Cameron Kerry, frère de John

Proche conseiller de son aîné depuis plus de trente ans, il présente la particularité d’avoir délaissé les églises pour les synagogues. Portrait.

Publié le 23 août 2004 Lecture : 5 minutes.

On l’a beaucoup comparé à Robert Kennedy. Pour ses origines irlandaises d’abord. Pour sa propension à jouer les fidèles protecteurs ensuite. Enfin pour son rôle de confident auprès d’un frère qui brigue la Maison Blanche. Mais les ressemblances s’arrêtent là. Car, contrairement au frère de JFK, qui supervisait toute la campagne présidentielle de son aîné, Cameron Kerry ne gère pas le « plan de bataille » du candidat démocrate. Autre différence entre les deux hommes, et non des moindres : Robert Kennedy, lui, ne s’était pas converti au judaïsme.
Si les médias se sont autant intéressés à Cameron Kerry, ces dernières semaines, ce n’est en effet pas seulement parce qu’ils reconnaissent en lui un conseiller efficace de son frère. Mais surtout parce que ce fils de catholiques pratiquants a délaissé les églises pour les synagogues. Réputé pour sa discrétion, Cameron ne comprend pas cet intérêt dont il est l’objet, lui dont la seule ambition est de faire gagner son aîné. Pour mieux se consacrer à la campagne de John, cet avocat de 53 ans a mis sa carrière professionnelle entre parenthèses. Il a pris un congé et interrompu ses cours comme professeur auxiliaire en droit des télécommunications à la Suffolk Law School. L’admiration qu’il porte à son frère n’est un secret pour personne : « En temps de guerre et de grand challenge économique, aime- t-il à répéter, John est le genre de leader dont nous avons besoin. »
Ce n’est pas la première fois que Cameron Kerry apporte son appui à son frère. Depuis 1972, date à laquelle John s’est lancé dans la politique, il ne lui a jamais ménagé son soutien. Entre 1984 et 2002, durant les campagnes sénatoriales de John Kerry, il n’a cessé de peaufiner sa stratégie. C’est lui qui écrivait les discours et les courriels de sollicitations, qui choisissait les affiches, qui démarchait les donateurs. Avec une méthode qui s’est révélée payante : John Kerry a été élu sénateur à quatre reprises. Autant dire que Cameron est rodé. Ces succès par procuration ne l’ont pourtant pas libéré : l’homme a du mal à s’affranchir d’une timidité proche de l’inhibition. Il est si réservé que certains vont jusqu’à dire de lui qu’il est lent. « Je ne connais aucune histoire dramatique ou bizarre à son sujet. Il est si discret ! Il est toujours là, mais reste calme en toutes circonstances », raconte un ex-membre du staff de John Kerry.
Cette tendance à rester en dehors de la scène tout en oeuvrant activement dans les coulisses de la campagne vaut au frère du candidat démocrate une réputation d’éminence grise. « Je l’ai entendu dire des centaines de fois : si quelqu’un veut obtenir quelque chose de John Kerry, il doit passer par Cameron, rapporte George Butler, une vieille connaissance des deux frères, et auteur d’un documentaire sur la campagne. John l’appelle souvent au téléphone après minuit et, ensemble, ils règlent toutes sortes de problèmes. » Efficace et effacé, ainsi est perçu Cameron Kerry. Il y a d’ailleurs fort à parier qu’il n’aurait pas quitté l’ombre pour les feux des projecteurs si l’on avait continué à ignorer qu’il pratiquait le shabbat. Aucun président élu à la Maison Blanche n’a encore jamais été apparenté à une famille juive. Et il y a bien là de quoi défrayer la chronique.
Tout a commencé à Washington, en 1979. Kathy Weiman, une jeune diplômée de la faculté de droit du Michigan, se fait engager au cabinet d’avocats Mintz Levin, où Cameron est lui-même employé. Coup de foudre. Kerry demande la charmante Kathy en mariage. La jeune femme, qui a fait ses études à l’école juive de Southfield, dans le Michigan, hésite un temps, car Cameron est catholique. Issue d’une famille juive profondément croyante, elle met une condition à cette union : ses enfants seront élevés dans la religion juive. « Tout est parti de là, dira plus tard Cameron Kerry. Pour pouvoir participer pleinement à leur éducation religieuse, il fallait que je me convertisse. » Abandonner le crucifix pour la kippa ne semble pas l’émouvoir plus que ça. Le jeune homme éprouve une secrète fascination pour la religion de Moïse. « Ce qui m’a attiré dans le judaïsme, confie-t-il, c’est le rôle central de l’étude dans la religion, qui valorise énormément la connaissance et la recherche. » Devenu juif, Cameron Kerry épouse Kathy Weiman en 1983, avec la bénédiction de sa mère et de son aîné. C’est sans hostilité que John Kerry a accueilli la décision de son frère d’embrasser le judaïsme. Il ne semble pas gêné non plus que sa belle-soeur soit un membre actif du Brookline’s Temple Israel, une synagogue de Boston. Le serait-il d’ailleurs que ce serait déplacé. Car John Kerry a lui-même… des racines juives. Et s’il était élu en novembre prochain, il serait alors le premier descendant d’Abraham à entrer à la Maison Blanche. Un fait découvert par hasard l’année dernière par le Boston Globe.
C’est en dressant l’arbre généalogique de la famille Kerry que le journal a découvert que les grands-parents paternels du candidat démocrate, d’origine irlandaise, étaient juifs. C’est d’une petite ville de l’Empire austro- hongrois qui se trouve aujourd’hui en République tchèque que la famille Kohn est issue. Avant d’émigrer aux États-Unis, elle se convertit au catholicisme et opte pour le nom plus américain de Kerry. « C’était sidérant ! » dira Cameron Kerry, après avoir lu l’article du Boston Globe. Il sera tout aussi surpris au cours des jours suivants par les témoignages qu’il recevra. De nombreux juifs de sa synagogue lui confieront avoir découvert leur judaïsme – ou, comme dans son cas, leurs racines juives – d’une manière fortuite. Sa belle-famille, elle, se réjouit de cette nouvelle. « Mon mari et moi sommes la première génération d’Américains de notre famille, raconte Anne Weiman, sa belle-mère. À notre époque, il était simplement inconcevable qu’on puisse être lié au président des États-Unis. » Quant à sa femme, Kathy, 49 ans, elle ne cache pas son enthousiasme : « Nous devons nous pincer pour y croire. C’est incroyable de penser que nous pourrions bien être au premier rang au moment où l’Histoire va se faire ! »
Cameron Kerry, lui, reste égal à lui-même. Lorsque les journalistes lui demandent son avis sur la question, il répond simplement : « C’est une histoire américaine. » Il pourrait aussi s’agir d’une puissante histoire juive, car si John Kerry remportait les élections, il serait le premier président des États-Unis à avoir des ascendances hébraïques.

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