Le FLN dans le texte

Un volumineux recueil de matériaux de toutes origines éclairant d’un jour nouveau les épisodes les plus mal connus de la guerre d’Algérie.

Publié le 23 août 2004 Lecture : 4 minutes.

Tous les pays, sans exception, propagent par divers moyens – les discours, les commémorations, l’école, les livres, etc. – une version avantageuse de leur histoire afin de glorifier leur passé et ses héros. Mais il arrive que les arrangements avec la vérité historique prennent une dimension hors normes, en particulier quand les milieux dirigeants tirent l’essentiel de leur légitimité d’une certaine lecture de périodes cruciales de la vie de la nation. Voilà pourquoi, par exemple, on a maintenu en France jusque vers les années 1970 la pure légende – destinée à rétablir l’honneur du pays et par là même son influence – d’une population de l’Hexagone majoritairement résistante face aux Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. Voilà aussi pourquoi, en Algérie, on a beaucoup de mal à abandonner des versions erronées, voire fantaisistes, des événements concernant la guerre de Libération : quarante ans après l’indépendance, le régime reste en effet directement ou indirectement l’héritier du Front de libération nationale (FLN) qui mena le pays à la victoire contre le colonisateur.
Plus que dans d’autres États, on doit donc encore se contenter bien souvent en Algérie d’une version « officielle » de l’histoire du pays. Et en particulier de celle du conflit algéro-français. Le volumineux recueil de documents de toutes origines – extraits de livres publiés ou de mémoires inédits, rapports militaires, textes administratifs, notes de police – sur le FLN entre 1954 et 1962 que nous proposent aujourd’hui Mohammed Harbi et Gilbert Meynier est donc assurément le bienvenu. Il vise explicitement à donner des « armes » – en l’occurrence des écrits informatifs, avec leurs sources et les circonstances de leur « fabrication » – à ceux qui veulent lutter contre un état de fait regrettable à tous points de vue. Les deux auteurs sont, il est vrai, on ne peut mieux qualifiés pour mener cette entreprise : le second a récemment publié une monumentale Histoire intérieure du FLN ( Fayard, 2002 ) qui l’a amené à compulser une quantité considérable de textes, alors que le premier, auteur notamment du FLN, mirage et réalité ( Éditions J.A., 1980 ) et détenteur d’archives privées très précieuses, est considéré depuis un quart de siècle comme le meilleur historien algérien de la Guerre.
C’est d’ailleurs à l’intérieur même de l’ouvrage que l’on trouve les meilleures raisons de se réjouir de sa publication. Tout particulièrement quand il nous permet de lire certains passages de livres d’histoire proposés aux jeunes Algériens et truffés d’approximations ou d’erreurs qui, pour des raisons plus ou moins faciles à deviner, servent les intérêts de certains. Comment, par exemple, ne pas sursauter en lisant dans un manuel actuel destiné aux élèves de terminale que « le CRUA a été créé par le groupe des 22 pour activer la lutte armée » ? Il est en effet depuis fort longtemps établi que lesdits « 22 », les hommes qui ont décidé de lancer la Guerre en 1954, se sont précisément réunis en juin de cette année-là parce que le CRUA, le fameux Comité révolutionnaire d’unité et d’action animé par Mohamed Boudiaf et quelques autres, avait échoué à atteindre son but, à savoir réunifier le MTLD, le grand parti nationaliste et indépendantiste jusque-là dirigé par Messali Hadj et divisé en plusieurs tendances. Une façon indirecte de minimiser le rôle de Boudiaf en faisant du CRUA non pas un précurseur du futur FLN, mais une création des « 22 » ?
Mais l’aspect le plus stimulant de cet ouvrage très riche organisé de façon thématique – qui permet aussi bien de trouver facilement des textes sur la justice du FLN, les femmes dans la guerre et les méthodes musclées de « maintien de l’ordre » des autorités coloniales que des appréciations sur le fonctionnement du GPRA ou les nombreuses crises qui ont « secoué » l’Armée de libération nationale – tient sans doute à l’accumulation de documents d’origines diverses sur des faits ou des épisodes historiques controversés ou mal connus. En comparant les différentes versions ou bilans des mêmes événements par les deux camps (algérien et français) ou à l’intérieur d’un même camp (entre « militaires » et « politiques » du FLN par exemple), ou en lisant des séries de documents qui se complètent les uns les autres, le lecteur peut enfin se faire tout seul une idée de la « vérité historique »… ou de la façon dont les acteurs de ces événements ont tenté de construire une certaine « vérité » pour défendre leurs opinions ou leurs intérêts. Et cela aussi bien en ce qui concerne des faits « pointus », comme par exemple les circonstances de l’assassinat par ses camarades de combat d’Abbane Ramdane, l’homme qui domina le FLN en 1955 et 1956, que des problèmes plus généraux, comme les analyses, pour le moins divergentes, de la situation militaire ou politique du pays par les deux belligérants aux moments cruciaux du conflit.
Un tel livre, on l’a compris, est en fin de compte avant tout un instrument pour nourrir tous les débats que la guerre d’Algérie et ses conséquences proches ou lointaines méritent de susciter. Est-il de ce fait réservé aux spécialistes ? Seuls ceux-ci s’intéresseront sans doute à la totalité de son contenu, parfois austère. Mais le simple lecteur averti n’aura aucun mal à picorer ici ou là une matière très digeste. D’abord, grâce au choix des textes : il s’agit souvent de récits et de témoignages à la première personne ou de documents judicieusement coupés pour rester intéressants même pour ceux que n’anime aucune motivation « scientifique ». Ensuite, parce que les auteurs proposent, outre une remarquable introduction évoquant le contexte historico-politique de la Guerre, une infinité de notes de bas de page truffées d’éléments ou de commentaires qui facilitent le décryptage des événements évoqués. Ce qui fait de ce simple recueil de textes pour l’essentiel déjà connus, mais en général non disponibles voire inaccessibles, un véritable livre d’histoire pour tout public, ou presque.

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