[Tribune] Quel avenir pour Nabil Karoui ?

Au lendemain de l’interview donnée par Nabil Karoui à Jeune Afrique, l’essayiste Amine Snoussi s’interroge sur la stratégie du fondateur de Qalb Tounes, et ancien candidat à la présidentielle.

Nabil Karoui, à Tunis le 2 août 2019. © Nicolas Fauqué

Nabil Karoui, à Tunis le 2 août 2019. © Nicolas Fauqué

  • Amine Snoussi

    Essayiste, auteur de « La politique des Idées » (Centre national du livre), et militant pour la justice sociale et écologique.

Publié le 9 juin 2020 Lecture : 4 minutes.

Dans le milieu du rap, l’ascension rapide est souvent métaphorisée par de luxueux bolides capables d’aller de « 0 à 100 en quelques secondes ». Nabil Karoui n’en est pas loin. En un an, l’homme est passé de businessman controversé à tout à la fois prisonnier politique auréolé d’une popularité sans précédent chez la classe populaire, candidat à la présidentielle qualifié au second tour, et chef du parti Qalb Tounes.

Bloqué dans un Parlement à deux têtes entre restauration violette du parti destourien libre (PDL) et l’islamisme bleu-sang d’Ennahdha, son discours peine aujourd’hui à dessiner une orientation claire. « On vient d’une culture de gauche », avait clamé Karoui lors du débat présidentiel. Huit mois plus tard, quel espace politique reste-t-il  pour celui qui s’est qualifié au second tour de la présidentielle et qui semble dépassé par les jeux politico-politiciens ?

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Seul contre tous

Rejeté par « la ligne révolutionnaire» actuellement au pouvoir, sur le point d’être inscrit sur la blacklist du PDL, Nabil Karoui n’a que peu ou pas d’alliés pour se défendre. Seul contre tous, une position pas totalement nouvelle pour lui, même si cette fois il n’a pas d’ennemis directs comme ce fut le cas face à Youssef Chahed, lors de la précédente mandature.

Pire encore, Nabil Karoui dirige désormais une formation politique et doit composer, comme tout chef de parti, avec des tiraillements internes. De premières défections se sont manifestées : Hatem Mliki et Ridha Charfeddine, deux cadres de Qalb Tounes, ont créé un nouveau bloc parlementaire réduisant le « canal officiel » à la troisième place en nombre de sièges au Parlement.

Karoui n’est ni le premier ni le dernier à vouloir faire porter aux syndicats la responsabilité d’une mauvaise gouvernance

Pour retrouver du souffle, Qalb Tounes a besoin d’une visée et d’un objectif clairs. Pour cela, il faut retourner à l’essence du succès de Nabil Karoui : son association, Khalil Tounes, qui prône la justice sociale et pousse l’État à offrir sécurité, éducation et santé publique pour les plus démunis. Dans son entretien accordé à Jeune Afrique, Nabil Karoui semble emprunter le chemin inverse.

Pourquoi diable l’homme ouvre-t-il la porte à une libéralisation du secteur public ? D’autant que nous sommes au lendemain d’une crise qui a mis à rude épreuve le public, notamment dans le secteur hospitalier. Est-ce bien judicieux de tenir un tel discours, au moment où nombre de  fonctionnaires auraient pu se laisser séduire par un discours social ?

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Karoui s’y risque pourtant, en déclarant que l’un des problèmes du gouvernement actuel, c’est « une gauche trop proche des syndicats pour appliquer les réformes nécessaires ». Il n’est ni le premier ni le dernier à faire porter aux syndicats la responsabilité d’une mauvaise gouvernance, mais il n’est clairement pas le plus apte à le faire.

Incohérences et maladresses

Car la recette fonctionnelle de Nabil Karoui n’est ni technocratique, ni issue d’un économisme classique. Elle repose sur la seule communication, et son maître-mot est « la classe populaire. » Aussi, la suite logique serait que le travail du bloc parlementaire Qalb Tounes se concentre sur les aides sociales, sur la réforme de la sécurité sociale et de la santé publique, sur les outils sociaux permettant l’émancipation, dont la disparition, de son électorat.

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Par-delà ce paradoxe, le candidat à la présidentielle doit transformer ce discours de campagne en identité politique, s’il veut perdurer. Autrement, l’incohérence mais surtout le vide politique risquent de le rattraper. La maladresse, dans le meilleur des cas, le mépris, dans le pire, tel que ce 7 juin sur Hannibal TV, lorsque l’ex-candidat lâche que « la pauvreté n’est pas sexy ». Le libéralisme mou non plus, pourrait-on rétorquer.

L’ex-candidat à la présidentielle doit transformer son discours de campagne en identité politique, s’il veut perdurer

L’objectif d’un parti politique est, certes, électoral. Mais entre deux échéances, les partis politiques se doivent exister. Condition sine qua non à cela : avoir un idéal politique à offrir, comme je l’ai déjà écrit par le passé. Or, la majorité des partis tunisiens n’en ont pas. Ce sont des formations ayant des intérêts personnifiés.

Changer de paradigme

L’électeur tunisien s’est fait à cette idée de voter pour un candidat par préférence de caractère : honnête, compétent, sympathique, sincère… Quid de ses aspirations, de son horizon, de son corpus idéologique ? Est-il plus proche de la liberté ou de l’égalité ? De l’unité ou de la souveraineté ? Justice sociale ou économie de marché ?

Actuellement, Qalb Tounes est la seule formation politique stationnaire à l’Assemblée des représentants du peuple. Nabil Karoui a encore la possibilité d’en faire une machine de guerre et de s’assurer la fidélité de sa base,tout en l’élargissant. Là se trouve la clé de sa renaissance politique.

Il n’est pas trop tard pour prendre une autre direction, celle promise à ces régions et à ces familles qui se sont massivement mobilisées pour lui. Il est encore temps de réaliser que la classe moyenne inférieure et à la classe populaire ne peut plus se serrer la ceinture. Il faut, bien au contraire, lui offrir une ballon d’oxygène pour qu’elle respire à nouveau.

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