Slim Ben Achour, l’avocat tunisien en guerre contre le racisme en France
Avocat à la cour d’appel, spécialiste des questions d’égalité et de discrimination, le franco-tunisien Slim Ben Achour nous parle du combat qu’il mène pour que « la France sorte du déni » sur le racisme au sein des forces de l’ordre. Rencontre.
La multiplication des rassemblements contre le racisme et les violences policières a contraint l’exécutif français à sortir de son silence. Le président Emmanuel Macron a enjoint le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, à décréter la « tolérance zéro » contre le racisme dans les forces de l’ordre.
Lors d’une conférence de presse ce lundi, Christophe Castaner a aussi annoncé une série de mesures, comme l’abandon de la technique de la prise par le cou, dite de l’étranglement, qui a causé aux États-Unis la mort de Georges Floyd. Le même annonce que la suspension sera « systématiquement envisagée pour chaque soupçon avéré » de racisme de la part d’un policier ou d’un gendarme.
Alors qu’un nouveau rassemblement est organisé à Paris ce samedi 13 juin, pour demander justice pour la mort d’Adama Traoré, Emmanuel Macron a aussi demandé à la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, de recevoir la famille du jeune noir de 24 ans décédé dans des conditions troubles en 2016, dans une caserne de gendarmerie de la banlieue parisienne. L’avocat de la famille, Yassine Bouzrou, a fait savoir que la famille Traoré a décliné l’invitation.
Non, mes clients ont refusé d’être reçus par Madame Nicole Belloubet, ministre de la justice, au nom de la séparation des pouvoirs. https://t.co/vmzWFfBxm2
— Yassine BOUZROU (@BOUZROU1) June 8, 2020
Parmi les figures de la lutte contre la discrimination, Maître Slim Ben Achour scrute avec attention les derniers revirement au sein de la classe politique française. Et les dernières annonces de l’exécutif français le laissent dubitatif. « Ils bougent ou font sembler de bouger, juge-t-il, mais culturellement, la France est dans le déni ».
L’avocat franco-tunisien a porté le contentieux du contrôle au faciès devant les tribunaux, et obtenu en 2016 la condamnation l’État pour faute lourde en considérant qu’« un contrôle d’identité fondé sur des caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée, sans aucune justification objective préalable, est discriminatoire. »
Pour l’État, c’est très difficile de poursuivre comme si de rien n’était
Jeune Afrique : « Pas de justice, pas de paix ». Ce slogan retentit sur tous les continents depuis la mort de George Floyd aux États-Unis. En France, un premier rassemblement pour relancer l’affaire Adama Traoré a réuni plus de 20.000 personnes. La justice française tarde-t-elle à s’emparer de la question du racisme dans la police ?
Il faut que la justice soit saisie et que les parquets agissent. Mais nous avons un problème structurel : les parquets travaillent avec les policiers qui mènent les enquêtes. Malgré tout, je constate que le contexte actuel signe la fin d’une époque.
Pour l’État, c’est très difficile de poursuivre comme si de rien n’était. Il y a une prise de conscience que les temps ont changé. L’attitude a changé lors des manifestations. L’ensemble de l’exécutif cherche à envoyer des messages en matière de lutte contre les discriminations. Mais la société civile reste très faible, et puis il y a un contexte culturel qui tolère les excès…
Que voulez-vous dire ?
Je vois un lien évident entre la position des policiers et l’omniprésence dans le champ médiatique de polémiques qui sont constamment dans la représentation raciste. Actuellement, il est culturellement « porteur » de tenir de tels propos. Regardez qui propage le plus le discours xénophobe : des Français, issus de la première ou deuxième génération d’immigrés, qui en ont tellement bavé pour arriver à leur niveau qu’ils sont prêts à se fondre dans le moule quitte à banaliser la parole raciste. Cela pourrait être émouvant, si ce n’était pas dangereux. Quand vous êtes policier ou dirigeant d’entreprise, ce type de discours vous conforte dans l’idée qu’il y a un problème.
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