Mouhamadou Mourtada Mbacké

Publié le 25 août 2004 Lecture : 3 minutes.

On l’appelait « l’ambassadeur itinérant » ou « le ministre des Affaires étrangères » du mouridisme. Mouhamadou Mourtada Mbacké, le plus jeune des fils de Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur de cette puissante confrérie née dans le bassin arachidier sénégalais au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, s’est éteint le 7 août, à un peu moins de 83 ans. Évacué du Sénégal vingt-quatre heures plus tôt, il n’a pu, malgré des soins intensifs à l’hôpital Mohammed-V de Rabat, dompter un mal qui le rongeait depuis plusieurs années.
Son corps, rapatrié par avion spécial fourni par la famille royale marocaine, a été inhumé dans la nuit du 7 au 8 août dans l’enceinte de la Grande Mosquée de Touba, capitale du mouridisme.
L’annonce de la nouvelle a plongé le Sénégal entier dans le deuil. Les hommes politiques (à commencer par le chef de l’État, Abdoulaye Wade, son Premier ministre, Macky Sall, et les leaders des partis d’opposition) ainsi que les talibés (« disciples ») de communauté mouride ont afflué vers Touba pour présenter leurs condoléances. Les radios ont suspendu leurs programmes pour diffuser des versets du Coran et des khassaïdes (« poèmes religieux ») de Cheikh Ahmadou Bamba. Pendant plusieurs jours, le Sénégal vécu dans le recueillement. Le célèbre chanteur Youssou Ndour, talibé du défunt, a reporté des concerts très attendus, le 11 août à Thiès et le 14 août à Dakar. Toutes les associations de la société civile ont rendu hommage au disparu, à l’image de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (Raddho), d’ordinaire si critique, qui a salué « un saint homme ayant su donner à la notion de solidarité humaine tout son contenu ».
Les communautés mourides regroupées au sein de dahiras (« groupes religieux ») aux États-Unis, en France, en Italie, en Belgique et dans la plupart des pays africains ont envoyé des délégations pour apporter leurs messages de condoléances à la famille de Cheikh Ahmadou Bamba.
Né en 1921, six ans avant la mort de son père, Mouhamadou Mourtada Mbacké a été initié au Coran dans le village de Ndame, au Sénégal, par son oncle Serigne Abdourahmane Lô, avant de se rendre en Mauritanie pour approfondir l’exégèse du Livre saint. De retour au Sénégal, il s’est employé à créer des écoles coraniques à travers tout le pays. Ouvert au monde par le voyage, il a modernisé les unités d’enseignement de « la parole de Dieu » au début des années 1980 par la création des instituts Al-Azhar. Avec l’aide de mécènes d’Arabie saoudite, il a quadrillé le Sénégal de 350 « écoles franco-arabes » dans lesquelles l’enseignement du Coran est associé à une initiation au monde moderne.
Inlassable voyageur, déterminé à porter le message du mouridisme aux quatre coins du monde, Mouhamadou Mourtada effectuait trois tournées (africaine, américaine et européenne) par an pour rencontrer les disciples de la diaspora, les structurer en dahiras ou encore instaurer des journées de commémoration. Aux États-Unis, en France, en Italie, en Belgique, en Côte d’Ivoire, en Gambie, au Gabon, en Afrique du Sud, il a fait bâtir de grandes demeures appelées «Keur Serigne Touba » (Chez Cheikh Ahmadou Bamba), destinées à accueillir les activités cultuelles des « mourides » de ces différents pays. À New York, il a obtenu, en 1998, du maire de Harlem David Dinkins l’institution d’une « Journée Cheikh Ahmadou Bamba » fêtée au mois de juillet de chaque année, notamment par une marche entre la 125e Avenue et Central Park. Le «Keur Serigne Touba » inauguré en 2001 à New York a coûté 600 000 dollars, dont 55 000 fournis par Mouhamadou Mourtada Mbacké lui-même. Le « marabout » était en effet doublé d’un homme d’affaires prospère qui opérait dans des domaines variés : import-export, boulangerie, alimentation, transport public
La mort de Mouhamadou Mourtada Mbacké – appelé, selon l’ordre de primogéniture, à succéder à l’actuel calife des mourides, Serigne Saliou Mbacké – introduit une nouvelle donne dans le « califat » de Touba. Celui-ci revenant désormais au plus âgé des petits-fils de Cheikh Ahmadou Bamba, c’est une relève de générations à l’une des positions les plus influentes au Sénégal qui s’annonce.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires