William Lacy Swing

Publié le 16 juillet 2007 Lecture : 6 minutes.

Dans les night-clubs de Kinshasa, le clip fait un carton. Réalisé par un étudiant de l’École des beaux-arts, « Peace and love in RDC » met en scène un imitateur au visage peint en blanc, perruque immaculée et moustache sel, qui déclare sur un rythme de rumba avec un fort accent US : « Quand Koko Souing entre en jeu, personne ne doit tirer. » « Koko » (grand-père) Souing, c’est bien sûr William Lacy Swing, 72 ans, le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU en République démocratique du Congo depuis quatre ans, pas peu fier, au point d’en offrir volontiers le DVD au visiteur de passage, de cette intégration dans l’univers musical congolais qui vaut ici tous les passeports. La silhouette so british de cet Américain racé, sec, plutôt démocrate, diplomate jusqu’au bout des ongles et constamment entouré de gardes du corps est, il est vrai, familière aux Congolais.
Les apparitions télévisées du patron de la Monuc sont aussi fréquentes que ses interventions publiques, toujours très pédagogiques. À la tête de la plus importante des opérations de paix de l’ONU (18 000 hommes, un budget de 1 milliard de dollars par an), William Swing est l’un des acteurs majeurs du redressement congolais. À son crédit : l’organisation, en 2006, des premières élections générales libres dans l’histoire de ce pays-continent de deux millions et demi de kilomètres carrés. Un exploit politique et, surtout, logistique pour lequel il a fallu ouvrir cinquante mille bureaux de vote, affréter 106 avions et débourser 500 millions de dollars. À son débit, si l’on peut dire – car lui-même prend ces critiques pour preuve de son impartialité -, les attaques croisées dont il fait régulièrement l’objet de la part du pouvoir et de l’opposition, le premier lui reprochant de favoriser ses adversaires, et vice versa.

Dans une capitale où toute fréquentation en dehors des heures de bureau est immédiatement interprétée comme un signe de connivence, William Swing s’oblige à mener une vie quasi monacale. Il loge dans une suite du Grand Hôtel, qu’il quitte le matin à 7 h 30 et regagne le soir à 22 heures, joue le samedi au tennis et assiste le dimanche à l’office protestant. Son épouse, Chinoise de Malaisie, est restée à Miami, et ses deux enfants (dont l’un est établi en Afrique du Sud) sont depuis longtemps autonomes. Quand il en a le temps, le représentant spécial apprend le lingala en cours particulier, histoire de compléter sa collection de langues – outre l’anglais, il parle le français, l’allemand, l’afrikaans et le créole de Haïti -, histoire surtout de mieux s’immerger dans la culture d’un pays qui le passionne et pour l’avenir duquel il affiche un incurable optimisme. « Un collègue m’a dit un jour que je ne voyais que le côté plein de la bouteille, sourit-il, c’est possible. Mais je préfère comparer le Congo à une pellicule. Si vous vous arrêtez sur une image, vous ne pouvez qu’être découragé. Mais si vous regardez l’ensemble du film, alors tout change »

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William Lacy Swing est né le 11 septembre 1934 à Lexington, en Caroline du Nord. Après des études à l’université de Yale, il entre au département d’État et reçoit sa première affectation de diplomate en 1963. Direction l’Afrique du Sud. Vice-consul à Port Elizabeth, en pleine période d’apartheid triomphant, il fréquente les intellectuels noirs et les libéraux blancs comme le journaliste Donald Woods. Il assiste, aux premières loges, à l’arrestation, au procès et à la condamnation de Nelson Mandela – il sera présent aussi, vingt-cinq ans plus tard, cette fois en tant qu’ambassadeur, pour la libération d’un homme qui déjà le fascine. Après un séjour de quatre ans à Hambourg, comme consul, puis au département d’État à Washington, Swing regagne l’Afrique en 1974. On lui propose Nouakchott ou Bangui, il choisit Bangui, au hasard. Il débarque sur les rives de l’Oubangui, où il est numéro deux de l’ambassade US, « en état de choc ». L’empire ubuesque de Bokassa s’offre à lui. Il y restera deux ans, rencontrant à maintes reprises un autocrate « autiste, mégalomane et incontrôlable ». De retour à Washington, William Swing gère le dossier Afrique centrale et rend visite à ce titre à Mobutu qui le reçoit à Kisangani en compagnie de Donald Mc Henry. « Mobutu était un homme affable et accueillant pourvu qu’on ne lui parle pas des droits de l’homme, se souvient-il, dès que vous franchissiez la ligne rouge, un autre personnage apparaissait : autoritaire, susceptible, cassant. » Première leçon de Congo
C’est dans l’autre Congo, celui de Brazzaville, que Swing reçoit, en 1979, sa première affectation au titre d’ambassadeur. Il y fait par la même occasion connaissance avec les coups d’État. Agréé par le président Yombi Opango, il est accrédité par son successeur, Denis Sassou Nguesso. En 1981, le voici à Monrovia, au Liberia, où il s’initie à la guerre civile. Samuel Doe s’empare du pouvoir et fait fusiller, sur la plage, les dignitaires du régime déchu. Swing proteste. Il partira en termes exécrables avec le sergent devenu dictateur. Nouveau séjour au ministère, à Washington, et nouvelle nomination – bien plus prestigieuse celle-là : ambassadeur en Afrique du Sud. William Swing atterrit à Pretoria en août 1989, en pleine « campagne de défiance » menée par Desmond Tutu. Il présente ses lettres de créance à Frederik De Klerk, et le 11 février 1990, particulièrement ému, il est au cur de la petite foule qui accueille Nelson Mandela à la sortie de la prison de Pollsmoor. Quatre mois après, William Swing accompagne Mandela à la Maison Blanche pour une rencontre avec George Bush père – il fera de même, un peu plus tard, avec De Klerk. « Mandela, c’est l’une des deux ou trois rencontres majeures de ma vie, confie-t-il, c’est un personnage incroyable de sérénité et de sagesse, il a une capacité hors norme de traiter avec l’adversaire, de lui pardonner. Le voir embrasser ses gardiens après vingt-sept années de détention était une scène bouleversante. En outre, c’est quelqu’un de très logique, de très organisé et de très fier. »

Après une courte parenthèse à Abuja, au Nigeria, en 1993, William Swing se voit confier un dossier particulièrement brûlant : Haïti. C’est lui qui, après avoir présenté ses lettres de créances au père Aristide à l’ambassade de Haïti à Washington, gère l’intervention de l’armée américaine sur l’île. Il y restera, comme ambassadeur, pendant cinq ans, s’élevant avec de plus en plus de vigueur contre les excès et les dérapages de l’ecclésiastique devenu chef d’État. Août 1998 : nouvelle affectation. En RD Congo déjà, auprès de Laurent-Désiré Kabila. Avec ce personnage à la fois fantasque, intraitable et profondément nationaliste, ses relations ont été, avoue-t-il, « très difficiles ». Très vite, Swing doit se contenter du minimum : faire passer les messages. Il est en vacances en Malaisie avec son épouse Yuen lorsqu’il apprend, le 16 janvier 2001, l’assassinat du mzee. Retour précipité à Kinshasa et « prise en main » immédiate du fils, Joseph Kabila, qu’il emmène à Washington pour un « National Prayer Breakfast » qui permettra au nouveau président de s’arrêter en chemin à Paris et à Bruxelles. Pas de doute : Swing sait se rendre utile. En août sonne l’heure de la retraite. Adieu Congo ? Oui, mais pour peu de temps.

Car à peine a-t-il quitté le département d’État que William Lacy Swing est recruté par l’ONU. Kofi Annan, qui est de ses amis, lui propose le poste de représentant spécial pour le Sahara occidental. Pendant deux ans, gentleman Swing promènera de Rabat à Alger, en passant par Laayoune, Tindouf et Nouakchott, sa frêle silhouette de négociateur obstiné. Cette fois pourtant, son volontarisme sera inutile. Pour qualifier l’affaire du Sahara, Swing a une petite phrase, empruntée au titre d’un livre de Chester Crocker : « Intractable Issues » (« Problèmes insolubles »). Le 5 juillet 2003, celui qui deviendra bientôt « Koko Souing » débarque à nouveau à Kinshasa et, quatre ans plus tard, il y est toujours.
Jusqu’à quand ? « Je ne suis pas du genre à partir sans éteindre la lumière derrière moi, c’est-à-dire sans avoir fini le job », explique-t-il dans son bureau de la Monuc, camp retranché en plein cur de Kinshasa. « La mission de l’ONU au Congo restera en place jusqu’à ce que les milices soient démantelées. Elle restera tant que les Congolais n’auront pas l’armée et la police républicaines qu’ils méritent. Comme vous le savez, c’est toute une culture politique qu’il convient de changer. » Pas si optimiste que cela, M. Swing ? « Si. Car cette culture est en train de changer chaque jour. Pour moi, le réveil du Congo, c’est un peu comme la fin de l’apartheid en Afrique du Sud : un moment historique et irréversible. » Sans doute. Mais où est le Mandela congolais ?

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