Kourouma et la crise ivoirienne

Publié le 23 août 2004 Lecture : 3 minutes.

Après le succès de Allah n’est pas obligé (Le Seuil), prix Renaudot 2000, Ahmadou Kourouma travaillait à l’écriture d’un nouveau roman lorsque la mort l’a fauché le 11 décembre 2003 à Lyon. Le texte que mettent en librairie, le 27 août, les éditions du Seuil est loin d’être achevé. Kourouma avait laissé un synopsis montrant à quoi il voulait aboutir, et il aurait, comme à son habitude, beaucoup retravaillé la forme. À l’instar de ses livres précédents, Quand on refuse on dit non s’inscrit dans une perspective politique précise. Celle-ci consiste à expliciter la tragédie actuelle de la Côte d’Ivoire. Le roman se présente comme une suite à Allah n’est pas obligé. On y retrouve Birahima, l’enfant-soldat des guerres civiles de Sierra Leone et du Nigeria, de retour dans son pays natal à la fin de 2002. Pour fuir la répression qui s’abat au Sud sur les gens du Nord, il prend la route de Bouaké, en zone rebelle, en compagnie d’une jeune femme du nom de Fanta. Chemin faisant, celle-ci entreprend de faire l’éducation de son jeune compagnon en lui racontant l’histoire de leur pays.

Sur la route de Bouaké

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J’AI BEAUCOUP COMPRIS et j’ai tout enregistré. L’élection de Gbagbo a été un bordel au carré. Un bordel de bordel. Gueï était d’accord avec Gbagbo qui allait être son Premier ministre. Le général était sûr de gagner parce qu’il avait invalidé tous les bons candidats. Et Gbagbo ne devait pas beaucoup suer pendant la campagne électorale. Gbagbo a secrètement dit oui au général. Mais quand Gbagbo a commencé à tricher, Gueï a compris que le socialiste n’était pas un homme de parole. Il est allé voir un huissier qui a constaté les escroqueries. Il a dissous la commission indépendante. S’est proclamé président et a fait confirmer sa proclamation par la Cour suprême. Alors là, tous les électeurs sont descendus dans la rue pour lyncher le général. Le général s’est échappé, il s’est enfui dans son village.
[…] Gbagbo a été plus astucieux (malin) qu’un vieux gorille. Il s’est proclamé président entouré de ses amis socialistes à l’ambassade de France, sous la garde des militaires français. Les Dioulas sont descendus dans la rue, mais ils n’ont pas pu prendre l’ambassade de France. Gbagbo, qui était sous bonne garde, a commandé aux gendarmes de défendre l’ordre à tout prix. Alors les gendarmes ont massacré les Dioulas et les ont jetés aux dépotoirs de Yopougon et on a appelé cela le charnier de Yopougon. Faforo (cul de mon papa) !
[…] Le lendemain matin, nous avons pris [à] pied la route, et Fanta a recommencé à enseigner l’histoire de la Côte d’Ivoire. Moi, j’enregistrais tout pour mon certificat, mon brevet et mon bac.
Une fois au palais, Gbagbo eut conscience que son élection n’avait été ni facile ni régulière. Avec beaucoup de courage, il entreprit de calmer le jeu. Il entreprit de réconcilier les Ivoiriens. D’abord, il fit juger les responsables du charnier de Yopougon. Rien ne sortit du procès. Tout le monde fut relâché. Les victimes, faute de protection, avaient eu peur de se présenter à la barre.
Ensuite, il organisa un forum de réconciliation. Un vrai forum de réconciliation, au cours de plusieurs jours de débats publics. Chaque parti put exposer ce qu’il pensait de la Côte d’Ivoire meurtrie. Le forum, sous la présidence de Seydou Diarra, aboutit à des conclusions courageuses. Réconciliation des quatre principaux leaders ivoiriens : le président Gbagbo, Ouattara, Bédié et Gueï tinrent une petite conférence à Yamoussoukro. Un gouvernement d’union nationale auquel participaient tous les partis importants du pays fut constitué.
Courageusement, le président s’attela à appliquer ces décisions. La rencontre des principaux leaders avait eu lieu. Le gouvernement avait été constitué. Le calme commençait à revenir… Mais beaucoup de questions n’avaient pas reçu de réponses. La discrimination ethnique à l’égard des originaires du Nord continuait. De nombreux militaires, des militaires du Nord en fuite après les divers complots, restaient réfugiés, surtout au Burkina. Les responsables du charnier de Yopougon n’avaient pas été châtiés comme ils le méritaient.
Pourtant, après le coup d’État et l’élection rocambolesque, un semblant de calme commençait à s’établir. C’est dans ce semblant de calme que fut annoncé l’assassinat de Balla Keita [un ancien ministre d’Houphouët devenu le bras droit du général Gueï] Ouagadougou, au Burkina. Cet assassinat, vraisemblablement perpétré par les services secrets ivoiriens, allait être le signal du complot du 19 septembre.

Quand on refuse on dit non,
d’Ahmadou Kourouma,
Seuil, 168 pp., 14 euros.

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