Matières premières : les gagnants et les perdants du Covid-19
Si les cours des produits énergétiques se sont effondrés du fait de la crise liée au coronavirus, l’or et le fer progressent largement.
Véritable « bible des matières premières » en français, le 34e rapport Cyclope publié le 9 juin tente de dresser le bilan des marchés des produits de base après la tempête de la pandémie du Covid-19 et la mise en « coma artificiel » de l’économie mondiale qu’elle a provoquée. Les indicateurs de Cyclope montrent un effondrement des cours de 42% entre début janvier et fin avril.
Philippe Chalmin, fondateur de cet ouvrage collectif, et Yves Jégourel, son bras droit distinguent trois groupes de métaux.
L’aluminium durablement en crise, le cuivre attend la reprise
Le premier est composé de métaux qui ont beaucoup chuté, mais qui pourrait rebondir à la faveur d’une reprise. En tête, le cuivre qui intéresse particulièrement l’Afrique subsaharienne et notamment la RDC et la Zambie. Son prix a chuté de 25 % au plus fort de la crise et ne perd plus aujourd’hui que 9 %. « Sa remontée devrait être épaulée par le développement de l’électromobilité et par la relance proposée par la Chine en matière d’infrastructures », souligne Yves Jégourel.
Deuxième catégorie : les métaux qui resteront handicapés structurellement comme l’aluminium, l’un des atouts de la Guinée. « Il n’a pas trop chuté (-19 %), poursuit Yves Jégourel, mais son prix se rétablit moins vite que d’autres parce qu’existent des stocks considérables qui pèsent sur le marché ».
Troisième catégorie : les métaux qui font mieux que résister. Naturellement, l’once d’or (1 749 dollars, soit +14 % entre le début de l’année et le 14 avril et un niveau jamais dépassé depuis 2012) a « profité de la politique des taux bas pratiqués par la Réserve fédérale américaine ». Les orpailleurs qui grattent le Sahel du Soudan à la Mauritanie et les entreprises minières sud-africaines ou congolaises seront à la fête… quand les transports reprendront.
Les prix du coton resteront durablement sous pression
La grande surprise est venue de « l’extraordinaire stabilité du minerai de fer » dont le prix a même progressé de 11 % depuis le début de l’année « grâce à la pérennité de la demande chinoise », note le rapport (voir ci-dessous). La catastrophe de Brumadinho au Brésil et les cyclones en Australie ont aussi contribué à raréfier le minerai de fer. L’Afrique du Sud et la Mauritanie – dont le budget repose sur les exportations de fer – peuvent se frotter les mains. La Guinée, qui vient de signer pour la mise en exploitation tant de fois reportée de sa montagne de fer à Simandou, voit elle aussi l’avenir en rose.
Pas de pénurie alimentaire à l’horizon
Côté agroalimentaire, Yves Chalmin s’est voulu rassurant, balayant les craintes de pénurie alimentaire, car « la situation agricole mondiale reste bonne ». Les grains demeurent abondants. Ce qui a fait craindre des pénuries à un certain moment, notamment en Afrique dont 40 % de la consommation de riz est importée ? « Deux grands pays exportateurs de riz, le Vietnam et l’Inde, ont limité leurs expéditions pour des raisons différentes, a-t-il dit. Les prix ont grimpé de 10 % pour le riz thaï, mais ils sont aujourd’hui plutôt à la baisse ». Tout comme ceux du maïs affectés par l’effondrement du prix de l’éthanol, biocarburant fabriqué avec le maïs et tirés vers le bas par la chute du prix du pétrole.
En revanche, le Burkina Faso, le Mali, le Bénin, le Togo, le Tchad et le Cameroun vont pâtir de la quasi-disparition de la demande de coton. Habillement en berne, fermetures des filatures et tarissement de la demande chinoise ont fait chuter de 26 % l’indice A de Cotlook en deux mois et demi, sous la barre des 60 cents la livre pour la première fois depuis 2009. Pour Cyclope, « les prix resteront durablement sous pression ». Le Comité consultatif international du coton (CCIC) prévoit que l’indice 2020-2021 tomberait à 57 cents, « au plus bas en douze campagnes ».
L’énergie à la peine
Les plus grands perdants de la période sont les produits énergétiques (pétrole, gaz, charbon). Ils doivent leur dégringolade à la chute vertigineuse du prix du pétrole. Non seulement les automobiles, les bateaux et les avions ont été mis à l’arrêt, mais la guerre pétrolière déclenchée par l’Arabie saoudite contre la Russie et surtout contre les États-Unis a même fait passer le prix du baril américain en territoire négatif, -37,63 dollars le 21 avril ! Il fallait payer pour se débarrasser d’un pétrole dont on se savait quoi faire…
La remontée est amorcée aujourd’hui au-dessus de 35 dollars le baril et Nigeria, Algérie, Angola, Gabon, Ghana, etc. poussent un soupir de soulagement. Attention, note Cyclope, « il faudra du temps pour résorber tous ces excédents, d’autant plus que beaucoup de pays producteurs n’ont d’autres choix que de continuer à produire tant ils sont prisonniers de cette malédiction du pétrole qui est une constante de l’histoire contemporaine ».
Et après ? Les conditions à réunir pour contenir la récession mondiale qui s’annonce dans la limite des 3 % prévus par le Fonds monétaire internationale et pour que la demande de matières premières renaisse de ses cendres sont nombreuses et aléatoires. Outre les montagnes de dollars et d’euros pour faire repartir les économies, il faudra qu’il n’y ait pas de guerre commerciale sino-américaine, que la situation sanitaire se stabilise durablement, que les phénomènes météorologiques ne soient pas extrêmes, que la colère des populations réduites au chômage ou plongées dans une plus grande pauvreté ne provoquent des paralysies supplémentaires, au moment « de payer les additions sanitaires, mais surtout politiques et économiques, d’assumer le coût de ces quelques semaines de pilotage à l’aveuglette, conclut Philippe Chalmin. Cela promet d’être long et douloureux ».
Pourquoi le fer résiste
Voilà qui va ravir l’Afrique du Sud, la Mauritanie et demain, la Guinée : les prix du fer ont résisté au coronavirus et à la récession mondiale.
Ils avaient lentement remonté de 51 dollars la tonne en juillet 2015 à 103 dollars en juillet 2019. Tombés brièvement à 83 dollars, en avril 2020, au plus fort de la crise, ils ont retrouvé le niveau des 103 dollars, le 8 juin. Le fer est le seul métal industriel et même l’une des rares matières premières, avec l’or, à faire preuve d’une telle résistance dans la tempête économique qui balaie la planète.
Ce phénomène s’explique d’abord par une diminution de l’offre mondiale de fer. En 2019, le cyclone Veronica a paralysé la production en Australie en bloquant le fonctionnement des ports d’expédition pendant plusieurs jours. Les mines d’Afrique du Sud étaient toujours à la peine en raison de fréquentes coupures de courant. Au Brésil, la rupture du barrage de Brumadinho a paralysé une partie des activités du numéro un mondial, Vale, dont la capacité s’est trouvée réduite de 100 000 tonnes par an. Début 2020, les cyclones et les pluies diluviennes ont frappé à nouveau l’Australie et le Brésil, perturbant gravement extraction et exportations du minerai.
Un métal banal mais indispensable
Plus étonnant a été le maintien de la demande chinoise qui a permis la résistance inattendue des prix. Plusieurs explications sont avancées : la mauvaise qualité du minerai de fer chinois ; les réserves très basses de minerais de qualité dans les ports chinois au moment de l’épidémie ; un appétit féroce des sidérurgistes de l’Empire du Milieu qui visent une production annuelle d’un milliard de tonnes d’acier.
À cela s’ajoute le plan de relance de 485 milliards d’euros décidé par Pékin en mai pour stopper la récession de 6,8 % enregistrée au premier trimestre 2020. En effet, ce plan sera consacré aux infrastructures dont la construction réclame beaucoup d’acier et de fer à béton. Les marchés ont donc misé sur une reprise chinoise et sur l’avenir d’un minerai banal mais indispensable.
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