Ousmane Sow, l’anartiste
En 1999, les sculptures géantes du Sénégalais séduisaient 3 millions de visiteurs sur le pont des Arts à Paris. Retour sur le parcours atypique de cet artiste indépendant, hors mode, et hors du marché de l’art, décédé jeudi 1er décembre à Dakar (ce portrait a été publié pour la première fois dans J.A. en 2009).
Lorsque Ousmane Sow parle, impossible de chasser l’impression que c’est la voix de l’une de ses sculptures qui s’échappe de ses lèvres. Calme et grave, réfléchie et chargée du poids des ans, tout en force et en retenue même quand il s’agit d’évoquer les moments difficiles de son histoire ou les révoltes qui l’habitent.
Âgé de 74 ans, reconnu dans le monde entier, il pourrait compter parmi ceux que la réussite transforme en maîtres à penser convaincus que leur parcours a valeur d’exemple. Si le titre du livre que lui consacre aujourd’hui sa compagne et « imprésario » Béatrice Soulé – Même Ousmane Sow a été petit – peut laisser penser qu’il a, sans fausse modestie, conscience de sa place dans le monde de l’art, le sculpteur sénégalais ne se voit pas en figure de proue. « Je n’ai rien à apporter aux jeunes artistes du point de vue technique, dit-il. Je ne me permettrais pas de porter un jugement sur ce qu’ils font. Tout juste puis-je dire si ça me plaît. Je crois que seule ma démarche peut leur servir : ne pas être pressé d’arriver, ne pas dépendre d’une institution comme le gouvernement. »
Avant que sa grande exposition de 1999 sur le pont des Arts (Paris) et ses quelque 3 millions de visiteurs ne le fassent connaître, Ousmane Sow a vécu. « Ma jeunesse a coïncidé avec la guerre. J’ai eu très rapidement un contact avec la mort », raconte-t-il, avant d’évoquer le bombardement de Dakar et l’épidémie de peste qui vint frapper à la porte même de la maison familiale. Inutile d’attendre qu’il s’étende sur le sujet et verse dans le pathos. « Alors que dans tes œuvres il n’y a jamais de sentiments appuyés, jamais de violence, sur ta vie tu peux être très sentimental », glisse Béatrice Soulé, avant d’aller lui chercher un pull pour qu’il ne prenne pas froid alors que les orages de mai prennent Paris d’assaut.
Marqué par la figure paternelle – il a consacré une sculpture à son père Moctar dans sa série dédiée aux « grands hommes » (Victor Hugo, Charles de Gaulle, Nelson Mandela…) –, Sow garde le souvenir d’une enfance heureuse : « On avait l’impression qu’il n’y avait pas de vie individuelle, pas de personnalité distincte tellement on s’entendait bien. » De la même manière, à propos de son arrivée en France à 22 ans et des années de galère, les souvenirs sont toujours tempérés par un solide optimisme. Les petits boulots et les nuits passées dans les commissariats – à l’époque un sans-abri pouvait s’y réfugier pour une nuit – ont laissé la sensation d’une France généreuse et ouverte. « Aujourd’hui, je plains les jeunes, dit-il. Désormais, et même s’il a ses papiers, un immigré n’ira pas demander le gîte à la police. Cette histoire a l’air de dater de cent ans, mais elle montre bien l’évolution des mentalités. »
Bouillie organisée
Devenu kinésithérapeute dans l’Hexagone, Ousmane Sow rentre au Sénégal au début des années 1960. La sculpture fait partie de sa vie depuis le temps où, enfant, il taillait des morceaux de calcaire ramassés sur la plage. À Paris, « faute de place », il détruit bon nombre de ses œuvres. Ce n’est que vers 45 ans qu’il crée ses sculptures monumentales, le Nouba assis et le Nouba debout. Rien ne presse, il prend son temps et se montre d’une grande exigence. « Quand mon travail ne me satisfaisait pas, je détruisais. J’avais des copains qui me disaient si ça ne te plaît pas, tu me le donnes. Je répondais : dans ce cas-là, tu ne me verras plus chez toi ! » raconte-t-il.
