Hedi Dahmani, l’antistar de « Voici »

Ce journaliste d’origine tunisienne est à la tête de l’un des plus grands magazines français. Rencontre.

Publié le 23 août 2004 Lecture : 5 minutes.

D’emblée, il annonce qu’il est contre la « starification » des journalistes. Hedi Dahmani préfère rester dans l’ombre tandis qu’il braque chaque semaine ses téléobjectifs sur les vedettes de la planète show-biz. Le rédacteur en chef de Voici, l’hebdo people parisien que l’on s’arrache dans les salles d’attente des dentistes – quand on n’est pas un acheteur régulier du lundi -, ne comprend pas que l’on s’intéresse à lui. Après tout, il n’est « que le capitaine d’une équipe de journalistes ». Un capitaine qui pèse tout de même 600 000 exemplaires chaque semaine. Et qui peut donc se targuer de diriger le deuxième hebdomadaire féminin de France, en termes de ventes en kiosques – après Femme actuelle, autre fleuron du groupe Prisma Presse d’Axel Ganz.
À 39 ans, Hedi Dahmani voit sa carrière couronnée d’un poste à la fois jalousé et dénigré. Voici, succès populaire incontestable, est aussi considéré par les gens « sérieux » comme le prototype de la presse de caniveau : 90 pages de potins, pas toujours vérifiés et souvent montés en épingle. Celui qui occupe le fauteuil de rédacteur en chef depuis fin 2001 s’en moque. « Personne ne fera jamais l’unanimité. Ce qui est important à mes yeux, c’est d’être lu. Il n’y a rien de pire qu’un magazine qui reste impeccable, comme neuf », assène-t-il en tirant sur sa cigarette.
Et il sait de quoi il parle, lui qui avait l’habitude de dévorer tous les magazines qui traînaient chez ses parents, à Tunis, puis à Paris, dès l’âge de 11 ans. La presse, Dahmani est tombé dedans quand il était petit. Il se défend pourtant d’avoir jamais eu la vocation de journaliste. Hedi ne voulait pas mener la même vie que son père, grand reporter à Jeune Afrique pendant près de vingt ans. « Après le baccalauréat, j’ai finalement réalisé que seul ce métier m’intéressait », s’excuse-t-il presque, les yeux perdus dans le vague.
Cela dit, les écoles de journalisme n’étaient pas vraiment sa tasse de thé. Il était trop impatient de travailler dans un journal. En suivant peu ou prou la formation d’une grande école de communication parisienne, Hedi Dahmani enchaîne les stages. D’abord à Jeune Afrique, au milieu des années 1980. « On m’a donné une critique de livre à raccourcir et à titrer, se souvient-il. Quand, une semaine plus tard, j’ai vu le titre que j’avais proposé imprimé dans le journal, j’étais sous le choc. » Excès d’orgueil ? Que nenni, rétorque l’intéressé, qui avance son goût pour la « fabrication de la presse ». D’ailleurs, quelques années plus tard, alors que les premiers logiciels de PAO (publication assistée par ordinateur) font leur apparition, Dahmani fils passe des nuits entières à « recopier la maquette des grands journaux » pour comprendre et par plaisir. Il explique qu’à ce moment-là il s’est rendu compte que « la forme parlait tout autant que le fond ».
C’est à la même époque qu’il découvre Voici – le magazine a été créé en 1987. Il saisit immédiatement la masse de travail et la réflexion qu’une « grosse machine populaire » exige. En 1993, la rubrique « Médias » de Libération annonce la création de l’Académie Prisma Presse, laquelle propose une formation à une dizaine de journalistes préalablement sélectionnés. Hedi est parmi les lauréats – il préfère dire qu’il a eu de la chance… Fausse modestie de la part de ce jeune quadra en costard branché à qui tout semble réussir ? Quoi qu’il en soit, Hedi Dahmani choisit de faire ses classes à Voici plutôt que dans l’un des titres plus haut de gamme du groupe comme Capital ou Géo.
« Les stars ne me fascinent pas. Moi, ce qui m’impressionne, c’est la presse populaire de qualité », répète le journaliste. Pendant deux ans et demi, il en découvre tous les rouages : rewriting, titraille, informateurs à rémunérer… Le jeune loup dynamique et tatillon se régale… jusqu’à ce qu’un chasseur de têtes vienne frapper à la porte de son bureau et lui propose de rejoindre le groupe Emap (troisième éditeur de presse en France), où il commence par prendre la direction des magazines nautiques (Bateaux, Neptune Moteur…). Un défi qu’il décide de relever. Et des paris qu’il parvient à gagner.
Puis c’est la crise de la trentaine. La lassitude pointe son nez dans la vie pourtant trépidante du Tunisien acquis au rythme parisien. L’« ambiance Voici » lui manque un peu aussi. Alors, quand il apprend que le poste de rédacteur en chef se libère, il fonce. Et remporte la mise en 2001. Depuis, il a dû faire face à la concurrence d’autres magazines people, tel Public, lancé en juillet 2003 par d’anciens collaborateurs de Voici et placé sous la coupe du groupe Hachette Filipacchi Médias (voir encadré). « La concurrence crée l’émulation. C’est important de savoir se remettre en question », souligne-t-il. Depuis son arrivée, les chiffres de diffusion, qui étaient en baisse constante depuis huit ans, ont remonté : + 3,6 % en 2003.
Plus que de ce bilan positif, Hedi Dahmani se félicite d’avoir apporté au magazine à la méchante réputation – dans tous les sens du terme – un peu d’« humour tunisien ». Exemple : au lieu de dire que tel chanteur a grossi, la légende précisera plutôt que « cette saison, la mode est au maillot de bain extra small »… Un ton moqueur bon enfant. « Plus subtil, non ? » souligne l’intéressé. Il est vrai que Dahmani ne laisse rien au hasard. Une « simple » légende photo demande parfois une heure de travail et provoque des débats enflammés au sein de la rédaction. Le chef est perfectionniste. Il s’efforce de lire 80 % des articles avant le bouclage, le mercredi soir.
Cette ligne éditoriale, nourrie depuis mai de nouvelles rubriques féminines et d’une maquette remise au goût du jour, est payante puisqu’elle accroche désormais les annonceurs. Près de 1 000 pages de publicité ont alimenté la revue l’année dernière alors qu’on n’en comptait à peine la moitié en 1997. Est-ce à dire que l’hebdo people numéro un s’est assagi ? Pas vraiment au regard de la « cover » montrant Claire Chazal, la star du Journal télévisé de TF1, seins nus sur une plage… ou des publications judiciaires régulièrement en couverture – le nombre de procès intentés contre Voici au nom du respect de la vie privée et de l’image reste cependant confidentiel.
Fort de son succès dans l’Hexagone, Dahmani ne rêve-t-il pas de l’étendre à d’autres parties du monde, au Maghreb, par exemple ? En Tunisie, un millier d’exemplaires seulement circulent, tandis qu’il y en a le double au Maroc. Pour Dahmani, « ce n’est pas vraiment dans la culture de ces pays, les dirigeants n’accueilleraient pas les paparazzi à bras ouverts. D’ailleurs, le vrai scoop, là-bas, serait de révéler quels puissants sont… vraiment fidèles dans leur vie privée. ». Pour l’heure, il se satisfait des unes qu’il a pilotées… et qui recouvrent un pan de mur de son bureau.

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