Ouaga en campagne

La capitale est en pleine effervescence à trois mois du Sommet de la Francophonie. Assez pour reléguer au second plan une autre échéance, l’élection présidentielle de novembre 2005.

Publié le 23 août 2004 Lecture : 6 minutes.

Ça bouge à Ouaga. La ville s’offre une nouvelle jeunesse pour accueillir le Sommet extraordinaire de l’Union africaine sur la pauvreté, les 8 et 9 septembre, et le Sommet de la Francophonie, les 26 et 27 novembre. Peut-être que l’élection présidentielle, qui sera organisée en novembre 2005, y est également pour quelque chose. Tout comme la volonté des autorités de rassurer la population, quelque peu mise à mal par les conséquences du conflit ivoirien. Résultat, la capitale du Pays des hommes intègres est en chantier. Des quartiers sont rasés, des bâtiments sortent de terre, et Ouaga 2000, la « capitale bis », voulue par le chef de l’État Blaise Compaoré, prend forme petit à petit. Située à 5 kilomètres au sud de Ouagadougou, elle prend des allures de quartier chic : nouvelle présidence de la République, villas luxueuses, centre de conférences, hôtel cinq étoiles avec lequel l’hôtel Silmandé, qui sera d’ailleurs bientôt déclassé, ne peut pas rivaliser. À n’en pas douter, le centre-ville vivant de Ouagadougou se déplacera peu à peu. D’ailleurs, le long de la route qui y mène, les échoppes et les magasins ont déjà fleuri. Tant mieux, car le plus grand risque serait que cette zone se transforme en ghetto doré.
Tous les Burkinabè ne voient pas d’un très bon oeil cet étalage de richesses. Certes, faire du pays un centre de congrès continental est une bonne chose, pensent-ils, pour leur image comme pour les retombées économiques qui en résulteront. Mais au fond, beaucoup d’autres secteurs auraient bien besoin qu’on leur témoigne autant d’intérêt. Pour une grande majorité de la population, il est évident que la pauvreté s’accentue. La faute à la crise ivoirienne, bien sûr, qui s’est traduite par une augmentation du prix des produits importés et une baisse du pouvoir d’achat, notamment parce que les travailleurs burkinabè installés en Côte d’Ivoire envoient moins de francs CFA à leur famille. Mais l’incendie du marché Rood Woko n’a rien arrangé. Car au-delà des commerçants possédant une boutique, de nombreuses personnes profitaient de l’affluence pour gagner eux aussi quelques « ronds » en vendant des piles, des tongs ou encore des médicaments, autour du marché et dans les rues attenantes. Ils sont très nombreux donc à avoir pâti de cet événement accidentel. Depuis, la dispersion des vendeurs a entraîné une baisse des ventes, puisque les acheteurs se sont eux aussi éparpillés. Une sacrée épine dans le pied du maire, Simon Compaoré. Un an déjà que le marché central est fermé. Un an qu’il assure vouloir le rénover et le rouvrir. Mais un an que rien n’est fait. Et lorsqu’en février dernier a couru la rumeur selon laquelle l’endroit allait être cédé à des Libanais, la fronde s’est déclarée dans les rangs des commerçants. Mais finalement, le maire leur a assuré que jamais le marché ne serait vendu à des opérateurs économiques et qu’il rouvrirait dans des conditions de sécurité adéquates. Reste que pour être réélu en toute quiétude, Simon Compaoré devra tenir sa promesse.
De promesses, il en était aussi question en mai à l’Assemblée nationale, où les députés attendaient depuis 2000 l’application de la loi portant statut de l’opposition, votée à la suite des recommandations du Conseil des sages pour sceller la réconciliation d’un peuple avec son pouvoir après l’assassinat du journaliste Norbert Zongo et les troubles qui en ont découlé. Cette loi stipule que le chef de file de l’opposition obtient un rang officiel dans le protocole d’État. Un grand espoir qui laissait entrevoir aux opposants une plus grande participation de leurs formations à la vie politique. D’année en année, la concrétisation de cet engagement se faisait attendre. Il est enfin devenu réalité le 21 mai dernier. Mais pas dans la liesse que l’on pouvait imaginer. À quinze mois de l’élection présidentielle, cette nomination est plutôt en passe de diviser encore un peu plus une opposition qui a du mal à se fédérer. Pourtant, pour le chef de file de l’opposition, Gilbert Noël Ouédraogo, la légitimité de cette loi ne fait aucun doute. Normal, puisqu’il est le principal concerné par ce texte. Fils de l’ancien Premier ministre et président de l’Assemblée nationale, Gilbert Noël Ouédraogo répète à qui veut l’entendre que l’Alliance pour la démocratie et la fédération/ Rassemblement démocratique africain (ADF/RDA), qu’il préside, est bien la première formation politique après le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP, au pouvoir).
