Brabotage en eaux troubles

Comment la magnifique ingénue de « Et Dieu créa la femme » a-t-elle pu se muer en cette dame pleine d’aigreur que la presse n’évoque plus que pour citer ses dérapages verbaux et les passages haineux de ses livres ?

Publié le 23 août 2004 Lecture : 9 minutes.

«Les musulmans naissent avec un couteau dans la main et ils égorgent ce qui leur passe dans la main. Ils sont de plus en plus nombreux dans notre pays. Je considère que nous sommes envahis. » Les mots sont terribles. Celle qui les a prononcés fut l’une des plus belles actrices de l’après-guerre. Difficile de croire que la comédienne aux célèbres initiales ait pu tenir de tels propos dans une dépêche adressée en avril 1997 à l’Agence France Presse. Ce n’est pourtant, hélas ! que l’un des nombreux dérapages verbaux de Brigitte Bardot.
Le 10 juin dernier, le tribunal correctionnel de Paris a condamné l’ex-star à une amende de 5 000 euros après que le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples ( Mrap ) et la Ligue des droits de l’homme eurent porté plainte contre elle pour des propos incitant à la haine raciale contenus dans son livre Un cri dans le silence ( éditions du Rocher, mai 2003 ).
BB, l’un des derniers monstres sacrés depuis la disparition de Marilyn Monroe, BB dont les déhanchements suggestifs sur grand écran affolèrent en 1956 une bonne partie de la planète, condamnée pour racisme. La magnifique ingénue de Et Dieu créa la femme semble avoir accouché d’une créature pleine d’aigreur que la presse n’évoque plus que pour citer des passages polémiques de ses ouvrages. Comment expliquer cette étrange mutation ?
L’idéal, bien sûr, pour se faire sa propre opinion, eût été de rencontrer la comédienne. Mais obtenir un rendez-vous avec BB lorsqu’on n’est pas le présentateur d’une célèbre émission télévisée relève de la mission impossible. À la Fondation Brigitte Bardot, on vous suggère d’envoyer vos questions par télécopie, en vous assurant que la star y répondra de façon manuscrite. Pour ce qui est d’un éventuel entretien téléphonique, il faut patienter plusieurs semaines avant d’avoir la comédienne au bout du fil. En attendant, on peut toujours entendre dans l’écouteur son inimitable voix aux accents traînants. Elle se substitue à la musique d’attente de la Fondation pour vous suggérer d’adopter un ami à quatre pattes.
Reste une solution : tenter d’élucider les raisons d’un étrange glissement et comprendre comment celle qui a représenté, en 1968, les valeurs de la République française en incarnant Marianne a pu ainsi décevoir tant de ses inconditionnels. Dans Un cri dans le silence, Bardot s’attaque de manière virulente aux étrangers. « On n’a plus le droit d’être scandalisé quand des clandestins ou des gueux profanent et prennent d’assaut nos églises pour les transformer en porcheries humaines, chiant derrière l’autel, pissant entre les colonnes, étalant leurs odeurs nauséabondes sous les voûtes sacrées des choeurs », écrit-elle à propos des sans-papiers. Les musulmans ne sont guère mieux lotis. Critiquant vigoureusement la fête de l’Aïd el-Kébir, « quelque chose d’absolument affreux, qui est devenu une tradition française », Bardot les décrit comme des « envahisseurs » qui auraient pris le contrôle d’une France où « les clochers de nos villages abandonnés sont remplacés par des mosquées ».
C’est la troisième fois que l’égérie des années 1960 est condamnée pour incitation à la haine raciale. Dans son jugement du 10 juin 2004, la 17e chambre du tribunal de Paris note qu’à la lecture de certains passages de son livre « la présence musulmane sur le sol français ne peut que paraître indésirable au lecteur, inéluctablement conduit, de surcroît, par le récit complaisant et insoutenable de multiples scènes de violences, à rejeter les membres de la communauté musulmane par la haine et la violence ».
Connue pour son franc-parler, la star, à bientôt 70 ans, ne s’embarrasse guère de formules policées pour dire ce qu’elle pense. « Je n’enveloppe pas mes paroles dans du papier de soie », assène-t-elle volontiers lorsqu’on lui reproche ses déclarations à l’emporte-pièce. L’actrice vieillissante l’a répété à maintes reprises : « J’ai le courage de mes opinions, mais je ne suis pas raciste. » L’interprète de Babette s’en va-t-en guerre ne cache pas en tout cas qu’elle a la nostalgie de la France d’autrefois ( faut-il comprendre sans les étrangers ? ), mettant en avant sa qualité de « Française de souche ».
