Amnesty sermonne Paris
Déjà, le titre du rapport en dit long : « France, patrie des droits humains ? » Un simple point d’interrogation qui met à mal un statut que la France s’est arrogé au nom d’une révolution vieille de 215 ans… Aujourd’hui, pour la première fois, l’organisation non gouvernementale Amnesty International consigne les lacunes françaises relevées depuis 1998 dans un document de 150 pages publié en marge de l’étude générale 2004 sur les droits de l’homme et les libertés.
Bien qu’Amnesty prévienne d’emblée qu’il ne s’agit pas d’une liste exhaustive, les manquements de l’Hexagone sont nombreux : traités internationaux non ratifiés – notamment ceux qui visent à renforcer la lutte contre la torture et la peine de mort -, organisation opaque des pouvoirs publics, discriminations et violences à l’encontre des femmes, fragilité du droit d’asile, timidité de l’engagement en faveur d’une Cour pénale internationale… Mais le bilan dressé par l’ONG se veut plutôt une « référence » à l’aune de laquelle mesurer les avancées à venir. Ou encore un « instrument de lobbying ».
Principale carence de la République : l’asile, défini pourtant dans le préambule de sa Constitution comme un droit fondamental. Nicolas Sarkozy, quand il était encore ministre de l’Intérieur – il a été nommé ministre de l’Économie et des Finances le 31 mars -, avait donné le ton : l’immigration « est entièrement alimentée par des flux que nous subissons, comme le regroupement familial et les demandeurs d’asile. […] Ce n’est pas une immigration choisie. »
Pourtant, au sein de l’Union européenne, et au prorata de sa population, l’Hexagone ne se situe qu’au 10e rang en termes d’accueil des étrangers. Et ce malgré une augmentation du nombre de demandes d’asile… jusqu’en 2001. À cette date, 10 364 demandes avaient été enregistrées. Un chiffre brandi comme une menace planant sur la sécurité des Français. Et qui a aussitôt incité les autorités à mettre en place « des mesures draconiennes […] pour contrôler l’arrivée des étrangers », explique Amnesty. Du coup, en 2003, on ne comptait plus que 5 912 demandeurs, soit 43 % de moins que deux ans auparavant.
Pis, le rapport note une érosion spectaculaire du taux d’admission des demandeurs d’asile : il est passé de 42,8 % en 1998 à 3,8 % en 2003. Les ministères justifient cette tendance par une recrudescence du nombre de « faux demandeurs ». Pourtant, en 2003, 7 % seulement des Ivoiriens qui ont fui leur pays pour trouver refuge en France ont été admis sur le territoire. Et on ne peut pas les qualifier de « fraudeurs ». Tout comme les personnes venues, pour l’essentiel, de Palestine, de Chine, du Congo et de Sierra Leone. Il est vrai que ces pays ne figurent pas sur la liste des États reconnus comme « sûrs » par la loi du 10 décembre 2003… En outre, selon les observateurs de l’ONG, les conditions d’accueil se sont « dégradées ». Sur le seul plan de l’hébergement, 7 000 places étaient proposées pour 52 000 personnes accompagnées de 7 500 enfants.
Autre sujet d’inquiétude pour Amnesty : les ventes d’armes. Si la France ne se cache pas d’être parmi les cinq premiers exportateurs d’armes au monde, elle ne fait pas montre de transparence en la matière. « Il n’existe pratiquement aucun suivi parlementaire concernant les exportations d’armes », s’alarme la section française de l’ONG. Et le rapport de rappeler que « les forces armées rwandaises qui ont perpétré le génocide de 1994 étaient fournies en armes et en munitions par la France ».
C’est donc surtout pour « son manque de cohérence », qui fait d’ailleurs l’objet d’un chapitre entier, sur les sept que compte le rapport, qu’Amnesty épingle Paris. Souvent citée comme « patrie des droits de l’homme », la France, regrettent les auteurs du rapport, ne donne pas toujours l’exemple que l’on pourrait attendre d’elle. D’autant qu’elle endosse volontiers le rôle de « donneur de leçons ».
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