[Tribune] Quels grands projets dans l’Afrique post-coronavirus ?

Pour répondre à la pandémie et à la crise économique qu’elle va engendrer, le continent doit lancer des projets. Mais pas n’importe comment. Il est temps qu’il mette en place une politique de gestion efficace, réaliste et cohérente.

Des passagers sur le quai prennent le train à grande vitesse au départ de la gare de Tanger. © Wilfrid Estève / Hans Lucas

Des passagers sur le quai prennent le train à grande vitesse au départ de la gare de Tanger. © Wilfrid Estève / Hans Lucas

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  • Lavagnon Ika

    Professeur titulaire de gestion de projet à l’École de gestion Telfer de l’Université d’Ottawa (Canada)

Publié le 14 juin 2020 Lecture : 4 minutes.

L’Afrique et le coronavirus, voilà une dyade qui fait craindre la mort et une pauvreté extrême pour bien des gens. Les chiffres des plans d’urgence sanitaire et de riposte économique donnent le tournis. Mais le continent semble bien loin du compte pour remettre son économie sur les rails.

Construire et investir

La réponse à la crise liée au coronavirus passera par des projets. L’Afrique doit investir dans la construction d’hôpitaux et de centres de dépistage du Covid-19, ainsi que dans les services de télémédecine, de visioconférence et d’éducation à distance. Sans oublier les infrastructures pour relancer l’économie.

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La gestion de projets – l’art et la science de concevoir, planifier, mettre en œuvre, suivre et évaluer un projet – sera-t-elle à la hauteur des attentes ? Les parties prenantes – les bailleurs de fonds, les gouvernements, les agences d’exécution, les entrepreneurs, les équipes impliquées et les bénéficiaires – en auront-ils pour leur argent?

Un dossier sur deux échoue

Le continent ne fait pas bonne figure en la matière : un dossier sur deux échoue. En cause : un sur-optimisme, une piètre planification, des capacités de livraison défaillantes, un suivi et un contrôle déficients, une corruption active, un degré élevé de complexité et d’incertitude, etc. Par exemple, la phase 3 du mégaprojet gazier de plus de 12 milliards de dollars en Égypte, le West Nile Delta, est déjà en retard de un an en raison de problèmes de corrosion.

Le sur-optimisme et un contexte géotechnique et politique délicat expliquent quant à eux pourquoi le premier TGV marocain, qui relie les villes de Tanger et de Casablanca, a connu plus de trois ans de retard et coûté près de 3 milliards de dirhams [environ 270 millions d‘euros] de plus qu’annoncé. Pour paraphraser un proverbe africain, le meilleur moment pour cultiver la bonne gestion de projet, c’était il y a vingt ans. Le second, c’est aujourd’hui !

L’Afrique ne peut plus se permettre des dépassements de coûts faramineux (comme dans le cas du TGV marocain) ni des échecs retentissants (comme celui de Tinapa, un éléphant blanc de plus de 450 millions de dollars [413 millions d’euros] pour la construction d’un hub commercial au Nigeria). Elle devra faire « plus avec moins » et utiliser la gestion de projet comme levier stratégique pour ne pas compromettre ses chances de développement.

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Le renforcement des capacités s’impose face au manque de qualifications nécessaires pour mener à bien les grands projets. La Banque mondiale ne finance-t-elle pas souvent des formations continues dans le domaine du suivi et de l’évaluation ?

Concurrence dans la coopération

La pandémie risque aussi de pousser à la baisse du rapport qualité-prix des soumissions et de la durabilité des infrastructures, c’est pourquoi la règle du plus bas soumissionnaire doit être assouplie. Ce qui implique d’accepter un certain niveau de « coopétition », expression qui désigne la pratique de la concurrence dans le cadre d’une coopération, entre les firmes locales et internationales, comme on l’a vu lors d’initiatives telles que le pôle numérique du projet Diamniadio Lake City de 2 milliards de dollars, dans la banlieue de Dakar.

Seul, on va plus vite. Ensemble on va plus loin

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L’Afrique gagnera à s’atteler aux projets les plus pertinents, à mobiliser des parties prenantes aux attentes divergentes et à gérer les conflits (voire les tensions, comme au sein du projet de grand barrage Inga III, de 14 milliards de dollars, en RDC).

Là encore, la sagesse africaine est claire à cet égard : « Seul, on va plus vite. Ensemble on va plus loin. » Pensez par exemple à une coopération régionale pratiquée dans le but de mutualiser les risques des projets interpays et d’en partager le fardeau financier.

Les leçons de la crise de 2007-2008 doivent être tirées : beaucoup de projets seront abandonnés, faute de financement. Le continent ne doit plus subir la fameuse « erreur de planification », cette tendance à promettre la lune et à livrer des résultats largement en deçà des attentes. Il faut parer au sur-optimisme ingénu (le TGV marocain) comme à l’art machiavélique du mensonge stratégique consistant à présenter les projets sous un jour plus attrayant qu’ils ne le sont en réalité.

Pour éviter ce darwinisme inversé où seuls les « moins bons » survivent (tel Tinapa), il faudra tenir compte de la performance des projets passés pour estimer les échéanciers, les coûts et les retombées des projets à l’étude. Comme dit l’adage africain, « lorsque tu ne sais pas où tu vas, regarde d’où tu viens ».

Adopter de bonnes pratiques de gestion

L’heure est donc à l’adoption de bonnes pratiques de gestion, qui devront être respectées sans faire abstraction du contexte, du type de projet, et notamment de son niveau de complexité et d’incertitude.

En somme, la bonne gestion de projets est une façon efficace pour l’Afrique d’attacher à sa ceinture le fardeau du coronavirus et du développement, avant que d’autres ne viennent l’aider à le mettre sur ses épaules. En ce sens, la gestion de projet n’est-elle pas l’un de ses plus grands projets ?

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