Mais son point de vue et sa nomination sont loin de faire l’unanimité, particulièrement parmi les autres opposants. Il y a un an, l’ADF/RDA disposait de dix-sept élus et était alors incontestablement la première force de l’opposition. Son parti a perdu de nombreux membres en juin 2003 quand Hermann Yaméogo, alors président, a claqué la porte, suivi par sept parlementaires. Désormais, avec dix élus au Parlement, dont Gilbert Noël Ouédraogo, l’ADF/RDA ne compte pas plus de sièges que le Parti pour la démocratie et le progrès / Parti socialiste (PDP/PS), emmené par Joseph Ki-Zerbo. La nomination du patriarche de la vie politique burkinabè aurait certainement donné plus de lustre à ce statut honorifique. Celle de Ouédraogo a plutôt semé la division au sein des adversaires du régime, alors que la campagne pour l’élection présidentielle est dans tous les esprits. La candidature du président sortant, si elle n’est pas encore officielle, a été annoncée et fait débat. La révision du Code électoral, le 27 mai dernier, a validé l’article 37 de la Constitution établissant que le « président est élu pour un mandat de cinq ans, renouvelable une fois ». Certains comprennent que Blaise Compaoré, au pouvoir depuis 1987, élu en 1991 pour sept ans, puis réélu en 1998 pour un nouveau septennat, ne peut pas se représenter. D’autres, comme Gilbert Noël Ouédraogo, jurent que « la lecture juridique de ce texte n’empêche pas le sortant de se représenter puisqu’il n’a encore jamais été élu pour un quinquennat ».
De quoi faire sortir l’opposition de ses gonds, qui se demande pour qui roule réellement le fils de l’ancien Premier ministre. Le groupe parlementaire Justice et démocratie, regroupant huit partis, est dirigé par Philippe Ouédraogo. Il ne reconnaît pas ce chef de file, monte au front, prend l’opinion et la presse à témoin et critique le pouvoir, accusé d’avoir trop attendu avant de faire appliquer la loi portant statut de l’opposition. Aucun doute : pour eux, la désignation d’un chef de file à quinze mois de la présidentielle, issu d’une « opposition gâteau » qui ne fait pas l’unanimité, est une provocation. Ils estiment ainsi que le pouvoir a sciemment créé « une opposition à l’opposition ». Gilbert Noël Ouédraogo n’en a cure. Il a engagé des concertations avec toutes les formations pour bâtir « une force responsable pour l’alternance ». Mais il semble le seul à y croire. Car de l’autre côté on fustige la différence affichée de l’ADF. S’il avait voulu créer le chaos dans l’opposition, le parti au pouvoir ne s’y serait pas pris autrement. Cette nouvelle brouille est pain bénit pour le CDP, qui peut ainsi attaquer en toute sérénité la dernière ligne droite avant la présidentielle. Ces prises de bec publiques ne risquent pas de convaincre une majorité de Burkinabè de la capacité de l’opposition à être une réelle force d’alternance. D’autant que le président, même s’il ne séduit pas tout le monde en matière de politique intérieure, a su convaincre ses concitoyens par l’attitude qu’il a adoptée face à la crise ivoirienne ; le pays a tenu, l’économie ne s’est pas écroulée. Son plaidoyer face à l’Organisation mondiale du commerce pour protéger les producteurs de coton des subventions américaines a également ravi la population. Reste que, sur le plan intérieur, l’émergence d’une petite criminalité – du jamais vu à Ouaga -, la paupérisation, avec nombre de salaires inférieurs au minimum légal, et un emploi informel toujours très important commencent à peser sur les hommes intègres. Qui, malgré tout, fidèles à leur réputation, continuent d’aller de l’avant et de profiter des plaisirs simples qu’ils peuvent s’offrir, comme celui de boire une bière dans un maquis ou de se déhancher sur un air de « coupé-décalé ». n

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