Quand la guérilla sert les intérêts de Téhéran…

Publié le 23 août 2004 Lecture : 3 minutes.

Depuis sa prise de fonctions le 28 juin dernier, le Premier ministre irakien Iyad Allaoui ne cesse de réclamer l’aide des « pays voisins » pour sécuriser les frontières de son pays. Étant elles-mêmes la cible des terroristes, la Jordanie et l’Arabie saoudite coopèrent étroitement avec l’Irak dans ce domaine. Restent la Syrie et l’Iran qui, eux, préfèrent fermer les yeux sur l’entrée des combattants étrangers en Irak – quand ils ne l’encouragent pas en sous-main.
En visite, le 25 juillet, à Damas, où il a rencontré le président Bachar el-Assad, le chef du gouvernement provisoire irakien (GPI) a obtenu de la Syrie un engagement ferme, celui de « faire tout son possible pour aider le peuple irakien à préserver l’unité de son territoire ». Les deux pays ont formé, à cette occasion, un comité conjoint de sécurité chargé de surveiller leur frontière commune.
Bien avant cet accord, le flux des combattants infiltrés en Irak via la Syrie a considérablement diminué. Sans cesser pour autant. Car, explique-t-on à Damas, aucun pays ne peut rendre ses frontières totalement étanches. En réalité, les Syriens cherchent à monnayer ce précieux atout : depuis que les pressions exercées par les Américains à leur encontre se sont atténuées, ils semblent mieux disposés à contrôler leurs frontières.
Avec l’Iran, la situation est beaucoup plus complexe. La frontière irano-irakienne est longue de 800 kilomètres, et les forces de la coalition n’ont pas les moyens d’en assurer un contrôle total. Depuis le début de la guerre, des agents de renseignements iraniens ainsi que des combattants, islamistes et laïcs, en provenance de pays arabes et musulmans, ont pu pénétrer en Irak. Les agents iraniens se déguisent généralement en pèlerins en visite dans les villes saintes de Nadjaf et de Kerbala. Une fois sur place, en terrain ami dans le sud du pays peuplé principalement de chiites, ils recrutent des agents locaux. La police irakienne dit avoir arrêté un certain nombre de ces faux pèlerins.
Les agents iraniens, qui ont noyauté les nouvelles forces de sécurité irakiennes, ont pu introduire des télécommandes permettant de faire exploser des bombes à distance et divers équipements de radio et de télévision utilisés par les combattants. Les responsables irakiens sont persuadés que les Iraniens ne financent pas seulement les mouvements chiites, mais aussi certains groupes laïcs. Et pour cause : qu’elle soit le fait d’Irakiens ou d’étrangers, d’islamistes ou de laïcs, la guérilla en Irak sert leurs intérêts.
Hachemi Rafsandjani, président du Conseil pour les intérêts supérieurs du régime, l’a avoué quasi ouvertement, dans un sermon du vendredi, le 8 avril dernier, à l’université de Téhéran : « La situation actuelle en Irak représente une menace aussi bien qu’une occasion […]. C’est une menace parce que la bête américaine blessée peut prendre des mesures extrêmes, mais ce peut aussi être l’occasion de donner à la bête une leçon qui la dissuadera d’attaquer un autre pays. » Entendez : l’Iran doit empêcher la normalisation de la situation sécuritaire en Irak, ne serait-ce que pour gêner l’administration américaine, détourner son attention du programme nucléaire iranien et l’inciter à mettre fin à ses activités militaires dans la région.
Le 20 juillet, des propos du ministre irakien de la Défense Hazem al-Shaalan ont suscité une vive émotion à Téhéran et à Bagdad. Dans un entretien à Al-Sharq Al-Awsat, il a déclaré que l’Iran « est le pays à partir duquel les frontières de l’Irak sont le plus infiltrées et celui qui y infiltre le plus. [Cette] infiltration est d’une ampleur considérable et a atteint un niveau sans précédent depuis la création de l’État irakien ». Avant d’ajouter : « Nous savons que tous ceux qui viennent des pays voisins passent au préalable par leurs services de sécurité respectifs. […] Nous en avons parlé avec [ces pays] et les avons placés devant les faits et les preuves, mais ils n’ont pris aucune mesure pour faire cesser leur soutien aux terroristes et à leurs opérations sur le sol irakien. »
Ces déclarations ont été vivement critiquées par les membres du gouvernement irakien, soucieux sans doute de ménager leur puissant voisin. Mais le secrétaire d’État américain Colin Powell y a fait écho, le 31 juillet, lors de sa visite surprise à Bagdad, en déclarant au cours d’une conférence : « Nous considérerons d’un oeil défavorable toute action menée par l’Iran pour exercer une influence en Irak. » Et de conclure : « Nous espérons que les autorités iraniennes se rendront compte qu’il est dans leur intérêt d’avoir un Irak stable pour voisin. »
Parions qu’il ne sera pas écouté… Du moins tant que Washington n’aura pas desserré l’étau autour de la République islamique.

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