L’affaire Omar el-Béchir

Accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité au Darfour, le dictateur soudanais est le premier chef d’État en exercice poursuivi par la Cour pénale internationale. Un tournant historique dans la lutte contre l’impunité, qui suscite pourtant de vives critiques en Afrique et dans le monde arabe.

Publié le 9 mars 2009 Lecture : 5 minutes.

« Cela peut paraître bizarre, mais on a l’impression que cette inculpation l’a requinqué », dit un observateur à Khartoum. Depuis une semaine, Omar el-Béchir est survolté. Tantôt ironique – « tout ce qui vient de la communauté internationale, je le mets dans un verre d’eau et je le bois » –, tantôt grave – « nous avons refusé de nous agenouiller devant le colonialisme, et c’est pour ça qu’on a visé le Soudan » –, le président soudanais multiplie les meetings comme s’il était en campagne. Le piètre orateur des années 1990 s’est fait imprécateur. L’ancien timide se lâche. Quelquefois, il se met à danser devant la foule en agitant sa canne en l’air. Et le message est argumenté : « Les vrais criminels, ce sont les Américains qui ont perpétré des génocides contre les Amérindiens, à Hiroshima et au Vietnam. »

Jusqu’à présent, Omar el-Béchir était un homme discret. À sa naissance en 1944, à Hosh Bannaga, un village au bord du Nil à 150 km au nord de Khartoum, son père était ouvrier agricole. La famille était pauvre, mais avait des relations. Elle était rattachée aux Jaaliyyin, l’une des trois grandes tribus arabes qui font et défont les pouvoirs à Khartoum. Le jeune El-Béchir reçoit alors une éducation stricte dans la foi musulmane. Puis il épouse l’une de ses cousines maternelles, Fatima, et s’engage dans l’armée de l’air, chez les parachutistes. Longtemps, il mène une vie simple, sans ostentation. À Khartoum, il habite une villa presque banale adossée au haut commandement militaire, non loin de l’aéroport international. Il y a une dizaine d’années, il prend une deuxième épouse, Widad. C’était la jeune veuve de l’un de ses compagnons d’armes. Il n’a pas d’enfants. Jusqu’à maintenant, El-Béchir gouvernait dans l’ombre. Mais, aujourd’hui, il s’affiche sur de grands panneaux où l’on peut lire : « Nous irons jusqu’à la mort pour sauver notre président. » À 65 ans, El-Béchir découvre les délices et les poisons du culte de la personnalité.

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Est-il prêt à affronter des vents contraires ? À deux reprises, l’homme s’est montré bon stratège. D’abord en juin 1989, quand il a pris le pouvoir. Un jour, il a avoué que dix chars et trois cents parachutistes avaient suffi pour renverser le régime démocratique de Sadek el-Mahdi. Folle témérité ? En réalité, le putsch était préparé de longue date. Quatre ans plus tôt, le jeune officier avait « fait ses classes » en participant à un premier coup d’État.

300 000 morts, selon l’Onu

Autre belle manœuvre : en décembre 1999, il se débarrasse en quelques semaines de son mentor, le dirigeant islamiste Hassan el-Tourabi. Bien sûr, El-Béchir avait la force militaire avec lui. Mais il a fait mieux : il est allé défier Tourabi dans son fief du Congrès national, le parti au pouvoir. Et a littéralement retourné la salle en révélant qu’il militait clandestinement pour les islamistes depuis ses années de lycée, et qu’il avait pris le pouvoir « sur ordre du mouvement islamiste ». L’homme est à la fois rusé et courageux.

Comme beaucoup de chefs d’État qui « tiennent » vingt ans au pouvoir, El-Béchir est un fauve. Gare à ceux qui se mettent en travers de sa route. En avril 1990, dix mois après son arrivée aux affaires, il fait exécuter vingt-huit officiers pour « complot ». À partir de 2003, il lance ses milices Djandjawids sur des centaines de villages du Darfour avec mission de tuer, violer, piller. On connaît le résultat : trois cent mille morts, selon l’ONU.