La célébrité est venue à la fin des années 1980 avec ses séries sur les Massaïs, les Zoulous, les Peuls et, enfin, La Bataille de Little Big Horn. Pourtant, Ousmane Sow est resté à bonne distance du marché de l’art contemporain. Pas de galeriste pour promouvoir son œuvre – c’est Béatrice Soulé qui s’en charge – et peu de ventes aux enchères*. « C’est vrai que, jusqu’à maintenant, on a favorisé les relations avec les collectionneurs et les musées, confie-t-il. On n’est pas pressé, on ne se rue pas sur les trucs à la mode, et jusqu’à présent ça nous a plutôt réussi. Quant aux galeristes, ils vous demandent de créer avec une cadence qu’ils déterminent. Moi, je prends mon temps. »
En dépit de son apparente placidité et du calme dont il semble ne jamais se départir, Ousmane Sow porte un regard acéré sur le monde de l’art et ses grands raouts. « “Africa Remix”, par exemple, je n’aurais pas participé. Je discerne les expositions qui ne correspondent pas à mon point de vue. Quand c’est une bouillie organisée par des gens dont ce n’est pas le métier et où l’on met n’importe quoi, j’essaie de ne pas m’en mêler. »
Quant au Monument de la renaissance africaine, mieux vaut éviter le sujet…
Et le Festival mondial des arts nègres (Fesman) voulu par le président sénégalais Abdoulaye Wade ? « Ils ont mis mon nom sans même me demander si je voulais y participer. J’ai demandé à ce que l’on l’enlève. À l’époque où Senghor organisait ce type d’événement, chaque pays restait un peu dans son coin et c’était un moyen de se rencontrer. Aujourd’hui, les artistes se croisent partout et il y a un formidable mélange. Je ne vois pas l’intérêt de dépenser des milliards pour cela. » Une attitude dictée, en outre, par l’idée qu’il n’est plus possible de nos jours d’isoler les artistes du continent en parlant d’« art africain ». D’ailleurs, lui-même cite aussi bien son compatriote Ndary Lô que la Française Fanny Ferré parmi ceux qui forcent son admiration…
Quant au Monument de la renaissance africaine, en cours de construction au Sénégal, mieux vaut éviter le sujet… « À l’origine, c’était mon projet. Je voulais créer un lieu vivant – et son pendant aux États-Unis. J’en avais parlé à Abdoulaye Wade, quand il n’était pas encore président, un jour où je mangeais chez lui. Plus tard il m’a dit qu’il voulait faire une statue plus grande que celle de la Liberté, à New York, sans même se demander si le sol pouvait la porter. Aujourd’hui, je demande à l’avance pardon aux Sénégalais pour ce qu’ils vont voir. Les Nord-Coréens sont en train d’apprendre à leurs dépens que réaliser une sculpture avec un paysage, ce n’est pas faire le portrait de Kim Il-Sung ! »
« Vrai musée »
Lui avait réalisé la maquette du projet initial, mais il ne l’a jamais rendue. Et, depuis, il s’investit dans autre chose : la création, au Sénégal, d’un « vrai musée » qui abritera ses « grands hommes » et accueillera différentes disciplines (cuisine, musique, etc.). Parfois sévère avec son pays, Ousmane Sow ne se considère pas pour autant au-dessus de la mêlée. Il apprécie les rencontres informelles avec ceux qui ne le connaissent pas mais lui parlent de son travail et, parfois, le remercient de « les représenter à l’extérieur ». Au fond, il sait très bien la vanité de l’art : « Je fais des choses qui sont appréciées et qui émeuvent, mais ce ne sont que des objets. Mes sculptures ne peuvent pas se déplacer quand il pleut. Toutes les créatures de Dieu peuvent, elles, aller s’abriter. » * Toussaint-Louverture et la vieille esclave sera mis en vente le 1er juin 2009 par la maison Gaïa, à Paris.
* Toussaint-Louverture et la vieille esclave sera mis en vente le 1er juin 2009 par la maison Gaïa, à Paris.
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