Brigitte Bardot naît le 28 septembre 1934 à Paris. Dans la famille bourgeoise du 15e arrondissement où elle grandit, elle reçoit une éducation assez stricte. Parce qu’elle a accidentellement brisé une potiche chinoise, ses parents, pour la punir, lui imposent, à sept ans et demi, de les vouvoyer. Malgré la guerre et les privations, la fillette vit une enfance sans histoire. Devenue une ravissante adolescente, Brigitte Bardot joue les mannequins pour le magazine Elle. Nous sommes en 1950. La jeune fille qui porte un discret chemisier rayé ne se doute pas qu’un simple cliché va bouleverser le cours de son destin. Brigitte Bardot a à peine 15 ans et déjà son sourire mutin et sa silhouette gracile attisent les convoitises. Le réalisateur Marc Allégret ne s’y trompe pas. Son oeil expérimenté décèle chez la belle nubile qui pose sagement sur la couverture du célèbre magazine le potentiel d’une future star. Ce sera son assistant, Roger Vadim, qui fera réaliser un bout d’essai à la belle.
Deux ans plus tard, Bardot fait ses premiers pas au cinéma. Dans Le Trou normand de Jean Boyer, elle interprète Javotte, une petite paysanne un peu peste. Le rôle est mince et son nom figure à peine au générique, mais qu’importe, elle donne la réplique à Bourvil et empoche son premier cachet, 200 000 francs de l’époque. Dans la foulée, elle épouse son pygmalion Roger Vadim. Ils se marient le 20 décembre 1952, alors que la comédienne, tout juste âgée de 18 ans, est encore mineure ( à cette époque, la majorité est à 21 ans ). Quelques mois plus tard, elle s’envole pour les États-Unis et tourne son premier film outre-Atlantique avec l’acteur Kirk Douglas. Brigitte Bardot n’est pas encore une vedette, mais elle commence à être connue. Son allure de femme-enfant et sa façon si particulière de s’exprimer, qui tient à la fois de la gamine et de la séductrice, conquièrent les réalisateurs et affolent le public.
Il faudra attendre 1956 et la sortie sur les écrans de Et Dieu créa la femme pour que sa carrière prenne un tournant décisif. Pourtant, les Français réservent d’abord un accueil sans enthousiasme à ce film réalisé par Vadim. Les critiques de l’époque notent « l’articulation douteuse » de la jeune comédienne. Un certain Paul Reboux évoque le « physique de boniche » de Bardot et sa « façon de parler propre aux illettrés ». Mais comme nul n’est prophète en son pays, le succès viendra d’outre-Atlantique. Les Américains portent le film et la star aux nues. La jeune actrice qui apparaît très dévêtue face à Jean-Louis Trintignant dans une scène devenue mythique déclenche une « bardolâtrie » sans précédent.
Cet engouement atteint la France par ricochet. Bardot est désormais une vedette internationale. Les metteurs en scène se l’arrachent, les hommes succombent à son charme et les femmes rêvent de lui ressembler. Sa carrière décolle tandis que son mariage vole en éclats. Pendant le tournage du film, BB et Trintignant se sont épris l’un de l’autre. La starlette quitte le réalisateur pour le jeune acteur au visage grave. Après quatre ans de mariage, Roger Vadim et Brigitte Bardot divorcent. Les années qui suivront conforteront la vedette dans l’immense popularité dont elle jouit, malgré un choix de films pas toujours heureux. Elle sera longtemps considérée comme un sex-symbol aux quatre coins du monde. Pour preuve, la chanson que lui dédie en 1961 Jorge Vieira, un jeune chanteur franco-argentin. « Brigitte Bardot… » fera le tour de la planète.
L’actrice s’essaiera elle-même à la chanson. Serge Gainsbourg, avec qui elle vivra une histoire d’amour, lui écrit ses plus grands succès : « Harley Davidson », « Bonnie and Clyde », « Contact », « Comic Strip », « Initials BB », « Bubble Gum », « Je t’aime moi non plus », « Nue au soleil »… En tout, un répertoire de quatre-vingts morceaux. La star n’est pas une grande voix, mais ses accents suaves et son physique sexy lui donnent une certaine crédibilité.
