Beautés de rêves et rêves de beautés

La réussite du top model Liya Kebede ne pouvait manquer de susciter des vocations chez ses jeunes compatriotes éthiopiennes. Reportage.

Publié le 23 août 2004 Lecture : 5 minutes.

C’est une histoire à faire rêver les jeunes filles du monde entier. Liya Kebede est née à Addis-Abeba, en Éthiopie, il y a vingt-cinq ans. Au lycée franco-éthiopien qu’elle fréquente, un réalisateur subjugué par sa beauté la présente à un agent français qui recherche des mannequins. Aussitôt ses études secondaires terminées, Liya s’envole pour Paris, avant de rejoindre New York. La belle Abyssine charme et séduit le monde de la mode : elle fait la couverture de journaux comme Vogue ou V Magazine, pose sous l’oeil photographique de Steven Meisel, Bruce Weber ou Michael Thompson et défile pour Ralph Lauren, Yves Saint Laurent, Gucci, Balenciaga. Le 14 mars 2003, couronnement, elle est choisie par la marque de cosmétiques Estée Lauder pour représenter, avec Carolyn Murphy et Elizabeth Hurley, son image à l’international. C’est la première fois qu’une Noire incarne la beauté selon Estée Lauder – touchant pour ce faire environ 3 millions de dollars par an.
Un tel conte de fées ne pouvait manquer de susciter des vocations chez les jeunes Éthiopiennes. Tout comme chez les garçons ! Yohannes Girma, pantalon et veste de cuir noir, bouc soigneusement taillé, est devenu modèle il y a un peu plus de deux ans. « Je vivais alors à Nairobi, au Kenya, et ma soeur aînée travaillait depuis un an comme mannequin. Elle posait pour des brochures et tournait dans des spots publicitaires. Quand elle s’est tournée vers le design, j’ai pris le relais, même si ce n’est jamais très bien accepté pour un homme ! » raconte-t-il. De retour en Éthiopie, il enchaîne les publicités et participe aux quelques défilés qui ont lieu à Addis-Abeba. Les cachets ne sont pas très élevés. Ils lui permettent à peine de survivre. « La mode, les mannequins, c’est tout nouveau en Éthiopie, explique le photographe italo-éthiopien Antonio Fiorente. Il n’y a pas vraiment de demande pour des défilés, et les couturiers sont rares. Cela dit, les gens commencent à apprécier depuis que des agences ont vu le jour, souvent de manière éphémère. Je pense que la télévision et les programmes étrangers, notamment sud-africains, ont aussi eu une certaine influence. »
Pour Yohannes Girma, pas question de se tourner les pouces en attendant que l’engouement croisse… ou s’étiole. Depuis quelques mois, il utilise son argent et son carnet d’adresses pour donner corps à la petite structure qu’il vient de créer, dans une salle de l’hôtel Impérial à la périphérie d’Addis. Jopisces Modeling & Advertising Training Center est la première école de formation de mannequins en Éthiopie. Au programme : cours d’anglais, de maintien, de diététique et de sport. Les cours durent trois mois, au rythme de deux heures par jour et trois jours par semaine. Les « étudiants » payent 240 birrs (23 euros) par mois et 40 birrs de frais administratifs. Dans un pays où le revenu par habitant est d’environ 800 birrs (76 euros). Aujourd’hui, ils sont vingt-cinq, dont sept garçons, à suivre les cours de Yohannes.
Gebré Hiwot, 27 ans, vient du Tigré et travaille comme broker. Ce n’est pas l’argent qui l’intéresse, mais les publicités et les défilés. Comment s’est-il décidé à franchir le pas ? « Le désir était en moi. J’ai eu la possibilité de le réaliser. J’ai saisi ma chance. » Pour Wubeshet, 22 ans, musicien, le déclic est venu en feuilletant un catalogue : « C’est à ce moment que j’ai compris que je voulais devenir comme eux. » À moins que ce ne soit pour rencontrer de jolies filles ? Comme la souriante Samerawit, 21 ans : « J’aime le métier de mannequin. En Éthiopie, il y a beaucoup de cultures différentes. Notre histoire est très riche, nous avons de beaux vêtements traditionnels et nous sommes beaux ! Je veux que tout le monde me connaisse, comme Liya, je veux être célèbre pour pouvoir représenter mon pays à l’étranger. »
Représenter son pays et sa culture à l’étranger : le refrain revient souvent, avec les mêmes mots, les mêmes mimiques et le même désir sous-jacent de quitter l’Éthiopie. On rêve d’Afrique du Sud, d’abord, puis de Paris et de New York. Meiraf, la jeune professeur d’anglais, veut rester optimiste afin de ne briser ni l’élan ni l’enthousiasme de ses élèves. Mais elle sait que très peu d’entre eux pourront suivre les traces de Liya Kebede. « L’école vient à peine d’ouvrir ses portes, et Yohannes n’a pas souhaité établir de critères de sélection pour les inscriptions. On a accepté tout le monde sans discrimination de poids ou de taille. Nombreux sont ceux qui se bercent d’illusions et viennent ici parce qu’ils ne savent pas quoi faire ou parce qu’ils croient ainsi pouvoir partir à l’étranger », souligne-t-elle. Yohannes est plus optimiste : « Pour moi, sur mes vingt-cinq élèves, environ vingt peuvent espérer devenir mannequins. Si les choses évoluent et si les designers le veulent ! »
Gadol Ton a 47 ans. Africain-Américain, arrivé il y a trois ans en Éthiopie pour travailler dans des programmes de développement socio-économique, il y est resté afin de lancer une ligne de vêtements inspirés par la tradition éthiopienne. Il croit dur comme fer que l’engouement pour la mode va se développer dans les années à venir. « En décembre, nous avons organisé pour la première fois des sélections pour Miss Monde, et Hayat Mohammed a dignement représenté l’Éthiopie. Je crois que les gens sont plus au fait de la mode. Il y a de plus en plus de défilés, de plus en plus de professionnels. Nous sommes au début d’une nouvelle industrie et, pour ma part, j’envisage de créer une école de design. » Il n’a sans doute pas tort, si l’on se fie à la floraison de designers : Genet « Gigi » Fresembet, Genet Kebede, Fashion Ethiopia, Sarah Garment, Membere, etc.
Les barrières restent néanmoins nombreuses. Les tabous de la société éthiopienne sont vivaces, le faible développement économique limite les opportunités et le pays demeure mal connu à l’étranger, où l’on se souvient surtout des famines du début des années 1980 ou de la guerre avec l’Érythrée. En outre, à Paris, Rome ou New York, le monde de la mode est sans pitié : celle qui ne correspond pas à certains critères prédéfinis – le fameux triptyque hanches-taille-poitrine qui serait idéal à 90/60/90 – peut tout de suite cesser de rêver. Liya Kebede, elle, affiche un 81/58/89 sous son mètre 78. Et vit son rêve. n

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