« Nous avons su amortir le choc de la crise ivoirienne »
Seydou Bouda, le ministre de l’Économie et du Développement, dresse pour J.A.I. un bilan de la situation économique du pays et expose ses priorités en matière d’emploi.
Nommé ministre de l’Économie et du Développement le 6 juin 2002, Seydou Bouda fréquente depuis longtemps les coulisses du pouvoir. Économiste du développement de formation, il a intégré la fonction publique en 1986, travaillant successivement pour les ministères du Plan et de la Coopération, de l’Économie et des Finances ou encore de l’Emploi, du Travail et de la Sécurité sociale. Il a ainsi participé à la mise en oeuvre du premier programme d’ajustement structurel du pays, dans le cadre duquel il a conduit la réforme du Code du travail, en 1991. En 1994, il est nommé coordonnateur du programme d’appui à la gestion de l’économie, une initiative financée par l’État et le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). En 2000, il devient secrétaire général du gouvernement, poste qu’il quittera pour sa fonction actuelle.
Né en 1958 près de Boromo, dans le centre-ouest du pays, Seydou Bouda a entamé ses études supérieures en 1978 au Togo, pour achever son cursus en 2000 à Paris. Ce père de quatre enfants est bardé de diplômes. Hormis un troisième cycle d’économie suivi à Montpellier (France), il est également titulaire d’une maîtrise de sociologie obtenue à Ouagadougou et diplômé de l’École nationale d’administration (ENA) de Paris, dont il a suivi les cours en 1999 et 2000.
J.A./l’intelligent : En septembre se tiendra le sommet extraordinaire de l’Union africaine sur l’emploi et la pauvreté. Qu’en attendez-vous ?
Seydou Bouda : Ce Sommet devrait permettre d’aboutir à un programme minimal de promotion de l’emploi pour les jeunes Africains, dans une perspective de lutte contre la pauvreté. Les récentes publications de l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques] indiquent que l’Afrique renoue avec la croissance, dont le niveau serait en 2003 supérieur à 3 %. Par ailleurs, les expériences en matière de développement démontrent que la croissance économique est insuffisante pour faire reculer la pauvreté de façon significative. L’accroissement du revenu des plus pauvres par la création d’emplois productifs est indispensable. Aussi attendons-nous de ce Sommet un engagement ferme des États à promouvoir l’emploi comme base de création de richesse et de développement durable.
Quelles sont les politiques nationales possibles en matière d’emploi ?
Le gouvernement burkinabè a adopté en 2001 une Stratégie nationale de promotion de l’emploi et de la formation professionnelle. Les principaux axes stratégiques en sont l’instauration d’une visibilité sur le marché du travail, la création d’un environnement institutionnel et juridique propice à l’emploi productif, un meilleur accès des petites entreprises aux produits financiers, et l’amélioration des services d’appui aux entrepreneurs. Enfin, il est impératif de mettre en oeuvre, pour certains groupes sociaux, des programmes de création directe d’emplois, et de favoriser l’accès du plus grand nombre à la formation professionnelle, avec la mise en place d’un dispositif de financement efficace et durable.
Comment organiser, dans le cadre de l’Union africaine et du Nepad, des politiques de lutte contre la pauvreté ? N’est-ce pas trop ambitieux ?
L’Union africaine, c’est plus d’une cinquantaine d’États qui, outre le Nouveau Partenariat pour le développement économique de l’Afrique (Nepad), ont souscrit aux Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Le premier des huit objectifs consiste à réduire de moitié l’extrême pauvreté d’ici à l’horizon 2015. Il s’agit d’une question d’éthique, tout simplement parce que ce sont les droits humains les plus élémentaires qui sont bafoués. À mon sens, il n’y a rien qui soit hors de portée de l’Union africaine, qui dispose d’un cadre, le Nepad, pour fédérer les différentes politiques continentales de lutte contre la pauvreté. Cette initiative ouvre des opportunités aux pays africains, pourvu que nous soyons encore plus imaginatifs pour mobiliser nos ressources internes et sachions mieux orienter la volonté de la communauté internationale à nous accompagner sur des programmes concrets. J’interpelle d’ailleurs ici les pays du Nord sur la nécessité de mettre en oeuvre le huitième objectif du millénaire pour le développement, à savoir l’instauration d’un partenariat dynamique et la promotion d’un commerce équitable. Je pense ici, bien entendu, à certains de nos produits primaires, en l’occurrence le coton, source de revenus de millions d’Africains.