Derrière l’image du sex-symbol à qui rien ni personne ne résiste se dissimule une âme assoiffée d’amour dont la vie sera jalonnée d’échecs sentimentaux. Mariée aujourd’hui à un ami de Jean-Marie Le Pen, Bernard d’Ormale, épousé en 1992, la star raconte : « Je n’ai vécu que des passions ! Les passions sont brèves, furtives, elles brûlent les étapes par leurs folies destructrices, et ne laissent derrière elles qu’amertume et déception. » Avant de rencontrer d’Ormale, son quatrième époux, Bardot passera encore à deux reprises devant monsieur le maire. D’abord avec Jacques Charrier, un jeune comédien à qui elle donnera en 1960 un fils, Nicolas, son unique enfant. Deux ans plus tard, elle le quitte. Elle épousera en troisièmes noces le milliardaire allemand Gunter Sachs. Un an après la cérémonie célébrée à Las Vegas, le coeur de la star bat à nouveau pour un autre homme : Serge Gainsbourg.
Au cours de sa vie, Brigitte Bardot connaîtra plusieurs autres amours. Parmi ses conquêtes, l’acteur Sami Frey et le chanteur Sacha Distel récemment disparu. Ses passions ont beau être inconstantes, elle n’en continue pas moins de monopoliser le grand écran. BB enchaîne les tournages. Si ses rôles ne sont pas particulièrement brillants, le public est séduit par sa voix sensuelle et son corps de rêve.
Mais peu à peu, le monde artificiel du cinéma perd de son charme aux yeux de l’égérie des metteurs en scène. L’interprète de Vie privée se lasse de la vie publique. En 1973, alors qu’elle tourne les dernières scènes de son quarante-huitième film, L’Histoire très bonne et très joyeuse de Colinot Trousse-Chemise, Bardot décide de faire ses adieux au septième art. Une fois l’oeuvre achevée, elle claque la porte des studios. Elle raconte dans ses Mémoires, Initiales BB ( éditions Grasset, 1996 ) : « Je me vis dans le miroir avec tout mon harnachement moyenâgeux sur le dos. […] J’eus subitement ras le bol de tous ces faux-semblants, je me sentis prisonnière, tellement éloignée des valeurs de la vie. Tout cela me sembla dérisoire, superflu, ridicule, inutile. » À 38 ans, le mythe prend sa retraite.
Depuis, Brigitte Bardot s’est muée en défenseur de la cause animale. Choquée en 1977 par les images de bébés phoques massacrés sur la banquise, elle part en croisade contre les auteurs de ce trafic et réussit à faire voter l’interdiction du commerce de leur fourrure. Pour mieux se consacrer à la sauvegarde de toutes les bêtes opprimées, elle crée, neuf ans plus tard, sa propre fondation de protection animale. Le cinéma, « tout ce cirque », n’est plus qu’un lointain souvenir. Bardot veut réécrire sa vie. Ce scénario, le sien, aurait pu s’intituler : « La belle et les bêtes ». Car c’est désormais aux seuls animaux qu’elle voudra réserver ses dernières répliques, trouvant sans doute dans cet acharnement à les sauver le grand rôle de sa vie.
Un rôle admirable sans nul doute, dont elle déborde parfois. Si évoquer la cause animale est louable, l’utiliser comme support pour régler ses comptes avec ses congénères l’est certainement moins. Sous prétexte, par exemple, de parler de la souffrance du mouton égorgé pendant l’Aïd el-Kébir, l’interprète d’Une ravissante idiote enchaîne subrepticement sur « l’invasion musulmane ». « Maintenant, dit-elle à propos de la fête religieuse, il y a énormément de population musulmane en France. Chacun doit tuer son mouton. Cela finit par faire des prairies et des prairies pleines de sang, des champs de morts. » Des propos cavaliers qui n’honorent pas celle qui se vit remettre en 1985 les insignes de chevalier de la Légion d’honneur.
Gageons que nombre de ses admirateurs auraient préféré la voir arpenter les chenils plutôt que de battre le parquet des prétoires parisiens.
À la fin des années 1990, Bernard Poignant, maire socialiste de Quimper, décidait d’enlever de la salle du conseil municipal de sa ville le buste en marbre de Brigitte Bardot. La Marianne la plus célèbre de France avait en effet envoyé une lettre de soutien au maire Front national de Toulon. « On ne peut pas représenter la République et soutenir un parti politique qui prône le rejet de l’autre et le repli sur soi », expliquait l’édile qui s’était empressé de commander une autre Marianne. Comme quoi un mythe ébranlé peut fort bien tomber de son socle de marbre. n

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