Moi, Italienne, épouse d’un Centrafricain

Mariée à un Subsaharien il y a près de trente ans, une Européenne qui vit en Côte d’Ivoire depuis 1987 livre son expérience personnelle. Quand l’amour et la tendresse brisent tous les obstacles. Y compris ceux du racisme.

Publié le 23 août 2004 Lecture : 5 minutes.

On parle souvent des couples mixtes, mais je n’ai jamais trouvé dans les différents témoignages ce que je crois être les raisons profondes de leur succès ou de leur échec.
Ici je parlerai des mariages réussis, ceux qui durent depuis vingt-cinq ou trente ans voire plus. Et il y en a beaucoup. Je fais partie de ces couples qui ont su trouver la voie pour se comprendre et continuer de cheminer ensemble.
Généralement, les relations se nouent entre 20 et 27 ans, l’âge auquel le jeune brillant étudiant noir vient parfaire sa formation en Europe. La jeune fille blanche est souvent très, très amoureuse de son beau Noir, et vit comme un défi de se montrer avec lui. Une espèce de fierté et de courage qui va de pair avec sa jeunesse et son envie de refaire le monde.

Dès qu’elle commence à s’afficher avec son amoureux noir, les commentaires des copines sont légèrement différents de ceux auxquels elle aurait droit si elle « sortait » avec un Blanc. La réputation de puissance sexuelle de l’amant noir a la vie dure… Vous avez beau expliquer aux copains et copines que c’est de l’amour, que vous n’êtes pas une grande « gourmande » et que, de plus, lui est très pudique et respectueux, rien n’y fait ! Dès que vous avez le dos tourné, ça glose. Gentiment bien sûr.
Après, si vous êtes vraiment amoureuse et décidée, il y a l’annonce à votre famille. Même si vos parents sont tiers-mondistes et « très ouverts », ils accueillent rarement la nouvelle avec une joie évidente. Au mieux, ils vous demandent de réfléchir « sérieusement ». Il y a des cas où ça se passe très mal, mais ignorons-les ici.

la suite après cette publicité

Après le mariage, la famille blanche va généralement « adorer » le jeune homme noir qui est venu en faire partie. Les enfants noirs reçoivent en effet une éducation plus stricte que les petits blancs. De plus, le respect des anciens inculqué solidement dans l’éducation du petit Africain fait de lui un gendre attentif et respectueux. Les belles-mères adorent et les beaux-pères, finalement, sont fiers.
Quand arrivent les petits-enfants, ces bouts de chou à la peau ambrée et aux cheveux frisés, les grands-parents blancs « chavirent » de joie ! Il y a, bien sûr, les réflexions des voisins : « Mais tous vos enfants seront toujours noirs ? Aucun ne vous ressemblera ? Ils vont tous prendre du père ? » Vous vous échinez à leur expliquer que vos enfants ne sont pas noirs mais métis et qu’ils ont autant de couleur de leur mère que de leur père. Rien n’y fait : ils acquiescent, mais vos enfants feront partie des Noirs.
Cela, il faut le savoir et savoir le faire vivre comme un atout aux enfants. Ce n’est pas toujours facile. Un jour, vous êtes au supermarché, occupée à choisir vos courgettes tout en surveillant vos enfants en bas âge. Une femme s’approche et vous demande « Comment avez-vous pu en adopter trois, Madame ? » Votre orgueil de génitrice se rebiffe et vous répondez sèchement que ce sont vos enfants. Après, vous vous apercevez du regard triste de cette femme en mal d’enfants et vous vous sentez un peu honteuse de votre réplique impitoyable.
Vos enfants métis seront des petites stars et des curiosités jusqu’à l’âge de dix ans. Après, à l’adolescence, ils ne sont plus que des « basanés ». Alors, il faut se battre pour leur donner la fierté d’être eux-mêmes, sans agressivité et avec assurance. Difficile !
La meilleure solution, ce serait, quand cela est possible, de vivre dans un lieu où les couples mixtes et les métis sont nombreux et unanimement acceptés. Nous avions choisi Abidjan. Dans les années 1980-1990, c’était un endroit idéal. Montréal aussi est une ville remarquable à ce sujet. Bien sûr, ces affirmations n’engagent que moi et mon expérience personnelle.