Comment répartir les richesses de manière équitable et éviter que les classes supérieures se développent au détriment des plus pauvres ?
Les différentes enquêtes sur les conditions de vie des ménages, réalisées en 1994, 1998 et 2003 – même si les périodes et les bases de calcul incitent à la prudence dans les comparaisons -, indiquent une certaine stabilité de la pauvreté dans notre pays. Elle a diminué en milieu rural, mais augmenté en milieu urbain. Parallèlement, l’économie nationale a enregistré un taux moyen de croissance de l’ordre de 5 % par an. Cette situation nous questionne sur la nature de cette croissance, sur l’efficacité de nos politiques publiques, mais aussi sur le rôle déterminant du secteur privé.
Pour y remédier, le gouvernement a entrepris de renforcer l’instrument budgétaire pour mieux répartir les fruits de la croissance, en tendant de plus en plus vers une gestion déconcentrée et décentralisée, de promouvoir la gestion axée sur les résultats, de consolider le processus de décentralisation, notamment en dotant chacune des treize régions du Burkina d’un cadre stratégique régional de lutte contre la pauvreté.
Voilà bientôt deux ans que la crise ivoirienne a éclaté. Quelles sont les conséquences sur la croissance nationale ?
La Côte d’Ivoire demeurera longtemps le principal débouché naturel du Burkina, du fait de la voie ferrée reliant les deux pays. Avec la crise, l’économie a maintenu son allure grâce à la forte capacité d’adaptation et de diversification des opérateurs économiques. La croissance du pays a toujours été assez élevée en raison de la bonne pluviosité et des performances du secteur primaire, jusqu’à atteindre 8 % en 2003. Seule l’année 2002 n’a pas permis de dépasser 2,2 %.
Quelles répercussions cette crise a-t-elle eu sur les exportations, les importations et les taxes douanières ?
Dans la sous-région, le poids de la Côte d’Ivoire dans les échanges commerciaux connaît naturellement une baisse. Les exportations à destination de ce pays sont passées de 8,7 % en 2000 à 7,2 % en 2002, alors que les importations revenaient à leur niveau de 2000, soit 18 %, après une percée remarquable en 2001 (20,3 %). Les finances publiques, d’une manière générale, ont connu en 2002 un taux global de recouvrement de 93,1 %. Toujours en 2002, l’ensemble des recettes issues de l’impôt sur le commerce extérieur et les transactions internationales ont connu une baisse de 5 % par rapport à 2001.
Et concernant les flux d’argent alimentés par les Burkinabè travaillant en Côte d’Ivoire ?
Environ 80 % des sommes rapatriées proviennent des Burkinabè vivant en Côte d’Ivoire. Les transferts de fonds en provenance de ce pays, qui étaient de 43,28 milliards de F CFA en 1999, ont commencé à chuter dès 2000 (38,29 milliards) pour se situer à 27,52 milliards en 2001.
L’économie du pays a, semble-t-il, tenu le cap. Au prix de quels sacrifices ?
Structurellement, la croissance de l’économie burkinabè reste caractérisée par une très grande vulnérabilité face aux chocs externes. Par ailleurs, elle est fortement intégrée à l’économie ivoirienne. Mais notre économie a pu amortir les différents chocs grâce à la capacité d’anticipation et à la créativité des opérateurs économiques, qui ont su diversifier leurs sources d’approvisionnement. Toutefois, ce redéploiement entraîne des surcoûts. Par ailleurs, le transit par notre pays d’importants chargements pèse lourdement sur nos infrastructures routières, victimes d’une dégradation précoce.
Quelles sont les perspectives économiques du pays ?
Au-delà des grandes priorités de développement contenues dans le Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté (CSLP), une forte délégation d’hommes d’affaires burkinabè, conduite par le chef du gouvernement Ernest Paramanga Yonli, a rencontré en mai dernier à Genève des investisseurs du Nord. À cette occasion, le Premier ministre a rappelé les priorités nationales centrées sur la lutte contre la pauvreté et a indiqué les efforts politiques, institutionnels et juridiques consentis pour créer un nouvel environnement des affaires et des opportunités d’investissement. Tout cela a créé un certain climat de confiance chez nos partenaires vis-à-vis du Burkina. Cela augure d’heureuses perspectives pour notre économie.
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