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En cas de besoin, le président soudanais est aussi un dissimulateur hors pair. À son arrivée au pouvoir, il a juré ses grands dieux que la nouvelle junte n’avait aucun lien avec les islamistes. Pour donner le change, il a même fait arrêter Hassan el-Tourabi pendant quelques semaines, après le putsch de 1989. Souvent, il varie dans ses déclarations, sauf sur un thème : la défense des valeurs de l’islam contre l’Occident. Pour lui, le multipartisme est une invention des Européens. En conséquence, ses adversaires politiques sont tous des « mercenaires et des traîtres », voire « des partisans du diable ». Un jour de septembre 1999, lors d’un meeting, il a lancé : « Les opposants doivent se laver et faire leurs ablutions pour se purifier et réintégrer la religion islamique. »

« Complot sioniste »

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Pour Omar el-Béchir, le seul vrai risque, c’est sans doute d’être renversé par ses compagnons et embarqué dans un avion pour La Haye. D’où le culte de la personnalité qu’il vient de mettre en place. Aujourd’hui, tout dépend de la solidité du groupe qui l’entoure. Et notamment de la fiabilité du numéro deux du régime, Ali Osmane Taha.

Entre El-Béchir et Taha, les liens sont anciens et très forts. Les deux hommes se sont rencontrés dans les années 1980 à Muglad, sur le front sud. Le jeune El-Béchir y commandait une unité de l’armée, et le jeune avocat Taha faisait la tournée des casernes pour préparer un coup d’État. En 1989, la force militaire et la ruse politique se sont unies pour prendre le pouvoir. Et, dix ans plus tard, les deux hommes se sont entendus à nouveau pour évincer le vieux maître Tourabi. Leur complicité est évidente.

Le soir de l’inculpation d’El-Béchir, Ali Osmane Taha a pris la parole dans le Hall de l’amitié de Khartoum pour dénoncer un « complot 100 % sioniste contre le Soudan ».

Pour l’instant, le président soudanais peut aussi s’appuyer sur Nafie Ali Nafie, autre vétéran du mouvement islamiste et actuel numéro trois du régime. Dans l’armée, il peut compter sur deux officiers fidèles, les généraux Bakri Hassan Salih, conseiller à la sécurité, et Abd el-Rahim Muhammad Hussein, ministre de la Défense. Dès les années 1970, le premier militait avec El-Béchir dans une cellule islamiste clandestine. Le président soigne aussi sa relation avec le général Salah Gosh, le tout-puissant chef des services de sécurité. Aujourd’hui, tout le monde est solidaire. Mais demain ? « Si la Cour pénale internationale [CPI] lance des poursuites contre Taha et les autres, tous les dignitaires du régime vont se serrer les coudes, analyse François Grignon, de l’International Crisis Group. En revanche, si l’entourage d’El-Béchir est épargné, tout peut arriver. »

Enfin, Omar el-Béchir doit compter avec ses adversaires. L’inusable Hassan el-Tourabi est en résidence surveillée à Port-Soudan, mais garde de nombreux partisans à Khartoum. L’ancien rebelle sudiste Salva Kiir, aujourd’hui vice-président, soutient officiellement El-Béchir, mais l’invite à collaborer avec la CPI. Il a également demandé par voie de presse à ses partisans de ne pas s’associer aux manifestations organisées par le régime.

Quant aux rebelles du Darfour, ils exultent. Un nom doit résonner aux oreilles d’Omar el-Béchir : celui de Slobodan Milosevic. Pour le président serbe, tout s’était passé très vite. Inculpé par un tribunal international en 1999, puis renversé en 2000, il avait été livré en 2001. Une chute vertigineuse. Omar el-Béchir se battra pour éviter ce sort car, visiblement, l’homme aime les défis.

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