’injustice
Mon problème est de croire «[qu’] il n’y a pas besoin d’être noir pour être indigné par le racisme ». J’ai écrit ces mots il y a des années. C’était après les propos du parfumeur Jean-Paul Guerlain sur une chaîne de télévision, quand aucun autre intellectuel blanc n’avait jugé bon d’émettre la moindre condamnation.
Mon problème est de savoir que, si un ami noir tenait publiquement mes propos, il serait immédiatement taxé de « racisme anti-blanc » ou d’extrémisme, et serait blacklisté…
Mon problème est de me demander pourquoi je n’ai jamais été contrôlé…
Mon problème est que la plupart des gens, bercés par le récit médiatique de la violence de rue, seront habilement conduits à confondre les victimes et les bourreaux.
Mon problème est que les révoltes sont politiquement qualifiées d’« émeutes »…
Mais mon principal problème est de penser, d’aimer et de me révolter bien au-delà de ma couleur de peau ou de mon origine…
C’est d’éprouver dans ma chair d’être d’humain la rage ressentie par mes frères et sœurs de Minneapolis. « La seule rage juste – disait Aristote – est celle qui combat l’injustice ».
Mon problème est de refuser ce monde d’après s’il tolère qu’un homme noir non armé soit abattu quand un homme blanc armé est arrêté.
Mon problème est de refuser ce monde d’après s’il tue pour un faux billet de 20 dollars ou la tentative de fuite lors d’un énième contrôle d’identité…
Mon problème est de refuser ce monde d’après si, 57 ans après le rêve exprimé par Martin Luther King lors de la Marche sur Washington, ses quatre petits-enfants sont toujours jugés sur la couleur de leur peau… Tout comme ceux de Césaire, Senghor et Lumumba.
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