Votre époux noir est un bon cadre, il gagne bien sa vie, et vous l’aidez activement. Mais voilà, les années passant, la nostalgie du pays se fait sentir de plus en plus fort. Surtout, il « culpabilise ». Le pays va très mal, et lui fait si peu ! Bien sûr, vous avez connu sa famille, elle est de condition très modeste, vous avez eu un accueil gentil mais indéchiffrable pour vous. Qu’est ce qu’ils pensent vraiment ? Vous apprécient-ils ou pas ? Beaucoup de dialogues se déroulant en langue vernaculaire, votre mari vous traduit-il tout ? Vous en doutez, mais ce sont les vacances et bientôt nous rentrons chez nous, donc pas trop de soucis. Les enfants donnent leurs jouets aux petits cousins avec joie, vous en êtes fière, ils sont généreux. Eux savent qu’ils en auront d’autres à la maison, mais c’est toujours un beau geste. De temps à autre, une des soeurs est souffrante, vous envoyez un peu d’argent pour les soins ; un frère doit réparer sa mobylette ; un neveu doit s’inscrire à l’école, il faut des livres, etc.
Si vous avez bon coeur, ces choses ne vous pèsent pas trop, car vos enfants ont tout, vous avez une jolie maison et quelque aisance. Sans être riche, ça va !

Après, l’âge de la retraite se profile. Les enfants finissent leurs études, ils commencent à chercher un travail et à acquérir leur indépendance. Votre mari vous parle de plus en plus de son pays, de la misère là-bas. Vous comprenez qu’il veut vous adresser un message, vous le sentez, vous le redoutez et vous ne l’encouragez pas trop dans ses élans. Un jour, il vous dit qu’il veut faire quelque chose pour son pays, qu’il veut mettre ses compétences et son expérience, bénévolement et sans arrière-pensée, à la disposition de ses frères. Là, vous blêmissez. Comment va s’organiser ce bénévolat ?
Même si vous connaissez l’Afrique depuis des décennies, aller vivre dans un pays dépourvu de tout, dans des conditions beaucoup moins confortables, si loin de vos enfants, de la « société de consommation » et de ses facilités ne vous enthousiasme pas le moins du monde.
Alors, après quelques pleurs, quelques disputes et quelques explications, vient l’heure des compromis. La compréhension est facilitée par la profonde connaissance mutuelle due aux trente années de vie commune, et pour toute la tendresse qui entoure un amour profond.

Bien sûr, nous garderons la maison principale en Europe, et nous aurons un petit pied-à-terre dans le village. Après, vous allez voir ce que votre mari veut faire, vous vous enthousiasmez pour la bonne cause, vous voyez la souffrance réelle des gens, vous vous sentez pleine de force et des bonnes intentions et vous commencez à penser sérieusement que vous aussi, sans être mère Teresa, vous aurez une grande satisfaction à créer quelque chose dont d’autres pourront tirer une possibilité de vie dans la dignité du travail. Et vous êtes partie prenante.
Voilà ce que veut dire être femme de Noir depuis bientôt trente ans. Quant au racisme ordinaire, vous avez appris depuis longtemps à vous en moquer.
Pour terminer, une petite note d’humour concernant la Tunisie. Avec l’arrivée massive d’un millier de cadres noirs et de leurs familles, très visibles à Tunis, et dont le statut professionnel et la formation sont particulièrement élevés, il serait étonnant que les Tunisiens ne soient pas amenés à rectifier un peu leurs préjugés, du moins ceux qui en ont. Cela d’autant plus qu’ils sont des bons commerçants !

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires