Andry Rajoelina

Maire d’Antananarivo

Publié le 11 février 2009 Lecture : 5 minutes.

Il a beau n’avoir que 34 ans, Andry Rajoelina connaît l’histoire de Madagascar sur le bout des doigts. Il sait que, dès 1972, deux ans avant sa naissance, la population d’Antananarivo congédia le président Philibert Tsiranana pour confier son destin, quelques mois plus tard, au capitaine de corvette Didier Ratsiraka, officier de marine nouvellement converti au marxisme tropical. Il sait aussi que ce même peuple, le 31 octobre 1991, donna brutalement congé à ce même capitaine devenu amiral pour s’en remettre à la coalition des Forces vives emmenée par le professeur Albert Zafy. Il sait enfin, pour l’avoir vécu de près, que dix ans plus tard, en juillet 2002, ce fut au tour de Marc Ravalomanana, businessman fraîchement débarqué en politique, de pousser vers la sortie l’éternel amiral, le forçant, après six mois d’un bras de fer sans merci, à quitter le pouvoir et le pays pour un exil parisien à durée indéterminée.

Cette dernière épopée a sans doute marqué Rajoelina plus que d’autres… au point de lui donner des idées. Si ce jeune homme fonceur – surnommé TGV – a remporté la mairie de la capitale par les urnes en décembre 2007, il a compris très tôt que le pouvoir pouvait aussi se conquérir sur le pavé des rues tortueuses de Tana. Du sommet de la colline d’Andohalo, que surplombent les ruines du palais de la reine Ranavalo, à l’avenue de l’Indépendance où se rassemblent les contestataires de tout poil, les habitants de la capitale ont massivement répondu aux nombreux appels à l’insurrection qu’il a lancés depuis la mi-janvier.

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Fils de militaire, autodidacte issu d’un milieu populaire, Andry Rajoelina, sans charisme apparent, a toujours su mobiliser les foules. Il s’est d’ailleurs fait connaître en organisant les événements les plus courus de la capitale. À peine âgé de 20 ans, il lance le concept des soirées « Live », où le tout-Tana se retrouve le samedi soir pour danser dans les salons du Hilton. Véritables spectacles où se produisent DJ en vogue et stars internationales de la « dance » – comme Boney M ou les Twenty Fingers – , ils permettent également à son organisateur de se constituer une trésorerie.

De l’événementiel, Rajoelina va rapidement passer à la communication. En 1998, il fonde la société Injet, spécialisée dans le marketing et la publicité, et acquiert un système d’impression numérique grand format qui lui permet de s’imposer sur le marché de l’affichage publicitaire. Sa gestion lui vaut d’être élu, en 2001, « manager de l’année » de l’océan Indien par le magazine L’Eco austral, un titre dont l’un des précédents lauréats n’est autre que… Marc Ravalomanana. Injet a le vent en poupe et son patron ne manque pas de projets. Il voudrait créer un parc de loisirs « façon Eurodisney » sur la Grande Île et rêve de faire venir Michael Jackson à Madagascar.

Parallèlement, le jeune Andry ne rate pas une occasion de faire parler de lui, et pas seulement dans l’« entertainment ». Avec son épouse, Mialy Razakandisa, fille de la bourgeoisie aisée de Tana, qui dirige Domapub, une société également spécialisée dans la « com », il multiplie les œuvres de bienfaisance dans les quartiers déshérités de la capitale. Dans le même temps, il diversifie ses activités en rachetant la chaîne de radio et de télévision Ravinala (rebaptisée Viva), propriété de l’ancien Premier ministre Norbert Ratsirahonana. Véritable faiseur de rois, ce pilier de la politique malgache a contribué à faire élire Zafy contre Ratsiraka au début des années 1990, avant d’assurer son intérim lors de sa destitution en 1996. Il fut également l’un des principaux soutiens de Ravalomanana contre Ratsiraka lors de la crise consécutive à l’élection de 2001. Président de l’AVI, parti influent dans la capitale, il est consulté par tous ceux que l’ambition politique démange. « Je me souviens qu’Andry Rajoelina est venu me voir avec son épouse en octobre 2007 pour m’annoncer son intention de se porter candidat à la mairie de Tana, raconte-t-il. Je lui ai dit de bien réfléchir avant de prendre sa décision, car il allait au-devant d’énormes difficultés. Mais ça ne l’a pas dissuadé pour autant. »

Le 12 décembre, le jeune Andry se présente aux municipales sous la bannière des Tanora Gasy Vonona (TGV, « les Jeunes Malgaches décidés »). Mais au-delà des slogans dont il a le secret, sa campagne, financée « sur fonds propres », se révèle efficace. En s’opposant de front au camp présidentiel, il inflige à Ravalomanana son plus sérieux revers depuis 2001 : « TGV » rafle 63 % des voix.

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« Dès son élection, j’ai dit au président : “Il faut aider ce jeune homme” », poursuit Ratsirahonana. En vain. Les deux hommes sont déjà concurrents… Merina des hauts plateaux, self-made men débarqués inopinément en politique, leurs trajectoires devaient fatalement s’entrechoquer.

Dès lors, les relations entre la mairie et le palais ne vont cesser de se dégrader. Jusqu’au 13 décembre 2008, date à laquelle le gouvernement suspend Viva TV à la suite de la diffusion de propos de Didier Ratsiraka. Depuis, la confrontation entre le camp du maire et celui du président s’est radicalisée. Le 31 janvier, Rajoelina exige la démission du chef de l’État, lequel le destitue trois jours plus tard. Dans ce bras de fer, Andry TGV cristallise toutes les rancœurs. Et recueille l’adhésion de tous les déçus du « ravalomanisme ». Au risque de former une coalition totalement ingérable. Brusquement bombardé leader d’une opposition laminée, il est désormais entouré de personnalités ayant servi sous tous les précédents régimes. Parmi elles, on peut citer Ny Hasina Andriamanjato, Roland Ratsiraka, Elia Ravelomanantsoa, ou encore Jean Lahiniriko, tous candidats malheureux à la présidentielle de 2006, et qui voient en « TGV » un bon moyen de reprendre du service. Son jeune âge ? « Ce n’est pas un problème, s’il accepte de faire confiance à ses alliés », prévient Roland Ratsiraka, qui rappelle qu’il a été élu député à 33 ans.

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À la tête d’une autorité de transition, Andry Rajoelina risque bel et bien d’être instrumentalisé par les caïmans du marigot tananarivien. Et de gâcher le capital de sympathie dont il bénéficiait il y a un mois auprès de l’opinion malgache. D’autant que derrière cette équipe hétéroclite se dessine toujours l’ombre de l’éternel amiral. Dans son exil de Neuilly-sur-Seine, Ratsiraka, lui, jubile. En silence.

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